
Au cours des deux dernières décennies, plus de 75 % des secteurs d’activité aux États-Unis ont connu une concentration accrue, un nombre restreint de grandes entreprises contrôlant une part plus importante de leur marché. Bien que ce marché dans lequel le gagnant rafle la mise ait été très porteur pour les investisseurs, il nuit indirectement aux consommateurs et aggrave les inégalités de revenus. Pour Sean Markowicz, stratégiste chez le gestionnaire d’actifs Schroders, basé à Anvers, un durcissement des régulateurs n’est pas impossible.
La concurrence s’atténue aux États-Unis
Selon Markowicz, les plus grandes entreprises américaines d’aujourd’hui dominent de plus en plus leurs secteurs respectifs en termes de ventes, de bénéfices et de performances boursières. « Les grandes entreprises technologiques comme Apple, Amazon, Google, Facebook et Microsoft en sont un bel exemple. Nous les connaissons bien parce qu’elles ont eu un impact profond sur notre société. » Markowicz souligne également que ce n’est pas seulement le secteur technologique qui souffre d’une domination croissante : 75 % des secteurs américains tels que les médias, les télécommunications, la distribution, l’aviation, etc. ont connu une concentration accrue depuis 1997.
Trois raisons différentes
Aujourd’hui, il distingue trois raisons principales à cette domination accrue : l’innovation technologique, l’augmentation des fusions et acquisitions et le laxisme des régulateurs.
Premièrement, la diffusion rapide des produits et services numériques a révolutionné l’économie américaine. À l’ère du numérique et de l’information, les concepts sont devenus plus importants que les objets, et les données ont pris beaucoup plus de valeur. Or là où les actifs incorporels sont les plus importants, la domination s’accroît.
Deuxièmement, il y a eu ces dernières années davantage de fusions et acquisitions d’entreprises. Entre 1985 et 1995, 5000 fusions et acquisitions étaient annoncées en moyenne chaque année, contre 10 000 par an aujourd’hui. Or la réduction du nombre d’entreprises ne favorise pas la compétitivité. Et troisièmement, cela a été facilité par un manque de régulation. Il a été démontré que les autorités de la concurrence remettent moins d’opérations en question que par le passé.
Les actionnaires se portent mieux que les travailleurs
Cette évolution du marché a eu un impact majeur sur les investisseurs car, à mesure que ces sociétés ont consolidé leur domination sur le marché, les bénéfices des entreprises ont augmenté par rapport au PIB. Les salariés (c’est-à-dire le travail) ont par contre reçu une plus petite part du gâteau. La part des salaires dans le PIB est passée de 64 % en 2000 à 57 % aujourd’hui. Une des raisons pour lesquelles les actionnaires ont pu se frotter les mains est que ces entreprises ‘superstars’ sont très rentables et génèrent beaucoup plus de chiffre d’affaires par salarié.
L’inégalité générale s’est accrue en raison de l’augmentation de la concentration. « Comme les familles à faible revenu investissent moins, ces bénéfices ne sont pas répartis de façon égale dans la population. Et la concentration accrue a également pesé sur la croissance des salaires, ce qui a encore exacerbé cette inégalité. Lorsqu’il y a moins d’entreprises dans un secteur, elles doivent faire moins d’efforts pour attirer une main d’œuvre de qualité, ce qui permet de garder les salaires sous contrôle. »
Et qu’est-ce qui pourrait inverser cette tendance ?
Depuis l’augmentation des inégalités, nous avons assisté à une grande vague de populisme. Et après le scandale Cambridge Analytica (utilisation de données pour influencer le résultat des élections, NDLR), le scepticisme envers ces entreprises n’a fait qu’augmenter. Un signe pour les observateurs du marché de Schroders, « parce que l’opinion publique est de plus en plus critique à l’égard de ces ‘superstars’ technologiques et que cela a nourri les appels à l’intervention du gouvernement. » Du reste, plusieurs organismes ont déjà commencé à enquêter sur les grandes entreprises de technologie.
De plus, la valorisation de ces entreprises se situe à un niveau très élevé. Les 5 plus grandes entreprises technologiques représentent 50 % de la capitalisation totale du secteur technologique, et l’ensemble du secteur technologique représente à son tour 25 % de la capitalisation boursière totale, ce qui nous rapproche du niveau atteint lors de la bulle technologique de 2000.
« Nous n’affirmons pas qu’ils vont bientôt perdre leurs positions dominantes, parce qu’ils ont des barrières à l’entrée très élevées, mais certains dangers dont les investisseurs doivent tenir compte se profilent à l’horizon. La prudence s’impose », conclut Sean Markowicz.
Rapport original: https://www.schroders.com/nl/nl/professionele/nieuws-marktinformatie/thought-leadership/the-rise-of-us-superstar-firms-and-its-implications-for-investors/