Un aperçu par région des principales lignes de craie. Les actions américaines ne sont pas bon marché.
1. Les États-Unis
1.a. Taux d’intérêt et inflation
Malgré des taux d’intérêt nettement plus élevés, l’économie américaine reste en bonne santé. Les ventes au détail, la confiance des entreprises et les prix des biens industriels sont repartis à la hausse, le secteur des services reste prometteur et le marché du travail reste tendu (voir par exemple le nombre de nouveaux emplois plus élevé que prévu) avec une croissance des salaires supérieure à 4 % d’une année sur l’autre. Heureusement, la productivité a également augmenté de 3,5 %, ce qui a freiné la croissance des salaires. Le chômage a augmenté, mais la hausse de la participation à la population active y est pour quelque chose. Les salaires en particulier donnent des maux de tête à la banque centrale. Une forte croissance des salaires laisse généralement présager une inflation élevée et des taux d’intérêt élevés.
D’un autre côté, des taux d’intérêt élevés constituent un sérieux frein à la croissance. Le nombre d’emplois disponibles est passé de 9,2 millions à 8,8 millions, bien en deçà des attentes de 9,5 millions. Certains y voient une première pression sur le marché du travail. Le secteur des biens de consommation (par exemple Reckitt, Kraft Heinz, etc.) subit également des pressions sur ses marges et voit sa part de marché diminuer légèrement au profit des produits blancs. Cela ne doit pas nous surprendre. Non seulement tout est devenu plus cher ces dernières années, mais l’emprunt pèse aussi lourdement sur le budget des familles. En effet, nous constatons que la hausse des taux d’intérêt se traduit concrètement par un taux d’intérêt réel de près de 2 %. Cela fait 15 ans que l’on n’avait pas vu un niveau aussi élevé. Ces taux d’intérêt montrent le coût réel de l’emprunt pour les entreprises et les familles. Il suffit de penser aux ventes de prêts immobiliers, qui ont fortement diminué au cours des derniers mois. L’augmentation des défauts de paiement sur les cartes de crédit est également un signe avant-coureur.
Nous nous référons également à Klaas Knot, président du FSB (Financial Stability Borad) à Bâle. La semaine dernière, il a indiqué que la reprise économique s’essoufflait et que les effets de la hausse des taux d’intérêt se faisaient de plus en plus sentir. Il s’attend à ce que le système financier soit confronté à des défis majeurs à l’avenir et a mentionné en particulier le secteur de l’immobilier, où des taux d’intérêt plus élevés pourraient créer des risques supplémentaires.
Toutefois, l’indice NFCI (National Financial Conditions Index) de la FRB de Chicago indique que les conditions financières ne se sont pas vraiment resserrées, malgré des taux d’intérêt nettement plus élevés. C’est peut-être la raison pour laquelle la banque centrale reste prudente et laisse même la porte ouverte à une dernière hausse des taux d’intérêt à la fin de l’année.
1.b. Le marché boursier
Pour l’instant, le S&P500 reste le plus performant des indices MSCI. Malgré la récente baisse, il se négocie aujourd’hui (8/9) avec un gain de 16% depuis le début de l’année (avec un dollar stable). Nous énumérons quelques points.
Avec un ratio cours/bénéfice attendu de 18,5, ce marché boursier peut difficilement être qualifié de bon marché. Il se négocie à près de 25 % au-dessus de sa moyenne à long terme. La prime de risque (que nous calculons comme le rendement du S&P500 moins le rendement à 10 ans des bons du Trésor protégés contre l’inflation, soit 1/20 - 2 ou une prime de risque de 3 %) indique également que le marché est cher. Bien entendu, cette prime peut encore baisser. En 2000, elle était de -1,5 %. L’engouement pour l’internet était en partie à l’origine de cette anomalie. En ira-t-il de même avec le battage autour de l’IA ?
Les bons résultats du S&P500 sont principalement dus au Big 7, très discuté dans la presse. Selon Alphabet, l’intelligence artificielle est la nouvelle électricité ou le nouveau feu. Le cabinet de conseil McKinsey parle d’une valeur économique supplémentaire annuelle de 2,6 à 4,4 milliards de dollars. Comme référence, le journal FT prend le Royaume-Uni : son PIB était de 3,1 milliards de dollars en 2021. Un nouveau Royaume-Uni s’ajoute donc chaque année.
Pourtant, des voix discordantes s’élèvent. Le spécialiste en technologie Gary Marcus, par exemple, estime que des corrections importantes sont possibles si des applications concrètes et rentables sont retardées ou ne voient jamais le jour. Cofondateur du Center for the Advancement of Trustworthy AI, il évoque notamment le manque de fiabilité des modèles. Une fiabilité très élevée est également une condition sine qua non pour le gouvernement américain : il parle d’un «niveau de fiabilité de cinq 9» (99,999 %). La barre a donc été placée très haut. Je me demande combien d’entre eux vont trébucher.
Mais revenons aux sept grands. Il ne faut pas oublier que la hausse du cours de leurs actions est principalement due à l’augmentation du prix des bénéfices. Quelques exemples : Tesla se négocie à un prix sur les bénéfices attendus de 55 (presque multiplié par trois depuis le début de l’année), Apple 27 (contre 19), Nvidia 44 (contre 30). Ces chiffres élevés demandent clairement à être confirmés dans les mois à venir.
Le marché en général réagit en conséquence : même les bons résultats des entreprises ne sont guère récompensés. Il n’y a donc pas grand-chose qui puisse aller de travers dans les mois à venir. De nombreux analystes parlent d’un atterrissage en douceur, et même le mot Boucles d’or revient sur le tapis. Personnellement, je suis plus prudent. Plus les taux d’intérêt resteront élevés, plus les consommateurs et les entreprises en souffriront à l’avenir. L’atterrissage pourrait ne pas être aussi doux que prévu.
Un dernier mot sur les sept grands. Les fonds gérés passivement et les fonds indiciels, ainsi que les investisseurs institutionnels et les particuliers, détiennent des positions massives dans ces sept titres. En cas de repli du marché, cela pourrait avoir un effet de renforcement.
Le secteur des technologies se négocie aujourd’hui à un cours sur les bénéfices attendus de 26, un chiffre qui continue de supposer une forte croissance des bénéfices. Protégez-vous contre une baisse et prenez 20 % de ce secteur dans votre portefeuille (le MSCI en contient 22,2 %).
Un mot encore sur le marché boursier américain en général. Il est cher, mais il a aussi de nombreux atouts. L’économie américaine est extrêmement libérale. La restructuration d’une entreprise est beaucoup plus rapide (et plus douloureuse pour la population) qu’une entreprise européenne. Le président Biden arrose aujourd’hui les entreprises de milliards de subventions (cfr IRA ou Inflation Reduction Act). Les États-Unis ont une population active croissante (qui apporte une croissance supplémentaire par la consommation et le travail) et, enfin, ils ont un secteur technologique très performant, que le reste du monde ne peut pas égaler aujourd’hui. Le revers de la médaille des subventions Biden est l’augmentation de la dette publique. Nous savons qu’un tiers de la dette publique totale devra être renouvelée l’année prochaine (source : Torsten Slok - Apollo). La banque centrale n’a certainement pas oublié les turbulences liées aux obligations de mars 2020. Le secteur des fonds spéculatifs et d’autres intermédiaires non bancaires lui causent manifestement des maux de tête. L’année prochaine ne sera pas une partie de plaisir pour les marchés financiers.
Le tableau est donc mitigé. Je maintiens ma position en actions américaines à 40 %.
2. La zone euro
2.a. Taux d’intérêt et inflation
La hausse des taux d’intérêt, l’impact de la guerre en Russie et la lenteur de la reprise chinoise nuisent clairement à l’Europe. L’impact de la hausse des taux d’intérêt se traduit dans la masse monétaire : l’indicateur M3 (qui comprend les dépôts, les prêts et les liquidités en circulation) a baissé de 0,4 % pour la première fois en 13 ans. Les calculs préliminaires indiquent une forte baisse des prêts aux entreprises et aux ménages. Par exemple, l’indicateur avancé de la construction dans la zone euro a encore baissé pour atteindre 43,5. Même si la baisse est limitée, il ne faut pas oublier que le secteur représente un peu moins de 10 % de la production brute de la zone euro.
Si l’on ajoute à cela les problèmes de l’Allemagne, à savoir la faiblesse de la production industrielle et la baisse des dépenses de consommation, il n’est pas étonnant que l’Institut Kiel pour l’économie mondiale ait revu à la baisse ses prévisions de croissance pour l’Allemagne en 2023 (de -0,3 % à -0,5 %). En d’autres termes, une légère récession. Le pays souffre également de problèmes structurels : infrastructures vétustes, population vieillissante, impôts élevés, bureaucratie, sous-digitalisation de l’administration… Il n’est pas surprenant que l’Allemagne soit tombée à la 22e place (sur 64 grands pays) dans le classement des entreprises de l’IMD, alors qu’il y a 10 ans, elle était encore dans le top 10. M. Brzeski d’ING est sceptique : selon lui, les plans de réforme globaux ne se concrétisent pas. Pourtant, de nombreux services d’études et administrateurs considèrent que les choses évoluent positivement. Des améliorations structurelles sont en cours (même si elles sont fragmentaires). Union Investment, par exemple, voit l’Allemagne revenir sur la voie d’une croissance moyenne de la zone euro de 1,5 % en 2025.
Malgré ces faibles perspectives de croissance, l’inflation reste un casse-tête pour les analystes. Ils estiment que l’inflation à 5 ans (ou l’inflation attendue dans les 5 ans à venir) est supérieure à 2,5 %, en partie à cause de l’augmentation des prix de l’énergie et des denrées alimentaires (qui se traduit par une hausse des salaires). Récemment, nous avons constaté l’impact de l’inflation dans le secteur du tourisme : les voyages en avion sont devenus presque 32 % plus chers (source : RDC) et Accor (la plus grande chaîne hôtelière d’Europe) a augmenté ses prix de 18 % au cours du premier semestre de cette année par rapport à l’année dernière.
L’inflation de base a légèrement diminué pour atteindre 5,3 % (5,5 % en juillet). Isabel Schnabel (membre de la BCE) a également fait référence à une croissance plus faible que prévu.
La poursuite d’une inflation plus élevée ne peut être exclue compte tenu du taux de chômage très bas, de la participation élevée de la population active et de la croissance de l’emploi. L’inflation globale est restée à 5,5 % le mois dernier (les prix des services ayant augmenté de 5,6 %). La hausse des prix de l’énergie (le baril de pétrole atteint 90 dollars, soit presque le niveau d’il y a un an) joue également un rôle dans l’inflation globale. Nous devons donc surveiller l’évolution de ses prix.
Il souffle donc le chaud (inflation) et le froid (croissance), la BCE sait donc à quoi s’en tenir.
2.b. Le marché boursier
Les effets de la facture énergétique et de la faible confiance des consommateurs se retrouvent dans les gains du Stoxx 600 : une baisse de 17% en glissement annuel au second semestre (soit plus du double de la perte du S&P500 de 6,5%). Même si un ralentissement de la croissance est en cours, ce n’est pas un drame en soi. Les bourses ne cotent pas cher : vous achetez la bourse allemande à un prix sur les gains attendus de 10,7, la France, où les titres Macron affichent pourtant leurs premiers résultats cote à 13, l’Italie où Mme Meloni soutient les entreprises par tâtonnements cote à 8… Tourner le dos à la bourse européenne aujourd’hui est un gâchis.
Il n’y a donc aucune raison de repenser l’allocation en actions européennes. Le Stoxx 600 a progressé d’à peine 5,5% (8/9) depuis le début de l’année, soit une perte de 10% par rapport au S&P500 (le dollar s’est stabilisé autour de 1,075 durant cette période). Il reste encore 4 mois. L’Europe parviendra-t-elle à effacer une partie de son retard ou l’Amérique restera-t-elle largement en tête ? Les taux d’intérêt joueront un rôle crucial (la croissance et le prix du pétrole étant des éléments clés). Si le prix du pétrole dépasse 100, il y aura une pression sur les taux d’intérêt et les marchés boursiers.
Je maintiens les actions européennes à 40% du portefeuille.
3. La Chine
L’histoire de la Chine reste difficile. Alors qu’au début de l’année, nous espérions une reprise de la croissance, nous constatons qu’elle ne se matérialisera pas immédiatement. L’excès d’épargne (ou l’épargne thésaurisée) reste dans les poches, la méfiance des entreprises reste élevée et la géopolitique continue de peser sur la croissance. Alors que le marché comptait sur diverses mesures de relance, le grand bazooka reste dans la poche. Plusieurs raisons à cela. Les dettes sont déjà élevées, il n’est donc pas question de jeter de l’argent par les fenêtres. Le président ne veut pas de cadeaux : il veut que les différents acteurs économiques (gouvernements régionaux, entreprises, consommateurs) prennent leurs responsabilités chacun de leur côté. Cela prend plus de temps pour produire des effets, mais c’est plus durable à long terme.
Les spécialistes en géopolitique soulignent les priorités stratégiques telles que les investissements chinois dans la technologie, la sécurité et la croissance autonome. Les non-croyants chinois soulignent principalement le déclin démographique et parlent d’une japonisation de la Chine, en référence aux problèmes économiques auxquels le Japon a été confronté dans les années 1990-2000, avec une croissance faible, des niveaux d’endettement élevés, combinés à des valorisations boursières en forte baisse, une faible confiance des consommateurs et des produits, et une faible inflation, malgré de nombreuses incitations. Le mélange de contrôle gouvernemental et d’initiative privée est également difficile, écrit Stephen Roach (Yale Law School). Andy Rothman, analyste en investissement chez Matthews Asia, évoque trois problèmes : la résistance des consommateurs chinois, l’attentisme des entrepreneurs et le manque de pragmatisme des décideurs politiques. A mon avis, un pessimisme exagéré.
Je reste convaincu qu’il ne faut pas faire une croix sur la Chine. L’inflation de base est passée de 0,4 % à 0,8 % en juillet (en glissement annuel et en juillet, la première augmentation mensuelle depuis 6 mois). Les prix à la production ont encore baissé de 3 % en glissement annuel, mais beaucoup moins qu’en juillet (-4,4 %). Les marques de luxe (par exemple LVMH) ne voient pas non plus la situation se dégrader à l’avenir. N’oublions pas les chantiers stratégiques qui occupent la Chine (par exemple la maîtrise de la technologie qu’elle veut voir tissée dans tous les pans de son économie, mais aussi le déploiement stratégique de masse de la voiture électrique).
Une étude récente de Gavekal dans le journal FT cite quelques éléments qui relativisent les difficultés de la Chine. Les valeurs bancaires ne laissent en aucun cas présager un Armageddon financier, bien au contraire. L’indice composite Changhai est toujours au-dessus de sa moyenne de 200 jours, il n’y a donc pas lieu de paniquer non plus. L’indice des matières premières, CRB, baromètre des importations chinoises de matières premières, n’indique pas non plus de ralentissement majeur, écrivent-ils. Les ventes de voitures restent fortes et Alibaba a enregistré son meilleur résultat au premier trimestre. À l’instar de Mme Tett du FT, M. Gavekal souligne un danger bien plus réel, à savoir le marché obligataire américain, qui a subi des pressions considérables au cours des derniers mois et qui devrait continuer à en subir compte tenu du volume important d’obligations arrivant à échéance l’année prochaine. La Chine sera-t-elle utilisée par la presse occidentale pour masquer les faiblesses des États-Unis ? L’avenir nous le dira.
La diversification régionale et sectorielle reste plus que jamais d’actualité.
Jan Vergote est un consultant et analyste financier indépendant.