La première réforme Eltif visant à canaliser des milliards d’épargne vers les PME européennes n’est toujours pas utilisée de manière optimale par les investisseurs privés. L’assouplissement nécessaire des liquidités ne s’est pas concrétisé, laissant la démocratisation du capital-investissement encore plus éloignée que souhaité.
C’est ce que déclare Wim Nagler, de Schroders, dans une interview accordée à Investment Officer. M. Nagler dirige le département institutionnel pour le Benelux chez le gestionnaire d’actifs, qui a lancé cette semaine son premier fonds de capital-investissement, Eltif.
Nagler voit des avantages dans l’assouplissement des règles concernant la composition des portefeuilles Eltif et la simplification des souscriptions par les investisseurs. Cela stimulera à la fois l’offre et la demande». Mais une véritable percée générale, que Nagler espère, ne se produira pas encore, dit-il, en raison de la liquidité limitée qui prévaut encore.
À la mi-février, une majorité du Parlement européen a voté pour améliorer l’Eltif, introduit en 2015, conçu pour encourager les investissements à long terme afin de soutenir une reprise économique durable, inclusive et résiliente. L’objectif de la réforme était de lever les obstacles. Les 7,5 milliards d’euros actuels d’Eltif, devraient passer à 100 milliards d’euros, selon le député européen Michiel Hoogeveen.
Si cet Eltif 2.0, qui s’appliquera à partir de janvier 2024, sera effectivement plus flexible en termes de structures d’investissement et devra adhérer à des règles moins strictes, M. Nagler de Schroders contredit désormais l’idée que cela permettra au véhicule de cibler directement les petits investisseurs. Car si, effectivement, plusieurs seuils ont été supprimés - les fonds communs de placement ne doivent plus investir «principalement» en Europe et ils sont autorisés à tirer un trait sur leur seuil d’entrée de 10 000 euros -, les Eltifs ne sont toujours pas autorisés à abandonner leur structure fermée.
La principale raison pour laquelle les fonds Eltif n’ont pas connu le succès ces dernières années reste donc en place», déclare M. Nagler. Il serait bien de voir une réelle liquidité offerte lors de la prochaine révision, comme c’est le cas avec les produits qui existent pour les semi-professionnels. Là, on peut entrer tous les mois et sortir tous les trimestres».
Moment de sortie
La seule chose qui vous est permise en termes de liquidité avec les nouvelles règles est d’offrir la liquidité naturelle que vous obtenez lorsque vous vendez une entreprise, dit Nagler de l’ajustement que 20 pour cent peut être dans les actifs liquides. Et investir 20 % dans des produits Ucits, afin de pouvoir les liquider rapidement si vous le souhaitez. Mais, ajoute-t-il, «vous n’êtes toujours pas autorisé à proposer une structure perpétuelle dans laquelle vous réinvestissez en permanence et offrez des liquidités sous la forme, par exemple, d’un point de sortie trimestriel dans l’intervalle. Il est logique que vous ne vouliez pas que les investisseurs se retirent si vous mettez en place une structure qui vise à fournir des capitaux durables aux PME, mais si vous voulez attirer des individus moyens, c’est une occasion manquée.
Bien que le groupe industriel Efama ait adopté les révisions en février, notant que les Eltif fournissent un accès au «marché de détail pratiquement inexploité pour les investissements à long terme dans des actifs réels», M. Nagler affirme que l’objectif d’un Eltif est partiellement en contradiction avec l’objectif d’un épargnant ordinaire. L’objectif de l’Eltif est de mobiliser l’épargne et de la convertir en «capital patient», notamment dans les PME. Cependant, l’objectif de la plupart des épargnants est de disposer d’une «certaine» forme de liquidité. L’épargnant moyen veut pouvoir accéder à ses centimes, alors que les Eltif n’offrent pas réellement de liquidité. Les nouvelles règles ne répondent pas vraiment à cela».
Cela étant, les possibilités d’investir sur les marchés privés pour les très petits investisseurs restent limitées, conclut-il. En effet, bien que le seuil d’entrée de 10 000 € soit supprimé, les banques continueront à décourager leurs petits clients de détail d’investir dans un Eltif. Nagler : «Elles veulent en effet protéger leurs clients contre une attente injustifiée de liquidité. Notre intuition est que les départements de conformité des banques réserveront les Eltif aux clients qui sont plus susceptibles d’appartenir au segment de la banque privée et qui disposent d’au moins 100 000 à 250 000 euros d’actifs investissables.
Pas de sommes gigantesques
L’enthousiasme pour l’Eltif récemment ouvert par Schroders, destiné aux rachats de private equity de petite et moyenne taille et aux investissements de croissance, principalement en Europe, provient dans presque tous les cas de banques privées ou de gestionnaires de patrimoine, indique M. Nagler. Pour les portefeuilles à partir de 200 000, 250 000 euros. Nous n’avons pas encore connaissance de banques de détail souhaitant mettre cela en rayon.›
Le Schroders-Eltif a pour objectif un patrimoine de 200 millions d’euros. Il est ouvert jusqu’en novembre. Ou en septembre, si le succès est tel que nous fermons plus tôt, car l’univers des PME ne peut pas gérer d’énormes sommes d’argent et nous voulons investir rapidement. Après tout, là où les fonds classiques prennent 12 à 14 ans, avec un Eltif, il faut pouvoir garantir que les gens en sortent en 10 ans».
Le député Hoogeveen a parlé de 100 milliards d’euros à investir dans les PME. Y a-t-il autant d’argent à investir ? Nagler : «Non. Les PME en Europe sont importantes, mais la plupart des entreprises ne veulent pas diluer leurs actions. En revanche, nous pouvons tirer parti du fait que la génération du baby-boom est proche de la retraite et que de nombreux propriétaires d’entreprises sont à la recherche d’un acquéreur».
Si M. Nagler lui-même est naturellement enthousiaste à l’égard d’Eltif’s en tant que fournisseur, il ne voit pas encore bouger la montagne d’épargne européenne, et encore moins les montagnes de demandes de financement des PME qui attendent les gestionnaires de fonds. Qui sait, lors du prochain examen de la Commission européenne. Mais, selon M. Nagler, cela pourrait prendre encore cinq ans.