Dans un récent podcast avec Investment Officer, Jan Longeval, consultant, conférencier et auteur du livre à succès ‘Dieu ne joue pas aux dés avec la bourse’, déclare que les mesures de relance massives opérées par les banques centrales et les gouvernements ont soutenu les marchés boursiers au cours des derniers mois. Mais leur impact est de courte durée et peu efficace, car le taux d’endettement de l’économie a dépassé un point critique.
En Amérique, par exemple, la dette publique atteindra 130 % du PIB cette année. Si l’on tient également compte de la dette non financée des futures dépenses pour les soins de santé et les pensions, le ratio de la dette ‘implicite’ atteint même 1000 % du PIB. De nouvelles dettes s’accumulent sur une montagne de dettes anciennes, activant ainsi la loi des rendements décroissants.
Longeval : « Au-delà du point critique, l’impact économique de nouvelles mesures de relance est marginal. Pour chaque dollar de relance, on n’obtient désormais que 0,2 dollar de croissance durable, un peu comme un héroïnomane qui a besoin d’une dose toujours plus forte pour avoir son kick. En outre, le passé montre qu’une économie a besoin d’environ huit ans pour se remettre d’un solide revers comme celui de 2020. Je ne crois donc absolument pas à une reprise rapide en forme de V. »
Momentum
Les marchés boursiers sont actuellement dominés par les investisseurs à effet dynamique, dont de nombreux investisseurs retail. « Rien qu’au cours du premier trimestre, un courtier en ligne tel que Robinhood a attiré 3 millions de nouveaux investisseurs. Le profil démographique de ces nouveaux venus correspond parfaitement à celui des parieurs sur des événements sportifs : 80 % sont des hommes d’une trentaine d’années. Cela m’inquiète. En raison de la disparition des événements sportifs, les parieurs ont déplacé leur attention vers la bourse. Ils ne jouent pas le rôle principal, bien sûr, mais ont contribué à la hausse rapide de ces derniers mois. »
Jan Longeval souligne que la bourse n’est pas le reflet parfait de l’économie. « Le commerce de détail et l’horeca ont été durement touchés, mais ils ne sont pas cotés en bourse. »
FANG
Il y a des signes de surchauffe, mais nous n’assistons pas actuellement à la folie du début des années 2000, déclare Longeval. « À l’époque, toutes les entreprises technologiques étaient fortement surévaluées, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Shopify fait partie des surévaluations. Aujourd’hui, Shopify est la plus grande entreprise canadienne en termes de capitalisation boursière. L’entreprise réalise un chiffre d’affaires de 2 milliards de dollars alors que sa capitalisation boursière est de 120 milliards. C’est 60 fois le chiffre d’affaires, ce qui est fortement exagéré. De nombreux investisseurs momentum sont actifs sur le NASDAQ, et font monter ces entreprises. On ne peut pas simplement supposer que les entreprises technologiques sont immunisées contre cette crise. Alphabet et Facebook ont déjà averti d’une baisse des recettes publicitaires.
Toutes les hypes ne sont pas durables. Les gens ne vont pas continuer à faire du bingewatching sur Netflix et à se faire livrer massivement des repas chez eux. Par exemple, je donne cours sur Zoom, et je trouve que c’est une horreur absolue. De plus, une épée de Damoclès pèse sur les entreprises de réseaux sociaux, car un déluge de réglementations se profile à l’horizon. Trump veut abolir la protection juridique de ces entreprises car elles agissent de plus en plus comme des commentateurs politiques au lieu de servir de plate-forme pour les opinions politiques de tiers. Une législation antitrust est également en cours d’élaboration. De très nombreuses d’entreprises technologiques tirent profit de la crise, mais il faudra les différencier, et la sélection de titres au sein du NASDAQ est importante. »
Stock pickers market
Longeval : « La forte volatilité et la présence d’investisseurs inexpérimentés créent aujourd’hui un environnement propice à l’investissement actif. Les meilleures opportunités de sélection de titres se trouvent dans le segment des petites et moyennes capitalisations, car en raison de l’‘unbundling’ de Mifid II, le coût de la recherche ne peut plus être répercuté sur le client final. Les gestionnaires d’actifs ont donc réduit leurs budgets de recherche. Il en résulte une moindre concurrence intellectuelle, ce qui est intéressant pour les stock pickers. À plus long terme, il ne sera cependant pas possible d’arrêter l’avancée de la gestion passive. D’ici quelques années, la moitié du marché sera investie dans des produits passifs. Mais il y a toujours une place pour la gestion active. L’avenir appartient à une combinaison intelligente d’investissements actifs et passifs. Il ne faut pas oublier qu’on peut investir activement en utilisant des produits passifs, par exemple en se concentrant sur certains thèmes et secteurs. Je vois de plus en plus de banquiers privés et d’ETF s’ajouter dans leurs portefeuilles. De très nombreux nouveaux investisseurs retail vont également opter pour des ETF au début.
Régions
En termes de régions, Longeval voit des opportunités sur le marché des actions japonaises, qui est complètement négligé par les investisseurs retail et professionnels. « Les entreprises japonaises sont bon marché et ont 5000 milliards de dollars de liquidités au bilan. C’est un marché boursier qui, je pense, est à l’épreuve du coronavirus. Cependant, mieux vaut couvrir le risque lié au yen. »
Valeur versus croissance
Longeval met en garde contre la nécessité d’utiliser une bonne définition de valeur versus croissance. « Sur la base du ratio cours/valeur comptable, la dispersion est effectivement très élevée, mais dans quelle mesure ce ratio est-il encore pertinent ? Il a été établi dans une période où les actifs immatériels représentaient encore une grande partie de la valeur de l’entreprise, mais aujourd’hui, il s’agit principalement d’actifs immatériels. Il faut être prudent à ce sujet. Depuis 1975, il n’y a pas eu de surperformance de la valeur par rapport à la croissance. Mais si nous nous en tenons à l’ancienne définition, la possibilité d’une flambée de la valeur, après 13 ans de sous-performance, est réel. La reprise est souvent très agressive, et on ne la voit pas facilement venir. Cela pourrait bien se produire dans les mois ou les années à venir, mais le contexte restera défavorable pour la valeur dans les années à venir. Les actions financières ont une pondération importante dans les indices de valeur, et elles continueront à avoir des difficultés. La valeur a également besoin d’une forte croissance économique et de taux d’intérêt plus élevés, et je ne crois pas en ce contexte. Une flambée sera donc temporaire. »
Marchés émergents
« À première vue, les marchés émergents sont un investissement de valeur, mais ils sont parsemés de value traps, comme les actions d’Amérique latine et de Russie, qui sont des zones économiquement sinistrées. Les entreprises ou les secteurs bon marché sont souvent contrôlés par le gouvernement, ce qui entraîne une mauvaise gouvernance. Les titres financiers représentent un tiers des indices de valeur des marchés émergents. Il y a de la valeur à trouver, mais il faut être très sélectif dans ces pays. »
Inflation
Longeval voit actuellement peu de risques d’inflation massive. « Bon nombre d’investisseurs ont une compréhension superficielle de l’impact de l’assouplissement quantitatif sur l’inflation. Avec l’AQ, la banque centrale achète des actifs auprès des banques commerciales ou par leur intermédiaire. La banque centrale crée de l’argent pour financer ces achats et crédite les comptes des banques commerciales à la banque centrale avec des réserves supplémentaires. Mais tant que les banques commerciales n’utilisent pas ces réserves supplémentaires pour accorder davantage de crédits, l’assouplissement quantitatif ne s’infiltre pas dans l’économie. Une partie des réserves supplémentaires a continué à circuler dans le système financier. Ce qui a filtré a surtout servi à financer des transactions financières. Cela a entraîné une inflation des actifs financiers, mais pas d’augmentation des prix dans l’économie réelle. Ce n’est que si les banques centrales devaient passer au financement monétaire des dépenses publiques qu’il faudrait commencer à craindre l’inflation.
Obligations
Enfin, Longeval ne voit aucun potentiel dans les obligations d’entreprises. « J’y investis zéro pour cent. Nous sommes dans un environnement déflationniste. Les bons du Trésor américain ont encore du potentiel et pourraient voir leurs rendements baisser encore davantage. La déflation, par contre, est très mauvaise pour les obligations d’entreprise car les écarts vont se creuser. »