La valeur boursière de Nvidia ne cesse d’augmenter, tout comme les éloges des analystes financiers à l’égard de ce que Wall Street qualifie désormais d’ « action la plus importante au monde ». Baillie Gifford a été contraint de réduire sa participation dans la société en raison de règles internes, mais le directeur Stuart Hogg parle toujours d’« opportunités colossales ». Richard Clode, gérant de portefeuille spécialisé dans la technologie chez Janus Henderson, souligne le rôle central de l’entreprise dans l’essor de l’IA.
Nvidia est aujourd’hui valorisée à plus de 2300 milliards de dollars. À Wall Street, le fabricant de composants pour l’IA est actuellement qualifié d’« action la plus importante au monde » et il n’est dès lors pas surprenant qu’elle fasse également l’objet d’innombrables spéculations. L’année passée, son cours a connu une envolée de 281 % ; plus récemment, il a encore gagné 34 % après l’annonce, le 21 février, de bénéfices dépassant les prévisions.
On peut se demander s’il s’agit là d’une croissance durable. Doit-on craindre une euphorie similaire à celle dont avaient fait l’objet les dot-com d’antan, ou bien Nvidia se démarque-t-elle réellement ? L’entreprise commercialise des produits tangibles, ce qui différencie le boom de l’IA des précédentes bulles spéculatives. Le CEO Jensen Huang indiquait d’ailleurs le mois dernier : « Nous nous trouvons à l’aube de deux transitions à l’échelle sectorielle : l’informatique accélérée et l’IA générative. »
Nvidia se distingue également par le fait que ses bénéfices augmentent parallèlement au cours de son action. Le ratio cours/bénéfice reste donc raisonnable, ce qui n’était pas le cas lors de la bulle Internet. Colette Kress, son CFO, a reconnu que l’offre était limitée et a prédit que la demande pour les produits de prochaine génération excéderait l’offre. Des analystes tels que Joe Moore, de Morgan Stanley, et Vivek Arya, de Bank of America, ont relevé leurs objectifs de cours, car ils estiment que Nvidia recevra structurellement (beaucoup) plus de commandes qu’elle ne pourra en honorer. Ils ne sont pas les seuls à avoir pris cette initiative.
Nvidia est une valeur qui a contribué à la surperformance de nombreux grands portefeuilles d’actions ces dernières années. Richard Clode, gérant de portefeuille spécialisé dans la technologie chez Janus Henderson, considère que le fait que Nvidia ait indiqué avoir atteint un « point de basculement » témoigne clairement de l’essor actuel de l’intelligence artificielle.
L’infrastructure d’abord
« Nous sommes convaincus que pour toute nouvelle technologie, il faut d’abord développer l’infrastructure. Donc, face à l’émergence d’une nouvelle technologie comme l’IA, nous commençons par développer cette infrastructure », explique Richard Clode à Investment Officer, depuis Denver. « Ensuite vient la phase d’inférence : utilisation, interaction, formulation de questions, soit générer des inférences. Cela permet la scalabilité du produit, qu’il s’agisse du produit AI ou du service proprement dit. C’est le processus que nous observons actuellement. »
Nvidia ayant atteint ce point de basculement, l’entreprise est convaincue que ses produits et services généreront des revenus réels pour les clients. Le chiffre d’affaires de 22,1 milliards de dollars réalisé par la société au quatrième trimestre était supérieur de 10 % aux prévisions précédentes. « Il a été indiqué que 40 % de ce montant provenaient de leurs activités de centre de données, ce qui est nettement supérieur à ce qui était anticipé », déclare Richard Clode.
La transcription de la conférence téléphonique de présentation des résultats de Nvidia évoque un scénario de science-fiction. L’entreprise présente les centres de données comme des « fabriques d’IA » transformant les données brutes en « jetons incroyablement précieux », grâce à l’usage de superordinateurs d’IA alimentés par GPU. Ces jetons constituent le fondement de l’expérience utilisateur avec des applications d’IA telles que ChatGPT ou Midjourney. Les startups du secteur de la biologie numérique utilisent également ces jetons pour générer de nouvelles protéines et composés chimiques.
« Tout comme les centrales à courant alternatif ont été au cœur de la précédente révolution industrielle, les superordinateurs d’IA de Nvidia sont essentiellement les centres de génération d’IA de la présente révolution industrielle », a déclaré le CEO Jensen Huang lors de la conférence téléphonique. « Chaque entreprise, quel que soit le secteur, repose fondamentalement sur sa propre intelligence économique et, dans le futur, reposera sur sa propre IA générative. »
Anticiper sur cinq à dix ans
Le gestionnaire d’actifs Baillie Gifford, basé à Édimbourg, a été l’un des premiers à investir dans Nvidia. Lors d’un entretien avec Investment Officer, le directeur Stuart Hogg explique que Baillie Gifford a commencé à analyser cette entreprise en 2013, s’y est intéressé davantage en 2015 et l’a ajoutée à ses portefeuilles au cours de cette même année. Une approche typique de Baillie Gifford : « Il peut nous falloir des années avant d’être convaincus, car nous voulons anticiper sur cinq à dix ans. »
À l’époque, l’attrait de Nvidia en tant qu’investissement de croissance résidait dans la réalité virtuelle (RV), en tant que producteur de cartes graphiques. L’apprentissage profond (deep learning) en était « encore à ses balbutiements » il y a dix ans, mais l’analyste de Baillie Gifford reconnaissait des mérites dans certains aspects des activités de Nvidia qui frisaient la science-fiction. Le scénario « extreme ultra blue sky » de l’époque tablait sur une entreprise affichant une capitalisation boursière de 500 milliards de dollars.
En 2024, cette capitalisation a plus que quadruplé. « Nous avons sous-estimé le marché d’environ mille cinq cents milliards de dollars », déclare Stuart Hogg. « Cela démontre l’importance de ne pas nécessairement être précis au centime près, mais de viser juste dans les grandes lignes. Nous nous étions complètement trompés en considérant la RV comme le principal moteur de croissance. En fin de compte, c’est l’apprentissage profond qui a été l’opportunité majeure. » Des analystes du marché tels que Richard Clode et Peter Garny de Saxo se félicitent des bénéfices record de Nvidia et soulignent sa position dominante en termes d’accélération des vitesses de calcul et d’IA générative. Malgré les inquiétudes concernant la surévaluation et les risques géopolitiques, l’intérêt des investisseurs particuliers augmente également. Sur Capital.com, Nvidia est l’action la plus échangée.
Cisco et les startups de l’Internet
Naturellement, les ratios cours/bénéfice suscitent des interrogations. Lorsque Janus Henderson a acheté Nvidia, les prévisions de bénéfices étaient inférieures à 6 dollars par action pour 2024. Aujourd’hui, elles « se situent largement au-delà des 25 dollars », déclare Richard Clode. Lui-même n’a jamais été préoccupé par la valorisation de l’entreprise : « Les estimations de bénéfices ont toujours augmenté proportionnellement à la hausse du cours de l’action. En fait, le ratio cours/bénéfice n’est pas plus élevé aujourd’hui que lorsque le cours de l’action représentait un quart de sa valeur actuelle. »
Le contexte n’est donc pas le même qu’au moment de la crise des dot-com. À l’époque, des entreprises comme Cisco ont fait l’objet de valorisations très controversées et les jeunes pousses de l’Internet n’ont pas fonctionné. Le marché s’est effondré et, à partir de mars 2000, la bulle Internet a éclaté.
Maintenant que Nvidia est valorisée à plus de 2000 milliards de dollars, le marché attend avec impatience la stratégie de l’entreprise. Les analystes anticipent une poursuite de cet essor et mettent en garde contre d’éventuelles disruptions. Alors que Nvidia continue de façonner le paysage de l’IA, ses initiatives stratégiques et l’évolution de son marché demeurent au cœur des débats d’investissement. « La simple augmentation du cours d’une action ne signifie pas nécessairement que la valorisation est devenue plus tendue », déclare Stuart Hogg de Baillie Gifford. « Les avancées opérationnelles de Nvidia ont été remarquables au cours des dernières années, c’est indéniable. »
Si l’on ajoute à cela l’impact économique structurel de l’IA, le marché pourrait bien s’orienter vers une nouvelle ère de croissance durable, semblable à celles des années 80 et 90, qui ont toutes deux commencé par un ralentissement économique. « C’est une bonne façon de décrire la situation : l’IA devra entraîner des augmentations significatives de productivité », estime Richard Clode. « Il y aura des disruptions, mais d’une manière générale, nous considérons cette technologie comme un vecteur d’augmentation de la productivité, qui devrait à terme mener à la création de davantage d’emplois, et d’emplois mieux rémunérés. Au bout du compte, le potentiel de revenus de chaque travailleur augmentera. »
Zero billion markets
Ainsi, ce qui pouvait auparavant être considéré comme un marché étroit étend maintenant sa portée de manière exponentielle. Stuart Hogg : « Jensen Huang parle beaucoup d’investir dans des zero billion markets. C’est sa façon de dire qu’il n’existe actuellement pas de marché, mais qu’il croit en son émergence future. En attendant, les revenus issus des centres de données dont nous parlions atteignent désormais 18 milliards de dollars par trimestre, alors qu’ils étaient littéralement nuls en 2016. C’est donc la vision prospective de Jensen Huang et son analyse de ces opportunités qui sont véritablement cruciales. »
Baillie Gifford a été contraint de réduire sa participation dans Nvidia après l’envolée du cours de l’action. En effet, la société préfère ne pas allouer plus de 10 % de ses investissements à une seule entreprise. Initialement, les achats d’actions de Nvidia représentaient 5 % du portefeuille, mais cette proportion avait considérablement augmenté. Stuart Hogg : « Il est évident que s’agissant des actions des Sept Magnifiques, il existe aussi un enthousiasme irrationnel sur le marché à l’égard de l’IA, et que Nvidia n’est pas la seule concernée. Mais allons-nous vendre Nvidia ? C’est très peu probable. Les opportunités sont, comme je l’ai mentionné, toujours énormes. »