
Pour la première fois depuis onze ans, la BCE va relever ses taux d’intérêt afin de tenter de contrer l’inflation persistante. Elle arrêtera également les achats d’actifs financiers à partir du 1er juillet, ce qui marquera la fin d’une longue période d’assouplissement monétaire et de politique de taux d’intérêt négatifs à Amsterdam.
Bien que les prix de l’alimentation et de l’énergie dominent toujours la dévaluation monétaire européenne, la BCE, par la voix de sa présidente Christine Lagarde, reconnaît que « les pressions inflationnistes se sont accélérées et élargies et que de nombreux biens et services se sont ainsi considérablement renchéris. »
Les dernières projections de la BCE tablent sur une inflation annuelle de 6,8 % pour la zone euro cette année, avant une décrue à 3,5 % en 2023 et à 2,1 % en 2024, des chiffres nettement en hausse par rapport aux projections de mars. Lagarde déclare que les perspectives d’inflation se situent ‘à un niveau élevé indésirable’ et les attribue principalement au conflit en Ukraine.
25 points de base
La BCE se dit prête à utiliser l’ensemble des instruments actuels et, si nécessaire, à les ajuster afin de faire en sorte que l’inflation se stabilise à l’objectif de 2 % à moyen terme. Les taux d’intérêt directeurs seront donc relevés de 25 points de base en juillet et probablement en septembre, selon la décision unanime du Conseil des gouverneurs. Bien que le rythme d’ajustement dépende des données à venir, la BCE s’attend à ce qu’un nouveau relèvement graduel mais régulier des taux d’intérêt directeurs soit approprié.
Onze ans après le président de la BCE Jean-Claude Trichet, qui avait relevé à deux reprises les taux d’intérêt directeurs de 25 points de base, Christine Lagarde lui emboîte le pas. Ce faisant, la banque centrale de la zone euro fait sortir le taux de base du territoire négatif pour la première fois depuis 2014.
« Si les chiffres restent décevants, des mesures plus importantes devront être prises en septembre afin d’arrêter la dévaluation », a déclaré Lagarde, refusant de quantifier un éventuel prochain relèvement des taux.
Lagarde : « Commencer par une augmentation progressive significative, mais pas excessive est une bonne pratique. C’est tout un parcours, et nous verrons comment les marchés réagiront. »
L’assouplissement monétaire s’arrête
Le 1er juillet, la BCE cessera également d’acheter des obligations d’État et d’entreprises dans le cadre de l’Asset Purchasing Programme (programme d’achat d’actifs, APP). Cette décision marque la fin de l’assouplissement monétaire de la banque centrale après sept ans. L’effet positif de Francfort sur le marché actions commencera donc à s’estomper le mois prochain.
« Les titres arrivant à échéance achetés dans le cadre de l’APP seront réinvestis aussi longtemps que nécessaire afin de maintenir des conditions de liquidité abondantes et une orientation appropriée de la politique monétaire », a déclaré Lagarde. « Pour le Pandemic Emergency Purchase Programme (programme d’achat d’urgence face à la pandémie, PEPP), les obligations arrivant à échéance seront réinvesties au moins jusqu’en 2024. »
Wolfgang Bauer, spécialiste des obligations chez le gestionnaire d’actifs M&G, déclare que la décision de mettre fin au programme d’achat pourrait entraîner une volatilité supplémentaire du marché. « Sans achats nets, les marchés n’ont pas de filet de sécurité. Cela pourrait entraîner des périodes de volatilité accrue à l’avenir. »
Bauer : « Cependant, étant donné l’inflation, je pense que la barre est très haute pour revenir sur la fin des achats d’actifs. À mon avis, il faudrait une grave détérioration des fondamentaux économiques et une correction abrupte du marché pour remettre les achats d’actifs à l’ordre du jour. »
Spreads
Pour la périphérie de la zone euro en particulier, la hausse des taux d’intérêt sera plus difficile à digérer car le poids de la dette augmentera. La BCE activera un programme d’urgence spécial afin de soulager les marchés de la dette des pays les plus vulnérables, comme l’Italie et la Grèce, au cas où les investisseurs leur tourneraient le dos. « La BCE ne tolérera aucune fragmentation susceptible d’entraver la transmission de la politique monétaire dans l’ensemble de la zone euro », a déclaré la présidente Lagarde lors de la conférence de presse.
L’écart de taux d’intérêt entre les obligations italiennes et allemandes à 10 ans s’était déjà élargi à 2,08 % cette année avant la décision de la BCE. Mercredi après-midi, il a atteint 215 points de base, alors qu’il tournait autour de 1 % il y a un an.
Risque de fragmentation
La présidente Lagarde a réaffirmé que la BCE est prête à prévenir les risques de fragmentation de la zone euro si nécessaire, sans pour autant entrer dans les détails de ces instruments. Les assurances verbales et le réinvestissement des achats d’assouplissement quantitatif restent l’option privilégiée de la BCE jusqu’à ce que des spreads obligataires persistants se matérialisent.
Selon Pietro Baffico, European Economist chez le gestionnaire d’actifs abrdn, le risque pour les investisseurs d’un élargissement des spreads obligataires demeure malgré les ‘nouveaux instruments’ annoncés.
Andrew Mulliner, head of global aggregate strategies chez Janus Henderson, a déclaré que « l’absence d’approche claire de la fragmentation implique des risques considérables pour la stabilité financière si elle n’est pas abordée de manière crédible ». Selon lui, les perspectives de croissance étonnamment optimistes suggèrent que l’orientation des taux d’intérêt d’aujourd’hui pourrait s’avérer trop optimiste à mesure que nous entrons dans la seconde moitié de l’année.