Le pétrole et l’inflation jouent fortement les trouble-fête, mais on voit la lumière au bout du tunnel.
Madame Yellen, ministre des Finances de l’administration Biden, a récemment réaffirmé que l’inflation est inacceptablement élevée et que des interventions au niveau des dépenses publiques sont nécessaires en plus des hausses de taux d’intérêt. Cela indique la gravité de la situation. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 8,6 % sur une base annuelle, une augmentation d’un point de pourcentage au mois de mai. Les prix élevés du pétrole, des denrées alimentaires et de l’immobilier en sont les principales causes. En Europe également. Et il ne faut pas s’attendre à une importante amélioration à court terme.
La vigilance reste de mise. La probabilité d’une nouvelle hausse des prix du pétrole dans les mois à venir est plus élevée que celle d’une baisse. Je ne dis pas que nous irons jusqu’à 150 dollars le baril ou davantage au cours des prochains mois (comme le prétendent le patron de JP Morgan et les analystes de Goldman Sachs), mais une nouvelle hausse des prix du pétrole est presque écrite dans les étoiles. En voici brièvement les raisons.
a. L’approvisionnement en provenance de Russie est interrompu et les échappatoires possibles (vers l’Inde et la Chine) sont contrecarrées par l’interdiction d’assurance (principalement londonienne) des pétroliers russes.
L’impact sur la production pétrolière russe est énorme. L’I.A.E. (Agence internationale de l’énergie) estime la perte de pétrole russe à 3 millions de barils par jour au cours du second semestre. Et selon le consultant Rapidan Energy Group, cela sera compensé par une production supplémentaire de l’OPEP+ de 0,36 million de barils seulement au cours des deux prochains mois.
b. Les fournisseurs de gaz de schiste américain, qui ont bouleversé le marché du pétrole il y a quelques années en produisant massivement et en faisant chuter les prix de manière drastique, choisissent aujourd’hui de revoir leurs prétentions à la baisse et préfèrent verser des dividendes ou racheter des actions. En partie pour compenser les pertes subies par les investisseurs dans le secteur de l’énergie au cours de la dernière décennie, mais surtout parce que les investissements d’expansion ont été totalement découragés par les décideurs politiques et les critères ESG axés sur une accélération de l’abandon progressif du pétrole et du gaz.
Alors que dans les années 2012-2015, nous avions plus de 2000 plateformes pétrolières (source : Baker Huges), nous en comptons aujourd’hui un peu plus de 850, soit une baisse de près de 60 %, ce qui s’avérera insuffisant pour les mois à venir.
c. Les approvisionnements supplémentaires grâce à de nouveaux accords avec l’Iran, le Venezuela ou le Canada sont aujourd’hui des vœux pieux. Et même s’ils devaient se concrétiser, l’approvisionnement supplémentaire prendrait des mois.
d. La Chine rouvre, la saison des vacances (autrement dit la saison des voyages) approche et les réserves stratégiques sont à des niveaux historiquement bas. Bref, attachez votre ceinture de sécurité ! Je m’attends à un pétrole plus cher et nous devons directement nous demander quel en sera l’effet sur l’inflation. Si les prix se stabilisent au niveau actuel, les dégâts seront limités. S’ils augmentent encore, l’effet négatif de l’énergie reviendra à l’avant-plan. Naturellement, la hausse des prix du pétrole sème les graines d’un ralentissement économique et d’un recul des prix du pétrole.
2. Taux d’intérêt et marché boursier : adversaires mutuels
Dans tous les cas, les hausses de taux d’intérêt sont en vue. La seule question est de savoir combien il y en aura, et quelle en sera l’intensité (25, 50 ou 75 points de base ?). Cette semaine, il s’agissait déjà de 75 points de base, ce qui soulève également la question suivante : « Jusqu’à quel niveau la Fed peut-elle augmenter les taux d’intérêt sans trop pénaliser l’économie? »
C’est ce que les économistes appellent le point de neutralité : l’économie n’est ni stimulée ni freinée. Ce taux d’intérêt neutre est très important. Augmenter trop rapidement les taux d’intérêt pousse l’économie vers la récession. Les relever trop tard alimente encore davantage l’inflation et nous appauvrit tous. La crainte de taux d’intérêt trop élevés est aujourd’hui présente sur le marché.
Les analystes estiment que les taux d’intérêt à court terme atteindront 3 % (sur la base des contrats à terme) d’ici la fin de l’année. Lors d’une récente enquête menée auprès d’économistes, 70 % d’entre eux ont déclaré que les États-Unis entreront en récession l’année prochaine. Seul le moment différait. Certains considèrent un atterrissage en douceur comme un vœu pieux et certains économistes voient les taux d’intérêt à court terme atteindre 4 %, voire 5 % ou davantage. Ils se basent sur les périodes passées d’inflation très élevée. Il n’est dès lors pas surprenant que les marchés soient bouleversés ces derniers jours.
L’incertitude concernant la gestion de la pandémie en Chine joue également un rôle : la nouvelle ‘approche de test dynamique’ aura un impact majeur sur la croissance mondiale. Il ne faut pas oublier qu’au cours des années 2013 à 2018, la croissance chinoise a contribué à hauteur de 28 % à la croissance mondiale. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, la croissance chinoise aura également un impact sur les taux d’intérêt hors de Chine.
Et pourtant, nous devons être attentifs aux déclarations américaines concernant la récession. Ce que pensent ex ante les analystes d’éventuelles hausses de taux (on peut le voir par le biais des taux d’intérêt des contrats à terme de la Fed) ne correspond absolument pas à la réalité ex post (les taux d’intérêt à court terme effectifs de la Fed). Au contraire, les analystes surestiment (via les contrats à terme) la plupart du temps beaucoup trop les hausses. Cela se produira-t-il également cette fois-ci ? Il y a de fortes probabilités, car les premières fissures de la croissance américaine sont en vue.
Les déclarations des banquiers centraux en faveur d’une hausse des taux d’intérêt entraînent lentement un relèvement des taux d’intérêt, ce qui refroidit automatiquement l’économie, raison pour laquelle les nombreuses hausses de taux d’intérêt tant redoutées n’avaient pas eu lieu dans le passé.
3. La croissance sous pression
Examinons simplement le 30-Year Fixed Rate Mortgage Average (taux moyen des crédits hypothécaires à taux fixe à 30 ans). Aujourd’hui, il est de 6 %. Au début de cette année, il dépassait à peine les 3 %. Emprunter devient donc beaucoup plus cher. Examinons également les bénéfices des entreprises. La hausse des taux d’intérêt américains a rendu le dollar plus attractif au niveau international. En un an, l’indice large du dollar a augmenté de 7 %.
Mais il s’agit d’une moyenne. Par rapport au yen, nous avons assisté à un renforcement de plus de 20 %, idem par rapport à l’euro.
Et le dollar cher commence à faire mal aux exportateurs américains. L’effet monétaire négatif (principalement le dollar plus cher) aurait grignoté 40 milliards de dollars de bénéfices au premier semestre de cette année (contre 8 milliards de dollars au premier semestre de l’année précédente). Les premiers avertissements sur les bénéfices dus au dollar plus cher sont venus de sociétés telles que le géant Microsoft (logiciels), Salesforce, TJX (retail) et Guess (vêtements).
Il est difficile d’estimer quelle sera l’évolution future du dollar. De fortes hausses des taux d’intérêt pourrait le pousser encore plus haut (vers la parité avec l’euro et la livre, par exemple). Mais beaucoup dépendra de la croissance future en Amérique. Qu’en sera-t-il du marché boursier ?
Comme je l’ai mentionné dans mon précédent article, les taux d’intérêt et les bénéfices des entreprises jouent un rôle crucial. Une hausse de 1 % des taux d’intérêt a un effet négatif significatif sur la valorisation d’une entreprise. C’est ce que nous voyons se produire actuellement. Aussi douloureuse que soit la chute de 20 % du S&P500, la hausse des taux d’intérêt n’exclut pas une nouvelle baisse. Nous constatons la même chose avec le ratio cours bénéfices futurs, qui est aujourd’hui de 17,6. Mais il s’agit d’une estimation de la croissance des bénéfices. Les semaines et les mois à venir nous donneront un meilleur aperçu de l’évolution des bénéfices des entreprises et seront cruciaux pour l’évolution future des marchés boursiers.
Quoi qu’il en soit, marché boursier et taux d’intérêt sont des concurrents mutuels. Un simple exercice permet d’ailleurs de s’en rendre compte. Le ratio cours/bénéfice (derniers trimestres) de cet indice est de 22,4. Cela signifie que le rendement d’un tel investissement (bénéfice sur cours) est de 1/22,4 ou 4,45 %. Le taux d’intérêt à 10 ans aux États-Unis s’élève aujourd’hui à 3,34 %, de sorte que la prime pour investir dans le S&P500 est d’à peine 1,1 %. À titre de comparaison, au cours de la période 2020 et 2021, cette prime oscillait entre 2 et 3 %. Les investisseurs revoient désormais leurs ambitions à la baisse et optent pour la sécurité des obligations, même si c’est temporairement avec un rendement réel négatif.
Pourtant, sortir n’est pas une bonne chose. La recul actuel du S&P500 intègre déjà beaucoup de mauvaises nouvelles. Dans une perspective historique, la baisse actuelle de près de 20 % laisse certainement de la place pour de nouveaux achats diversifiés. Une baisse de 10 ou 15 % est encore possible. Les taux d’intérêt et les bénéfices des entreprises indiqueront la trajectoire future.
5. Valeurs de croissance : les taux d’intérêt leur font subir une pression supplémentaire
Un petit mot sur les valeurs de croissance. Le pire est-il derrière nous ? Je reste prudent. Je renvoie à cet égard aux prévisions de croissance à long terme de l’IBES (Institutional Brokers› Estimate System) pour les actions de croissance du MSCI US, citées par GMO AM. Même si celle-ci a fortement chuté ces derniers mois pour atteindre 15%, le secteur se situe toujours dans la fourchette haute de la croissance depuis 1996. Un chiffre tenable vers les 12,5 % me semble plus raisonnable. En outre, la prime des actions de croissance par rapport à leur moyenne à long terme est encore élevée. L’ampleur de la baisse éventuelle sera déterminée par les taux d’intérêt. Plus les taux d’intérêt augmenteront au cours des prochains mois, plus la baisse sera importante.
Pourtant, il y a des lueurs d’espoir. Les investissements des fonds de capital-risque ont connu une croissance énorme au cours des derniers trimestres (325 milliards de dollars en 2021 contre une moyenne de 150 milliards de dollars sur la période 2018-2020 - source Pitchbook). Les perspectives pour les dépenses IT en 2022 et 2023 semblent également très prometteuses. Pour 2023, nous constatons une augmentation d’environ 8 % par rapport à 2021. Et cette augmentation se produit dans presque tous les segments (centre de données, logiciels, appareils, services, etc.).
Je ne me prononce pas sur le succès de la RA ou de la RV. RA est l’abréviation de réalité augmentée. Vous l’utilisez par exemple sur votre téléphone, où vous ajoutez des informations au monde réel. RV est l’abréviation de réalité virtuelle. Vous voyez un monde totalement virtuel grâce aux lunettes de RV, par exemple. Eh bien, Apple travaille activement pour installer la RA sur son iPhone et les chercheurs de Citi s’attendent à ce qu’un milliard de personnes utilisent la RA avec des écouteurs d’ici à 2030. La percée sera-t-elle aussi rapide que prévu ? La question reste ouverte, mais constitue dans tous les cas une étude d’investissement passionnante.
La sélection de ces valeurs de croissance dans votre portefeuille ou fonds reste cruciale. Dans la même étude de GMO AM, ils parlent de 37 % de valeurs de croissance dans l’indice de croissance élargi, où les perspectives de croissance ne sont pas atteintes comme estimé par le marché. Le savoir-faire et l’expérience du gestionnaire sont donc cruciaux à cet égard.
Cela prouve également la valeur ajoutée du gestionnaire professionnel. Par sa sélection minutieuse, il sépare le bon grain de l’ivraie, contrairement à un tracker passif où le bon grain et l’ivraie se trouvent mélangés.
6. Assurez un portefeuille diversifié. Dans le numéro précédent, j’avais évoqué les marchés boursiers chinois et asiatiques, moins chers. Ceux qui y ont réparti leurs investissements ont vu leur mise augmenter légèrement, un beau tampon pour compenser les pertes dans les actions américaines ou de croissance. Cela démontre joliment les avantages de la diversification, qui reste plus cruciale que jamais.
7. Encore un mot sur la hausse des taux d’intérêt dans la zone euro, et en particulier dans les pays du sud. Ces dernières semaines, nous avons lu dans les journaux les premiers gros titres déclarant que ‘la limite critique est en vue’. Soyez prudents. Si les écarts de taux d’intérêt continuent à augmenter pour les pays du sud, la spéculation du marché pourrait apparaître.
Mais Madame Lagarde a déjà indiqué à plusieurs reprises qu’elle pourrait intervenir par des achats supplémentaires si la situation devenait incontrôlable. Les marchés deviendront plus volatils à ces moments-là.
Ne vous inquiétez pas trop. L’Europe et la zone euro continuent à se développer et se renforcer structurellement. La guerre en Ukraine montre plus que jamais les avantages d’une Union forte. Petit commentaire sur l’Italie : avec la forte inflation italienne (qui se dirige vers les 7 % en mai), la dette italienne diminue automatiquement en tant que pourcentage des revenus de l’Italie.
Selon les estimations, la dette devrait diminuer de 10 % et plus du revenu national en 2022. L’échéance moyenne de sa dette est de 7 ans et elle paie un taux moyen de 2 %. Le pays utilise encore le programme d’achat d’obligations et bénéficiera du Next generation EU Reconstruction Fund (2023-2025).
8. Une époque volatile … Répartissez donc plus que jamais vos achats
Mon conseil reste de répartir vos achats sur les prochains trimestres et d’être patient.
Regarder chaque jour l’aperçu de votre portefeuille numérique ne fera que vous causer du stress. Aussi belle et attrayante que soit la présentation numérique, consulter quotidiennement vos cours est une garantie d’agitation et non d’investissement.
Personne ne sait ce que les taux d’intérêt et le marché boursier feront dans les semaines ou les mois à venir. Pour terminer avec une citation de Warren Buffett : « Un investissement réussi demande du temps, de la discipline et de la patience. Peu importe l’ampleur du talent ou des efforts, certaines choses prennent tout simplement du temps. »
Jan Vergote est gérant d’Investment Talks et a été stratège en chef chez Belfius Banque pendant 30 ans. Aujourd’hui, il est également expert en connaissances chez Investment Officer.