Alors que les investisseurs européens doutant encore de l’importance des ESG s’enlisent de plus en plus souvent dans un combat d’arrière-garde, les États américains votent toujours plus de lois anti-ESG. « Si ceci devient une politique fédérale, je sous-pondèrerai les États-Unis dans le portefeuille. »
Selon le Parti républicain, l’objectif principal des gestionnaires d’actifs n’est plus le rendement, mais la poursuite de tout ce qui est en lien avec le changement climatique et la diversité au travail. Il se montre d’ailleurs clair à ce sujet.
Le nouveau fait d’armes majeur dans la lutte contre les investissements ESG est la loi signée par le gouverneur de Floride – et potentiel candidat présidentiel – Ron DeSantis, qui y interdit aux fonds publics ou gérés par l’État d’investir sur la base de critères ESG. Des lois comparables ont déjà été promulguées, entre autres dans les États de l’Indiana, du Kansas et du Texas.
Peu avant qu’il signe cette loi, plus tôt ce mois-ci, DeSantis affirmait : « Ces fonds doivent agir en qualité de fiduciaires, et non servir des intérêts idéologiques. » Dans une colonne parue mardi dans The Wall Street Journal, Marlo Oaks et Todd Russ, trésoriers des États de l’Utah et l’Oklahoma, ont parlé de « la plus grave violation du devoir de diligence de l’histoire américaine. »
Les établissements financiers servant à obtenir des rendements d’investissements, au lieu de faire cela, font un usage abusif des fonds de pension, pensions publiques et autres investissements en vue de « viser manifestement des buts idéologiques », toujours selon Oaks et Russ.
Les opposants à cette loi voient précisément dans les législations anti-ESG un « agenda politique ». Les hommes politiques comme DeSantis n’ont, selon eux, pas le moindre intérêt pour les faits, mais restent figés dans une narrative politique.
Les Américains ne sont pas anti-ESG
« Interdire les investissements ESG va précisément à l’encontre de ce à quoi servent les obligations fiduciaires : maximiser les revenus des investissements », note Gaya Herrington (photo), chercheuse en développement durable et consultante au Club de Rome, lors d’un entretien avec Investment Officer. Selon elle, on ne tient pas encore suffisamment compte des risques ESG, et exclure les critères ESG des décisions que l’on prend en matière d’investissement peut avoir de considérables conséquences financières.
La Néerlandaise, résidant à Washington DC, a débuté sa carrière comme conseillère politique économique à la Banque des Pays‑Bas. Elle comprend à quel point certains choix politiques américains peuvent être incompréhensibles pour les Européens.
« Il faut cependant garder à l’esprit que la plupart des Américains ne sont pas, en soi, anti-ESG », précise Herrington. « La plupart des Américains veulent bien agir contre le changement climatique, mais la polarisation politique y fait obstacle. » Les nouvelles lois sont, selon elle, peu différentes d’une déclaration politique destinée à influencer le sentiment. Les études scientifiques vont elles aussi dans ce sens.
Une étude parue en mars 2023 de Shivaram Rajgopal, professeur de comptabilité à l’université de Columbia, démontre que l’interdiction texane comparable de faire usage d’investissements ESG n’avait pas eu le moindre effet sur l’exposition énergétique et les caractéristiques risque/rendement des fonds de pension d’État.
« Cette législation ne sert sans doute aucun autre but que celui de l’arrogance politique », conclut Rajgopal.
Un bénéfice pour les Républicains
Si les Républicains devaient remporter les prochaines élections et que cette attitude négative vis-à-vis des ESG s’infiltrait dans la politique fédérale, cela constituerait un réel problème pour les investisseurs selon Herrington, qui envisage de retourner en Europe avec sa famille si les États‑Unis redeviennent républicains.
Toujours d’après Herrington, les élections présidentielles de 2024 seront « le moment ou jamais » dans la lutte pour un monde plus durable. Une victoire républicaine serait particulièrement défavorable si nous ne voulons pas arriver au point de non-retour de l’effondrement de notre écosystème, précise Herrington, qui avertit les investisseurs d’une surpondération des actions américaines.
« Je n’irai pas jusqu’à dire que les investisseurs doivent retirer leur argent des États-Unis, mais je leur déconseillerai cependant d’investir principalement dans des actifs américains si les Républicains revenaient au pouvoir », suggère Herrington.
« Les États-Unis sont toujours une puissance mondiale et vont le rester, mais cette puissance est clairement déclinante et, si les Républicains l’emportent, je crains qu’elle ne décline encore plus rapidement. Il est difficile de présenter un front économique fort si la majorité de la population, comme les jeunes, les femmes et les homosexuels, se retrouve opprimée alors même que le pays fait face à une pollution environnementale sans précédent et une pénurie croissante de matières premières. »