Jan Longeval
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Les banques centrales sont-elles indépendantes ? Moins que vous ne le pensez. La théorie monétaire moderne (TMM) est un concept qui préconise une nouvelle politique monétaire et fiscale afin d’exploiter le plein potentiel de l’économie. La TMM est très controversée. De nombreux économistes éminents se sont exprimés de manière très critique à son égard. Ils craignent une création débridée de dettes et une impression monétaire effrénée. 

Dans une période où la politique monétaire se heurte à ses limites, nous devons, en tant qu’investisseurs, rester intellectuellement flexibles. C’est pourquoi Investment Officer a rédigé sur la théorie monétaire moderne (TMM) une série d’articles en trois volets, dont voici aujourd’hui le premier.

Jan Longeval (photo), consultant indépendant auprès d’investisseurs institutionnels et auteur de ‘Dieu ne joue pas au dés avec la bourse’ et de ‘Heavy Metal’, adopte cependant une vision plus nuancée de la TMM. Il constate que le débat public sur la TMM est truffé de malentendus et coloré politiquement. Selon Longeval, la TMM n’est pas toujours appréciée à sa juste valeur. 

Longeval a étudié le sujet en profondeur et donne également des conférences à ce sujet. 

« Il existe de nombreux malentendus au sujet de la TMM. Par exemple, la TMM n’est pas un laissez-passer pour s’endetter sans retenue. La TMM déclare que nous pouvons et devons nous endetter tant que ces dettes financent des investissements productifs. Un autre malentendu est que les préceptes de la TMM s’appliquent à tous les pays. Cependant, les préceptes de la TMM ne s’appliquent qu’aux pays monétairement souverains. »

 

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Source : Jan Longeval

La souveraineté monétaire signifie que le pays émet sa propre monnaie, qu’il ne contracte pas de dettes en devises étrangères et qu’il n’existe aucune restriction physique à la création de monnaie, comme un étalon-or faisant que la création monétaire dépend des réserves d’or disponibles du gouvernement. Le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, le Japon et la Suisse sont des exemples de pays monétairement souverains.

Les pays de l’Union monétaire européenne ont sacrifié leur souveraineté monétaire sur l’autel de l’unification européenne en 1999 en optant pour l’euro, ce qui implique que les préceptes de la TMM ne s’appliquent pas à eux. Pour les États membres de l’Union monétaire européenne, l’euro est de facto une monnaie étrangère. 

Longeval : « Du point de vue de la TMM, la distinction entre pays monétairement souverains et pays non monétairement souverains est essentielle. Les pays non monétairement souverains doivent gérer leur budget comme une famille ou une entreprise. Ils doivent financer les dépenses publiques par l’impôt et la dette, sans quoi ils font faillite. En revanche, selon la TMM, les pays monétairement souverains ne doivent pas gérer leurs finances comme s’il étaient une famille ou une entreprise, contrairement aux pays non monétairement souverains. »

May the Power of the Purse be with you

« La TMM argumente que ces pays n’ont même pas besoin de lever des impôts ou d’émettre des obligations pour se financer. En effet, le gouvernement monétairement souverain peut tout simplement créer sa propre monnaie en la dépensant. Pour ce faire, il fait appel à la banque centrale. Le cliché veut que la plupart des banques centrales ne soient pas autorisées à donner de l’argent directement au gouvernement (ce qu’on appelle le ‘financement monétaire’), mais dans la pratique, cela se produit tout de même.

Prenez l’exemple des États-Unis. La Fed agit non seulement comme la ‘banque des banques’, mais aussi comme la banque du gouvernement. Lorsque le gouvernement américain veut effectuer une dépense, par exemple pour acheter un avion de chasse, le Trésor américain donne l’ordre à la Fed d’effectuer le paiement. »

La Fed effectue ce paiement en débitant le compte du gouvernement auprès de la banque centrale tout en créditant simultanément le compte d’une banque commerciale auprès de la banque centrale. L’argent des banques commerciales auprès de la banque centrale est appelé ‘réserves bancaires’. S’il n’y a pas suffisamment d’argent sur le compte du gouvernement, la banque centrale effectue néanmoins le paiement et crée ainsi de la monnaie.

Longeval : « La Fed n’a encore jamais refusé un ordre de paiement du gouvernement américain et ne le fera jamais dans le futur, sous peine de voir l’ensemble du système monétaire s’effondrer. Par conséquent, un pays monétairement souverain peut en principe créer autant de monnaie qu’il le souhaite par l’intermédiaire de sa banque centrale et n’a pas besoin de lever des impôts ou de contracter des dettes au préalable.

Les impôts et les émissions obligataires ne viennent pas avant les dépenses, mais après. Ce pouvoir magique est appelé le ‘Power of the Purse’ (pouvoir du porte-monnaie). Les pays qui ont renoncé à leur souveraineté monétaire ont également renoncé au Power of the Purse : ils ne disposent plus de leur propre monnaie et ne peuvent donc pas créer de la monnaie à volonté. »

D’ailleurs, le gouvernement peut également utiliser un moyen détourné pour obtenir un financement monétaire : par le biais de l’assouplissement quantitatif, qui désigne dans le jargon l’achat d’obligations par la banque centrale. Le Trésor émet des obligations et les primary deals des banques commerciales y souscrivent. La Réserve fédérale achète ensuite ces obligations aux banques commerciales et finance ces achats en créant des réserves bancaires supplémentaires, une forme pure de création monétaire. En fait, cela revient au même. »

Dépendante du gouvernement

« La TMM considère le Trésor et la banque centrale comme une entité unique. Cela peut paraître choquant, mais la Fed n’est pas indépendante, du moins de ce point de vue. Elle agit en tant que fidèle agent de paiement et prêteur en dernier ressort du gouvernement. La Fed n’est indépendante qu’en matière de fixation des taux d’intérêt à court terme. Le gouvernement n’intervient pas directement dans ce domaine, ce qui ne signifie pas qu’il ne peut pas y avoir de pression politique, comme nous l’avons vu sous le président Trump. Et lorsque la situation se dégrade, le gouvernement retire également la politique des taux d’intérêt à la banque centrale. » Longeval fait référence aux expériences passées.

Pendant la Grande Dépression des années 30, le gouvernement américain était tellement mécontent de la mauvaise gestion de la Fed qu’il lui a retiré son indépendance et l’a placée sous l’autorité du département du Trésor. Pendant la Seconde Guerre mondiale, le taux d’endettement des États-Unis avait explosé. En 1942, le département du Trésor a demandé à la Fed de maintenir les taux d’intérêt à court terme en dessous de 1 % et les taux d’intérêt à long terme en dessous de 2,5 % par le biais d’achats obligataires massifs. L’objectif était d’éliminer la dette de guerre.

Longeval : « Ce que nous avons vu depuis 2008 n’est donc rien de nouveau sous le soleil. La Fed n’a retrouvé son indépendance formelle qu’au début des années 50. Mais le message adressé à la Fed était clair : soit vous êtes accommodants avec le gouvernement américain, soit vous perdez votre indépendance. Le Congrès américain a créé la Fed. Et le Créateur n’est-il pas tout-puissant ? »

Demain : le deuxième volet de cette série.

 

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