
Pourquoi « shit » est la première pensée qui lui a traversé l’esprit lorsqu’on lui a demandé de devenir CEO de Gimv ? Pourquoi l’arrogance est-elle fatale pour un gestionnaire d’investissement ? Et pourquoi mange-t-il toutes les deux semaines de la soupe de tomate aux boulettes ? Koen Dejonckheere, CEO de la société d’investissement Gimv, nous l’explique dans un nouvel épisode de notre podcast Le Miroir.
Depuis 2008, Koen Dejonckheere occupe le poste d’administrateur délégué de la société d’investissement Gimv, qui investit dans une soixantaine d’entreprises représentant une valeur totale d’environ 1,7 milliard d’euros. « Mais nous restons modestes. À l’ouverture de chaque session de notre comité exécutif, nous mangeons de la soupe de tomate aux boulettes et des pistolets tigrés avec du fromage ou du jambon. Cela illustre notre approche pragmatique. Je n’ai d’ailleurs pas de bureau personnel : je travaille à une table de réunion. »
Ce style informel est important pour Koen Dejonckheere : « Un formalisme excessif peut entraver la circulation de l’information et la communication informelle. Nous ne nous prenons pas trop au sérieux, mais nous abordons notre activité avec la plus grande rigueur. Et cela nous permet de rester humbles. La modestie est une qualité essentielle dans notre métier. »
« Un bon gestionnaire d’investissement doit rester ouvert d’esprit. Dès l’instant où l’on pense tout savoir, on perd cette modestie et cela devient de l’arrogance. Or dans le monde de l’investissement, l’arrogance est fatale. Elle vous pousse à croire que vous savez tout mieux que les autres. Vous vous basez alors sur des hypothèses qui ne sont ni actuelles ni pertinentes pour le dossier sur lequel vous travaillez. Vous évaluez alors mal les risques ou n’identifiez plus les opportunités. »
Même métier, fonctions différentes
Koen Dejonckheere a débuté sa carrière comme banquier d’affaires à l’ancienne BBL (aujourd’hui ING Belgique). Il a ensuite travaillé pour les groupes de capital-investissement Halder et Nesbic, avant de rejoindre KBC Securities, dont il a finalement pris la direction. Chez KBC Securities, il a notamment supervisé les introductions en Bourse de Belgacom (aujourd’hui Proximus), Telenet, VGP et Ablynx.
« Durant cette période, je disais souvent que je n’avais jamais vraiment eu l’impression de changer de métier. La carte de visite avait peut-être changé, mais l’essence de mon travail demeurait la même : chercher le point de convergence entre stratégie et croissance avec des entrepreneurs. Et toujours en se posant la même question : comment financer cela ? »
De Moscou à Anvers
« Shit. » C’est la première pensée qui lui a traversé l’esprit lorsqu’on lui a demandé de quitter KBC Securities pour Gimv. « J’étais absolument convaincu que je resterais chez KBC au moins jusqu’à ma pension. Je considérais – et je considère toujours – que c’est une entreprise formidable, dotée d’une éthique forte et d’un excellent ADN. Mais le président Herman Daems m’a appelé, et tout a basculé. À l’époque, j’envisageais de partir à Moscou pour y lancer une nouvelle division. J’avais vendu ma maison en périphérie bruxelloise et nous venions de nous installer à Roulers. Mais je n’ai pas pu résister au défi que représentait Gimv. En revanche, je ne pouvais pas demander à ma famille de déménager encore une fois. Aujourd’hui, je fais donc la navette entre Roulers et Anvers. C’est un peu plus long, mais ce n’est certainement pas la fin du monde. »
En avance sur les troupes
Koen Dejonckheere avait 39 ans lorsqu’il a pris la tête de Gimv, une société cotée. « Je me dis parfois que je suis devenu CEO trop jeune. J’étais le plus jeune membre du comité de direction et j’avais encore beaucoup à apprendre. L’erreur que je commettais le plus souvent au début, c’était d’être trop en avance sur les troupes. Mais ce n’est pas le rôle d’un CEO. Vous devez vous assurer que vos collaborateurs réussissent dans leurs missions. Cela implique de leur accorder l’espace et la confiance nécessaires pour prendre des initiatives dans le cadre des processus définis. Diriger tout en restant en retrait, c’est une compétence que j’ai vraiment dû apprendre. »
Et quel est aujourd’hui son principal point d’amélioration ? « Je suis un esprit libre, ce qui signifie que j’ai parfois des idées un peu impulsives. Mais je dois veiller à ne pas inonder tout le monde avec ces idées au quotidien. Il m’arrive de dire quelque chose alors que je réfléchis simplement à haute voix, et mes collaborateurs commencent déjà à s’activer. Je dois apprendre à gérer cela. Et j’ai aussi plus d’idées que je ne peux en concrétiser. Je pense que je suis meilleur entrepreneur que manager. Toutes ces techniques et méthodologies de gestion me laissent parfois perplexe. Ce n’est pas mon point fort et il est probablement trop tard pour apprendre, mais j’espère que mes qualités compensent ces lacunes. »
« Je suis profondément reconnaissant envers certaines personnes qui ont fait preuve de patience à mon égard dans ma vie privée », confie Koen Dejonckheere à propos de l’équilibre entre travail et vie privée. « Je suis heureux que WhatsApp existe aujourd’hui. Chez nous, nous discutons et échangeons peut-être encore plus que d’autres sur WhatsApp via notre groupe familial. Comme je ne peux pas toujours être présent physiquement, cela m’aide à rester en contact. »
Il se remémore ces moments avec des sentiments partagés : « Le temps file à une vitesse incroyable, vraiment. Je ne veux pas paraître trop sentimental, mais l’enfance passe en un clin d’œil. Bien sûr, c’est dommage. Mais je crois que c’est aussi une question de mentalité, une façon d’aborder la vie. On fait ce qu’on peut. Parfois ça fonctionne, parfois moins. C’est comme ça. Ça me désole toujours un peu d’entendre quelqu’un dire : « Si c’était à refaire… » Allons, soyons honnêtes. Nous sommes tous des êtres humains qui ont eu des opportunités à un moment ou à un autre. Je n’ai aucun regret. »
Écoutez l’intégralité du podcast Le Miroir (en néerlandais) avec Koen Dejonckheere et découvrez :
- comment sa passion pour les usines l’a mené au secteur bancaire
- pourquoi de plus en plus d’entreprises tournent le dos à la Bourse
- le contenu de son « book of shit »
- comment il « vole » du temps libre
- comment sa famille d’entrepreneurs de Flandre-Occidentale a été prise au dépourvu face à son choix de travailler pour un patron à Bruxelles
- quelle usine il veut encore absolument visiter
🎧 Écoutez le podcast Le Miroir (De Spiegel) via https://lnkd.in/etcfyvxd, Apple Podcast (https://lnkd.in/ecRAvg9j) ou Spotify (https://lnkd.in/e5jXtSub).