
La liquidité du marché des obligations d’État est soumise à une pression croissante depuis plusieurs mois. Les banques centrales signalent leur intention de resserrer leur politique, les taux d’intérêt augmentent et les spreads se creusent. Le marché est clairement à la recherche d’un nouvel équilibre, les principaux acheteurs quittant partiellement la scène.
Les banques centrales vont réduire leurs vastes programmes d’achat cette année face à une inflation croissante. Les principaux acheteurs sur les marchés secondaires des obligations d’État se retirant progressivement, le marché est à la recherche d’un nouvel équilibre. Mais sur le même marché, la demande d’obligations d’État peu performantes n’explose pas, et les écarts de taux se creusent lentement mais sûrement, avec des conséquences pour la périphérie de la zone euro, comme les États membres du sud de l’Europe.
Le marché des pensions de titres sous pression
Selon Nils Kostense, responsable du trading des obligations d’État chez ABN Amro, la tension se situe principalement sur le «marché des pensions». Sur le marché des pensions de titres, l’argent est prêté à court terme (souvent pour un jour seulement) en échange de garanties facilement négociables, telles que des obligations d’État, et d’une commission, le taux des pensions de titres.
De nombreuses parties recherchent des garanties», explique M. Kostense. En particulier, les obligations dites «off-the-run» qui ont été émises dans un passé lointain et qui ont déjà été largement rachetées par la BCE sont difficiles à négocier et coûteuses sur le marché des pensions.
Selon M. Kostense, le marché des obligations d’État, en particulier, est devenu beaucoup plus volatil récemment et la différence entre les nouvelles obligations d’État et les obligations en circulation se creuse. Joost Beaumont, stratège principal en matière de titres à revenu fixe chez ABN Amro, ajoute que la plupart des investisseurs en obligations d’État qui s’adressent à la banque ont tendance à se diriger vers les marchés primaires pour les titres d’État nouvellement émis.
Selon M. Kostense, les banques, qui sont les acheteurs naturels d’obligations d’État, essaient également d’être plus prudentes dans ce régime. Alors qu’il y a 15 ans, les banques disposaient encore de toute une série de concessionnaires primaires, elles sont aujourd’hui plus sélectives lorsqu’il s’agit de déployer des capitaux et d’utiliser le bilan. ABN amro est le premier négociant en papier d’État néerlandais, mais alors qu’en 2006 nous avions 11 ou 12 négociants, nous n’en avons plus que trois», explique M. Kostense.
Les spreads s’élargissent
En raison de la volatilité croissante du marché des obligations d’État, les écarts - la différence de rendement de deux obligations différentes mais similaires - se creusent considérablement. Selon Jolien van Ende, stratège en matière de titres à revenu fixe chez ABN Amro, il serait beaucoup plus sain que la BCE, qui détient plus de 90 % des titres d’État européens, se retire afin que le marché puisse se maintenir.
Si les écarts de l’Italie et d’autres pays périphériques par rapport à l’Allemagne, par exemple, se creusent trop en raison du resserrement monétaire, les réinvestissements APP et PEPP seront affectés à la périphérie. Ils sont flexibles en ce qui concerne ces réinvestissements, mais des pays comme l’Allemagne n’aiment évidemment pas cela», déclare M. van Ende. La banque centrale est dans une impasse. Le nombre d’instruments de politique que la banque peut utiliser en cas de nouvelle crise diminue.
Les liquidités ne se tariront pas
Il y a sans doute des facteurs techniques qui interviennent dans la réduction des bilans des banques centrales, mais cela ne va certainement pas se tarir. C’est ce qu’affirme Jeroen Blokland, fondateur du cabinet de recherche TrueInsights et ancien responsable de l’équipe multi-actifs de Robeco. Ce n’est pas que les banques aient le choix, elles se contentent de combler le vide. Ils sont les acheteurs naturels des obligations d’État. Les investisseurs ne doivent donc pas s’inquiéter d’un assèchement du marché des obligations d’État».
Blokland : «Le prix détermine quand les acheteurs seront à nouveau présents. Je ne pense pas que les taux d’intérêt augmenteront encore beaucoup cette année. Tous les effets de base des corons s’épuisent, et l’économie va donc ralentir un peu. Nous nous dirigeons maintenant vers un ralentissement classique de milieu de cycle. Peut-être les banques centrales n’auront-elles besoin que de 3 hausses de taux d’intérêt».
Kostense ne voit pas non plus le marché se tarir complètement. Dans le cadre du programme d’achat d’actifs (APP) et du programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP), la BCE était autorisée à acheter jusqu’à 30 et 50 % des émetteurs respectivement. Il y a donc toujours eu un acheteur ces dernières années, mais avec le départ des banques centrales, il ne disparaîtra pas tout à coup. Il y a certainement encore des acheteurs, tels que les investisseurs institutionnels qui ont besoin de couvrir leurs engagements, et n’oubliez pas : «Il n’y a rien de si permanent qu’un programme temporaire d’obligations d’État»«, déclare M. Kostense, donnant une tournure à la déclaration emblématique de Milton Friedman.
Ukraine
Pendant ce temps, les tensions dans l’est de l’Ukraine menacent également la périphérie. Si les prix de l’énergie augmentent en raison de l’escalade des tensions entre la Russie et l’Ukraine, les regards se tourneront à nouveau vers la BCE, «mais la banque centrale semble avoir besoin d’une plus grande marge de manœuvre pour absorber un tel choc». C’est ce qu’affirme Gilles Moëc, chef économiste du Groupe AXA.
Moëc déduit des récents propos d’Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, que la marge de manœuvre pour absorber un choc géopolitique avec la politique monétaire semble particulièrement étroite. M. Schnabel a déclaré au FT qu’agir trop tard pour freiner l’inflation est plus dommageable qu’agir trop tôt.
Le manque de marge de manœuvre pourrait devenir problématique, car certains pays périphériques sont déjà touchés de manière disproportionnée par les problèmes d’offre déclenchés par la hausse des prix de l’énergie. Néanmoins, la discussion de la BCE sur la fin de l’assouplissement monétaire - qui est particulièrement pertinente pour la périphérie - semble être terminée, car toutes les parties se concentrent sur le calendrier d’un relèvement des taux d’intérêt.