TINA a disparu, ce qui n’est pas une mauvaise chose, et il ne faut surtout pas déjà faire une croix sur le portefeuille 60/40. Et le secteur de la gestion d’actifs a eu un impact évident sur la société et la durabilisation.
Les 17 et 18 novembre, l’EFAMA, l’association européenne des gestionnaires d’actifs et des fonds, a organisé sa conférence annuelle, l’Investment Management Forum. La journée était axée sur le débat des CEO, auquel ont participé Maxime Carmignac de Carmignac Gestion, Peter de Coensel de DPAM, Patrick Thomson de JP Morgan Asset Management et Hans Stoter d’Axa Investment Managers.
Carmignac a cité un paradoxe : avec une inflation plus élevée, l’argent perd rapidement de sa valeur, c’est pourquoi il faut investir pour maintenir le pouvoir d’achat. Elle a mentionné que 185 milliards d’euros ont déjà quitté le secteur cette année, la pire année depuis 2008. « Mais après les sorties de fonds du secteur des titres à revenu fixe, le verre est de nouveau à moitié plein. »
Thomson était sur la même longueur d’onde et a souligné la nécessité de profiter d’une inflation plus élevée pour investir davantage. « Il s’agit d’un phénomène cyclique. »
De Coensel s’est montré plus prudent. « Je pense que nous devons être modestes dans nos perspectives. Alors que les banques centrales ont réussi à juguler l’inflation en relevant les taux d’intérêt, 2023 pourrait potentiellement être une année désinflationniste. Il existe cependant une grande différence entre les investisseurs retail et les investisseurs professionnels. Les investisseurs retail vivent un choc comparable à celui de 2008, et seules une tarification et une transparence appropriées permettront de rétablir la confiance. Les investisseurs institutionnels doivent se concentrer sur leur horizon d’investissement et la construction de portefeuille. »
Stoter l’a formulé de manière beaucoup plus plastique. « Je suis heureux que TINA (There Is No Alternative) ait disparu. Pour les investisseurs retail, le secteur des revenus fixes redevient peu à peu une alternative attrayante. Il est devenu une classe d’actifs plus stable grâce à des taux d’intérêt plus élevés. »
Populaire
Interrogé sur les classes d’actifs actuellement les plus populaires, Carmignac a cité les fonds Article 9 sous SFDR, qui ont attiré 30 milliards d’euros de flux positifs. Pour l’année prochaine, elle voit un potentiel dans les obligations d’entreprises, dont les taux de défaillance attendus sont à son avis actuellement trop pessimistes.
Les portefeuilles 60/40 ont également été abordés. Ce point a fait l’objet d’un vif débat parmi les professionnels, précisément en raison de la corrélation positive entre les actions et les obligations, qui a fait des ravages dans les portefeuilles cette année. Thomson a marqué son désaccord avec l’affirmation selon laquelle ces portefeuilles sont morts. « L’opportunité d’éliminer les risques des actifs risqués en diversifiant avec des titres à revenu fixe a de nouveau beaucoup augmenté maintenant que les taux d’intérêt sont redevenus largement positifs. »
Selon lui, l’allocation active d’actifs peut à nouveau jouer un rôle important. « Cela ne doit pas nécessairement s’exprimer dans un portefeuille 60/40, mais je suis convaincu que le concept de diversification réelle en termes de régions, de classes d’actifs et de produits peut vraiment aider, surtout les investisseurs retail. Je pense donc que les flux vers les titres à revenu fixe vont se poursuivre. Mais pour l’année prochaine, je suis également plus optimiste pour les actions, qui ont déjà subi une forte correction. »
À cet égard, Sloter a mentionné que les obligations d’entreprises et les obligations à haut rendement à court terme sont intéressantes.
Europe
« Le marché européen des fonds n’existe pas en tant que tel », a déclaré Stoter en guise de boutade. Selon lui, le secteur est trop fragmenté. Il a été rejoint en ce sens par Carmignac, très active aussi bien en France qu’au Royaume-Uni, qui a déclaré que « deux tiers des Français préfèrent parler de leur propre mort que d’argent ». Selon elle, l’éducation joue un rôle essentiel à cet égard.
Thomson : « La moitié de tous les actifs en Europe sont des dépôts. Cela peut nettement s’améliorer. La politique gouvernementale peut fonctionner efficacement, en combinaison avec des initiatives sectorielles. Il suffit de penser, par exemple, à l’‘auto enrollment programme’ au Royaume-Uni, qui a obligé les gens à commencer à investir pour leur pension. C’était une combinaison de nudging et de politique. J’y vois d’ailleurs de grandes opportunités pour les fintechs qui comprennent vraiment l’expérience client. »
Coût
Avec l’environnement de marché difficile, l’indexation des salaires en Belgique, l’augmentation des coûts et la diminution de la base d’actifs, les coûts font l’objet d’une discussion animée dans les salles de direction des gestionnaires d’actifs. Carmignac a déclaré que son entreprise « continue à investir à contre-courant dans les personnes et les ressources. » De Coensel a également confirmé que DPAM continue de recruter, et que « les analystes et les gestionnaires doivent être encore plus proches des clients pour leur faire prendre conscience des risques et opportunités liés à leurs produits d’investissement. »
Éducation
Peu de choses sont faites pour sensibiliser les personnes à l’éducation financière et les familiariser avec les produits financiers dès leur plus jeune âge, le problème est bien connu. Carmignac préconise de faire comprendre le concept des intérêts composés dès le plus jeune âge au moyen d’exemples, notamment dans les cours de mathématiques et d’économie. « Je constate cependant aussi une forte inégalité entre les sexes sur le plan financier. Une grande partie de la richesse est encore concentrée chez les hommes.
Étant donné que 69 % des femmes vivent plus longtemps que les hommes, elles finiront par détenir une part plus importante de la richesse. Mais le secteur financier n’attire pas suffisamment les femmes. Les hommes veulent savoir comment investir et les femmes, pourquoi investir, et pensent à plus long terme. Nous avons encore un long chemin à parcourir en matière de transparence et de proposition des bons produits financiers. »
À cet égard, De Coensel estime également que « les marchés privés et publics doivent davantage converger. Nous devons briser les silos entre les deux. »
Durabilité
En tant que sujet brûlant, la durabilité a bien entendu été abordée lors du débat. Carmignac a appelé le secteur à la modestie, car « seulement un tiers des émissions mondiales de CO2 proviennent de sociétés cotées. » De Coensel a appelé les propriétaires comme les gestionnaires d’actifs à être plus ambitieux pour jouer un rôle significatif. « Ils doivent se tendre la main pour travailler ensemble. L’engagement collectif devient fondamental afin de trouver une solution, et faire pression sur les résolutions des actionnaires constitue également un puissant levier. »
Stoter a quant à lui constaté que « l’ESG est trop utilisé en tant que facteur de différenciation parmi les gestionnaires d’actifs. Il s’agit plutôt d’un élément sur lequel le secteur peut travailler collectivement dans une véritable perspective à long terme. »
Thomson n’était pas entièrement d’accord, affirmant qu’« au bout du compte, l’argent reste celui du client, pas le nôtre. C’est le client qui décide de ce dans quoi il veut investir. »
Le greenwashing reste également un défi majeur et un réel problème. Tous les panélistes ont convenu de l’importance de données cohérentes et de la transparence, en combinaison avec une bonne réglementation. « En fin de compte, nous pouvons toujours dire que notre secteur a créé un impact et qu’il a contribué à la durabilisation », a-t-on déclaré d’une seule voix en guise de conclusion.