Jan Vergote
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Introduction

En lisant les avis de nombreux gestionnaires de fonds sur la Chine, les points négatifs suivants reviennent régulièrement : déséquilibre structurel entre surinvestissements et sous-consommation avec le risque d’un endettement excessif (comme en Occident en 2008), vieillissement de la population avec un impact négatif sur la croissance, risques géopolitiques (Taiwan et États-Unis) et enfin, incertitude liée au président Xi Jinping. Nous en mettons quelques-uns en lumière.

1. Déséquilibres structurels

1.1. Trop d’épargne (et sous-consommation) et (sur)investissements non rentables dans l’immobilier et les infrastructures.
En 2008, le taux d’épargne global de la Chine a culminé à 52 % du revenu national. Aujourd’hui, il s’élève encore à 46 %, un chiffre élevé. Ce qui est épargné ne peut pas être dépensé, et là est le hic. Bien entendu, la pandémie a également affecté la Chine, faisant en l’espace de 3 ans à nouveau grimper en flèche le taux d’épargne qui était tombé à 44 % en 2019. Cependant, ces économies supplémentaires liées à la pandémie restent manifestement dans les porte-monnaie aujourd’hui.
Le pic d’épargne de 2008 s’est accompagné d’un pic d’investissements de 48 %, principalement dans l’immobilier. Ce secteur représente aujourd’hui 25 % de l’économie chinoise. Si l’on inclut les acteurs économiques indirects, certains arrivent même à 40-50 %. Il faut savoir qu’en 2007, le Premier ministre de l’époque, Wen Jiaboa, avait déjà mis en garde contre une situation intenable. La croissance du PIB de la Chine, qui s’élevait en moyenne à 9 % après les années 80, revient aujourd’hui vers les 5 %, alors que les investissements ont à peine diminué. Le terme « bulle immobilière » n’est pas utilisé à la légère. Investissements massifs + utilité marginale décroissante = situation intenable.

1.2. Heureusement, une aide à la dette est en cours est vue. 
Les véhicules de financement des administrations locales (LGFV, pour Local Government Financing Vehicles) jouent un rôle clé dans le financement des projets d’infrastructure chinois, un des principaux moteurs de croissance de la deuxième économie mondiale. En ce qui concerne les importantes dettes des provinces, le gouvernement intervient actuellement en tant que main secourable, en agissant de manière proactive pour aider à rembourser les dettes des administrations locales. Les analystes estiment que les faillites de ces LGFV seront ainsi évitées. Pékin déploie actuellement un de ses efforts majeurs pour maîtriser la dette des LGFV en la transférant au gouvernement central ou à des entités locales bénéficiant d’une meilleure note de crédit. Par conséquent, le mois de septembre a vu une forte reprise du financement des administrations locales, avec un impact positif sur les taux d’intérêt proposés. À titre d’exemple, le LGFV de Tianjin (une ville portuaire de 14 millions d’habitants et la plus grande ville côtière du nord de la Chine), considéré comme l’une des premières régions à bénéficier d’un plan de résolution de la dette, a vu son coupon moyen passer de 7 % en juin à 4 % en septembre. Il est clair que le gouvernement chinois a lancé un de ses efforts majeurs pour résoudre la montagne de dettes des LGFV, et probablement sur une période de plusieurs années. 

1.3. Le vent semble-t-il tourner dans le secteur immobilier et arrivons-nous progressivement à un point de basculement ?  
Il n’est probablement pas un hasard que Monsieur Noel Quinn, CEO de HSBC, déclare justement que le secteur immobilier en Chine pourrait avoir atteint son niveau le plus bas et amorcer maintenant une reprise. Selon UBS, le nombre de nouveaux chantiers immobiliers est de pas moins de 65 % inférieur à celui du second semestre 2020. On observe une stabilisation des ventes immobilières à 50 à 60 % du pic atteint en 2020-2021. 

 1.4. La montagne de dettes et le risque de krach financier
Il est clair que la Chine resserre son emprise sur le secteur financier. Cela est motivé non seulement par l’énorme montagne de dettes, mais aussi par la révélation de fraudes dans le secteur bancaire et de l’investissement impliquant aussi bien des banquiers d’État que des membres d’organes de contrôle. La Chine veut ainsi faire d’une pierre deux coups : nettoyer et réorienter le réseau, et éviter une crise bancaire systémique. 
Il ne faut pas oublier que la montagne de dettes est en grande partie une question intérieure et exprimée en renminbi (c’est pourquoi la Chine est qualifiée de « pays créancier ») et que les principales banques sont détenues par le gouvernement chinois. 
Pour les entreprises, nous illustrons la réorientation avec les introductions en Bourse. Dans ce contexte, le gouvernement utilise par exemple les feux « rouges » (= faible priorité) et « verts » (= haute priorité) auprès des banques d’investissement. Parmi les feux rouges, citons les boissons et les initiatives de divertissement, tandis que les feux verts concernent des secteurs stratégiquement importants tels que l’industrie de haute technologie (par exemple autour de l’intelligence artificielle ou des semi-conducteurs), les énergies renouvelables et le déploiement de la voiture électrique. 
Le régulateur chinois n’accepte plus non plus les start-ups déficitaires. En conséquence, 126 entreprises ont annulé leur demande d’introduction en Bourse sur le Star Market (l’équivalent du Nasdaq américain). Une telle décision suscite naturellement des inquiétudes chez les analystes. Les régulateurs cherchent avant tout à exercer un contrôle sur la stratégie et la durabilité de leur modèle. La chute de 80 % du Nasdaq entre 2000 et 2002 aurait-elle conforté la Chine dans sa décision ? 
Des arbitrages entre les entreprises « rouges » et « vertes » ont lieu, notamment parmi les investisseurs institutionnels. Ceux-ci ont récemment été encouragés à investir dans les secteurs verts. Par exemple, le secteur de l’assurance s’est vu attribuer un niveau de risque plus faible pour l’achat d’entreprises stratégiques chinoises. 
Lors de nouvelles émissions stratégiques d’actions, une période de « lock-up » est également demandée, c’est-à-dire une période lors de laquelle il est obligatoire de détenir les actions. On espère ainsi maintenir le prix plus stable et obliger les dirigeants de ces entreprises à travailler à l’amélioration continue de la rentabilité. Elle transfère également les risques d’une gestion imprudente à l’investisseur (celui-ci supporte le risque pendant cette période, en échange du paiement de dividendes). 
Naturellement, cette ligne de conduite du gouvernement chinois suscite la méfiance des investisseurs étrangers. Selon Data, un fournisseur de données, les investissements étrangers ont chuté de 34 % en septembre par rapport à l’année précédente, la plus forte baisse depuis 2014. Pékin tente de compenser partiellement cette sortie de capitaux par des achats ciblés de la part des groupes d’investissement nationaux de l’État, qui achètent en fonction des secteurs stratégiques à long terme. 
Il convient toutefois d’apporter quelques nuances. De nombreuses entreprises américaines retirent des capitaux de Chine pour augmenter leur fonds de roulement dans leur pays d’origine : les taux d’intérêt américains élevés rendent opportun l’arbitrage vers les États-Unis, les investissements se déplacent de l’industrie manufacturière (en raison de la diversification de la chaîne d’approvisionnement) vers la finance et la technologie, et les transferts aller-retour effectués par les entreprises nationales (en raison d’avantages spécifiques) faussent les chiffres des flux sortants.
On comprend aisément la réticence face à l’ingérence gouvernementale dans les entreprises, et des interrogations surgissent quant à la manière dont cela soutiendra la transition vers une économie axée sur la consommation. Les sceptiques pointent du doigt les entreprises technologiques stratégiques dont on doute de l’impact positif sur le marché du travail (cf. taux de chômage élevé chez les jeunes) et sur la consommation. L’impact géopolitique de la guerre technologique avec les États-Unis suscite l’inquiétude et le doute chez de nombreux investisseurs internationaux. 
Mais il y a aussi la crainte de passer à côté de nouvelles opportunités de collaboration. L’impact sur le marché des paiements numériques, des voitures électriques ou des panneaux solaires n’a échappé à personne. De nombreuses multinationales ne veulent pas entendre parler de découplage : le marché chinois est en effet bien trop important pour elles.

2. Vieillissement de la population (et déclin de la population active)

2.1. Impact du déclin démographique : pas un problème structurel dans les décennies à venir
Pour de nombreux commentateurs, une première inquiétude est le déclin de la population. Les Nations unies prévoient que la population active diminuera de 25 % d’ici 2050. Plus concrètement, elles affirment que la Chine compte actuellement 4,5 fois plus de personnes âgées de 15 à 64 ans que les États-Unis, mais que ce chiffre tombera à 3,4 d’ici 2050 (sur la base de la prévision médiane). D’ici la fin du siècle, ce chiffre pourrait encore diminuer pour atteindre 1,7 %.
Ainsi, le taux de dépendance dépassera les 80 % d’ici 2050. Il ne faut cependant pas oublier que celui du G7 sera encore plus élevé (90 %). Ce ratio représente le nombre de personnes âgées de 0 à 19 ans et de plus de 65 ans en pourcentage de la population active (20-64 ans).
Cependant, tout le monde n’est pas aussi négatif au sujet de la démographie chinoise. Le mois dernier, j’écrivais que le professeur Khairy Tourk prévoyait une baisse de la population de 1,43 milliard en 2022 à 1,31 milliard en 2050, soit une diminution de seulement 8 %. Il est rejoint par les chiffres actualisés de Goldman Sachs, qui prévoient une baisse de l’offre de main-d’œuvre de 7 % entre 2025 et 2050. Ils soulignent que le secteur de la santé, de meilleure qualité, permettra aux personnes de travailler plus longtemps et de repousser l’âge de la pension. Actuellement, les hommes prennent leur pension à 60 ans, les femmes employées à 55 ans et les ouvrières d’usine à 50 ans. Il y a donc une certaine marge. En outre, UBS mentionne également une réforme du fameux système « hukou », qui encourage la migration des travailleurs ruraux vers des endroits où l’offre de travail est plus importante. Le hukou est un système d’enregistrement des personnes auquel sont associés des programmes sociaux accordant des avantages en fonction du statut de résidence agricole ou non agricole. Ce système a été introduit pour freiner la migration, mais ces migrants ont moins de droits et sont sous-payés.
D’ici à 2030, l’effet net de la diminution de la population active (-60 millions), de la réforme de l’âge de la pension (+50 millions) et du hukou (+40 millions) se révélerait positif. De plus, une étude de l’OCDE montre également que la croissance démographique ne contribue guère à expliquer la croissance économique. Les données empiriques reconnaissent en effet largement l’impact positif particulier de l’éducation (voir ci-dessous).

2.2. La productivité comme solution au déclin de la population active ? Alors que Goldman Sachs projetait initialement une croissance de la productivité de 4,8 % sur la période 2010-2030, ils ont récemment ramené ce chiffre à 3 % pour les années à venir. La productivité est importante car elle soutient la croissance de la production d’un pays. Il est très difficile de prévoir la productivité à long terme, surtout en Chine. Le système éducatif y forme chaque année 1,4 million d’ingénieurs (source : Statista), près de 5 millions de diplômés dans les STEM (sciences, technologie, ingénierie et mathématiques), ce qui représente près de 40 % du nombre total de diplômés dans le monde. N’oublions pas que le développement technologique fait partie intégrante de la stratégie centrale de la Chine, avec son intégration dans l’éducation (par exemple MOOC ou Massive Open Online Courses), la finance (Alipay, Yu’e Bao, Zhia Credit score), son industrie avec de nombreux robots, sa mobilité et sa sécurité urbaines et son système de santé national. 
À titre d’exemple, avec plus de 1,5 million de demandes de brevets (source : Traité de coopération en matière de brevets), la Chine se classe bien au-dessus des États-Unis, qui en comptent à peine plus d’un demi-million.
Si la Chine n’atteint actuellement pas encore le niveau technologique des États-Unis, elle le rattrape rapidement, et ce malgré les nombreuses interdictions technologiques américaines. Huawei a par exemple lancé un smartphone équipé d’une puce de 7 nanomètres, ce qui a été une surprise pour certains analystes. Si vous souhaitez en savoir plus sur la manière dont le gouvernement chinois déploie la technologie à tous les niveaux de la société, je vous renvoie avec plaisir au livre de Pascal Coppens intitulé China’s New Normalֹ, qui illustre très bien comment cela se passe concrètement… La Silicon Valley peut attacher sa ceinture !

2.3. À quel prix la Chine vend-elle ses marchandises sur le marché mondial ?
Si estimer la productivité relève déjà de l’exploit, prédire l’évolution des monnaies est encore plus périlleux. On entend régulièrement parler d’une guerre des monnaies entre la Chine et les États-Unis. Les faibles chiffres de croissance ont des répercussions sur la monnaie : un panier de biens et de services coûtant 100 dollars aux États-Unis coûte aujourd’hui à peine 60 dollars en Chine, ce qui constitue un sérieux avantage. Cela signifie une sous-évaluation majeure du yuan et stimule les exportations chinoises. Capital Economics prévoit la poursuite de cette sous-évaluation, tandis que Goldman Sachs voit l’écart se réduire. 

3. La Chine peut-elle réactiver sa croissance ? 

Pour réactiver la croissance, l’augmentation de la consommation constitue un pilier important. Le taux d’épargne des ménages belges varie entre 17 et 12 % du revenu selon les années (selon la BNB). En Chine, les ménages épargnent cependant environ 35 % de leurs revenus et la consommation représente 40 % de la croissance nationale. Chez nous, ce chiffre était de 67 % et aux Etats-Unis, la consommation privée au mois de juin dernier représentait pas moins de 68 % du revenu national. 
Les Chinois consomment donc trop peu. Le Japon était autrefois un exemple parfait de l’impact négatif sur la croissance et restait coincé dans le piège des bas revenus. La Chine se situe à la croisée des chemins : elle se trouve aujourd’hui encore dans le « Middle Income Trap », le piège des revenus moyens, mais avec une gestion efficace, une voie vers « Becoming Rich », devenir riche, est encore possible (sources : EIU, projet Maddison et Banque mondiale). Il y a donc du pain sur la planche pour stimuler la consommation du citoyen ordinaire en Chine. La redistribution des richesses, associée à l’éradication de la fraude (un exemple récent est l’interdiction faite aux hauts fonctionnaires de participer à des fonds de capital-investissement), constitue une des priorités du gouvernement chinois. Xi lui-même parle de « prospérité commune ». Le président chinois connaît certainement les inconvénients des fortes inégalités aux États-Unis, avec leur impact négatif sur la politique, ainsi qu’en témoigne le populisme sous Donald Trump.
En outre, la Chine mise sur ses terrains de jeu stratégiques. Une étude de Goldman Sachs indique que chaque renminbi de la demande de voitures électriques produites génère une valeur ajoutée marginalement inférieure à celle du marché immobilier résiduel. L’engagement dans la production de véhicules électriques et, par extension, l’utilisation de batteries dans d’autres applications, ainsi que l’énergie solaire et éolienne, devraient à terme compenser partiellement l’impact baissier du marché immobilier. Selon GS, cela permettrait de compenser la moitié des 6 millions d’emplois qui disparaîtront. 
Selon une étude de l’Australian Strategic Policy Institute, la Chine est actuellement leader mondial dans 37 des 44 technologies critiques, dont les matériaux avancés, la biologie synthétique et la communication quantique. 

Conclusion

La question de savoir comment et à quel rythme la Chine peut relancer sa croissance reste pour l’instant épineuse. Il est tout aussi difficile de prédire quand la Chine rattrapera les États-Unis sur le plan économique. Selon GS, la Chine dépassera les États-Unis en 2035. Capital Economics, en revanche, est moins optimiste. Il estime qu’il sera très difficile pour la Chine de rattraper les États-Unis et prévoit que la Chine ne disposera que de 90 % de la richesse américaine d’ici 2035. 
Quoi qu’il en soit, il semble que les États-Unis et la Chine se disputeront la suprématie économique au cours des prochaines décennies et continueront à se défier mutuellement par la suite. 
Pour conclure, je renvoie à la conclusion du livre Superpower Interrupted de Michael Schuman, qui décrit l’histoire de la Chine depuis 1550 avant J.-C., fortement recommandé pour mieux comprendre la Chine d’aujourd’hui. Je cite : « La Chine est sans aucun doute une puissance en mouvement et souhaite restaurer son ancien statut de superpuissance. Elle désire raviver son image de civilisation supérieure, affirmant ainsi son rôle légitime dans les affaires mondiales. » (Pour info : la directrice du FMI, Mme Georgieva, a récemment approuvé des réformes visant à accorder à davantage de droits de vote à la Chine).
En matière de technologie, la Chine était autrefois un leader mondial (pensons au papier, à l’écriture, à la soie, à la porcelaine, à la navigation maritime, …) et ses exportations étaient basées sur des biens à haute valeur ajoutée. Xi Jinping veut accélérer la réduction de l’écart avec l’Occident, notamment grâce à des programmes soutenus par l’État axés sur des systèmes de télécommunications de pointe, des transports respectueux de l’environnement, des robots intelligents, etc., dans la conviction qu’ils deviendront la nouvelle porcelaine ou le nouveau thé de Chine. 
Nous assistons à une résurrection de l’empire du Milieu et de son rôle habituel au centre du monde – pour Xi Jinping, le « Rêve chinois ».

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