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La tokenisation constitue la prochaine étape pour le secteur de la gestion d’actifs, affirment Larry Fink, CEO de BlackRock, mais aussi Jeroen van Oerle, gérant de la stratégie fintech chez Lombard Odier, qui en anticipe l’impact potentiel en particulier sur les marchés privés.

Par l’intermédiaire de son CEO Larry Fink, BlackRock a déclaré en janvier que la tokenisation, soit la conversion de tous les actifs en jetons (tokens) numériques sur une blockchain, les rendant divisibles, transférables et accessibles à l’échelle mondiale, était l’avenir. « Il s’agit de la deuxième étape de la révolution technologique sur les marchés financiers, après l’introduction des ETF », avait alors déclaré Fink.

Selon d’autres gestionnaires d’actifs favorables à la tokenisation, tels que BNY Mellon, Nomura et Northern Trust, les jetons pourraient notamment combler le fossé entre l’offre et la demande pour les investissements alternatifs tels que les diamants, l’immobilier et l’art. 

Jeroen Van Oerle anticipe un changement de paradigme potentiel pour le capital-investissement : « La tokenisation rapproche le capital-investissement de l’industrie des fonds, et un fonds de capital-investissement devient donc plus qu’un fonds d’investissement. » 

Quel problème la tokenisation résout-elle ?

Jeroen Van Oerle : « La tokenisation permet à chacun d’effectuer des transactions fractionnées pour les actifs illiquides et favorise la personnalisation des portefeuilles. À l’heure actuelle, l’accès à des actifs privés, par exemple, est limité à ceux qui disposent d’un réseau étendu et des capitaux nécessaires pour réaliser des transactions. Les petits investisseurs se retrouvent exclus. En effet, il est difficile, voire impossible, de gérer de manière rentable des actions fractionnées dans des sociétés privées, sans parler de trouver un marché liquide pour négocier ces actifs. »

Par ailleurs, il est important de ne pas confondre tokenisation et titrisation, cette dernière consistant à regrouper des actifs pour les restructurer en titres portant intérêt. « Avec la tokenisation, il n’y a pas de dépendance à l’égard d’un tiers pour regrouper les actifs et les rendre à nouveau négociables. »

Pourquoi une entreprise préférerait-elle un jeton à une introduction en Bourse ou un crédit privé ?

« Réaliser une introduction en Bourse est une démarche extrêmement longue et coûteuse pour une entreprise. Certaines entreprises pensaient pouvoir contourner ce processus en passant par les SPAC (Special Purpose Acquisition Company), mais les projets de type ont malheureusement échoué dans de nombreux cas. »

« Dans le futur, une introduction en bourse deviendra une ICO (Initial Coin Offering). Cependant, cela ne signifiera pas pour autant que tous ces actifs seront de qualité comparable. Il y aura une énorme différence entre les entreprises soumises à un audit et respectant des normes de qualité élevées dans leur reporting, et celles qui se contentent de montrer un fichier Excel et une présentation PowerPoint à leurs investisseurs. Cette différence doit se refléter dans le prix des jetons. Reconnaître ces différences est essentiellement la tâche des gestionnaires de portefeuille en capital-investissement. »

Qu’est-ce que cela signifie pour le capital-investissement ?

« Aujourd’hui, le capital-investissement remplit deux fonctions principales : offrir l’accès à des entreprises privées et procéder à la sélection de ces entreprises. Les investisseurs paient actuellement pour ces deux services, mais la tokenisation a le potentiel de supprimer le pilier ‘accès’. À l’avenir, tout le monde aura accès aux actifs tokenisés, et pas seulement les investisseurs en capital-investissement. » 

« Cela signifie que les investisseurs vont orienter leur attention vers le paiement pour la sélection. Il existe un grand nombre d’actifs privés disponibles, et la majorité échouera. C’est ainsi que le modèle fonctionne. »

La tokenisation grignote-elle donc le modèle de revenu du capital-investissement ? 

« Payer un gestionnaire de fonds pour qu’il effectue des recherches approfondies sur une entreprise afin de sélectionner uniquement les meilleurs deals est précieux. En d’autres termes, la tokenisation rapproche le capital-investissement de l’industrie des fonds, et un fonds de capital-investissement ressemble davantage à un fonds d’investissement. » 

« La sélection et les benchmarks finiront par dominer le débat autour du capital-investissement, comme c’est déjà le cas pour les fonds d’investissement. Les gestionnaires compétents qui sélectionnent de manière constante des entreprises performantes et surpassent leurs pairs attireront les investisseurs. » 

« Ceux qui n’étaient bons qu’à fournir un accès aux transactions auront en effet plus de difficultés avec l’avènement de la tokenisation. La structure de frais évoluera probablement de la même manière que dans le secteur des fonds d’investissement. » 

Quels sont les pays qui ouvrent la voie ?

« L’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers suisse (FINMA) a pris une position de leader dans l’établissement des cadres réglementaires, à l’instar de Singapour. Au Royaume-Uni, le régulateur est sur le point de formuler des règles, et en Europe, le règlement sur les marchés de crypto-actifs (MiCa), entré en vigueur en juin de l’année dernière, suscite des attentes élevées. » 

« Aux États-Unis, ce sont plutôt les poursuites judiciaires qui définiront la voie. Certains procès hautement médiatisés ont par exemple contraint la SEC à donner son aval aux ETF Bitcoin. Il est judicieux de suivre ces affaires pour se faire une idée de l’orientation future de ce marché. »

Qu’est-ce qui freine encore le secteur ? 

« La société de capital-investissement KKR a tokenisé une partie de son fonds de santé et a récemment annoncé la création d’un deuxième fonds aux États-Unis, le fonds tokenisé Health Care Growth II. Outre cet exemple, il semble que certaines initiatives européennes majeures soient sur le point d’être lancées, avec en tête la société allemande Deka Investment, qui a déjà lancé des fonds tokenisés. »

La lenteur de l’adoption générale s’explique purement par l’aspect réglementaire. Le secteur de la gestion d’actifs adopte une position attentiste depuis un certain temps déjà, comme c’est toujours le cas avec les nouveautés – il suffit de penser à l’introduction des ETF et de l’investissement durable. » 

« Dès que quelques acteurs de premier plan commenceront à proposer ces produits, les autres essaieront de les suivre rapidement… ce qui entraînera un jeu de chaises musicales : celui qui restera debout lorsque la musique s’arrêtera sera éliminé. Il est clair qu’avec ses dernières déclarations sur la tokenisation, Larry Fink a lancé la musique. »

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