Dirk Coveliers
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Encore un feu d’artifice fiscal inattendu et spectaculaire pour la fin de l’année : si la réforme fiscale du ministre Van Peteghem n’a finalement pas abouti cet été, la modification de la taxe Caïman qui a été votée au Parlement ce jeudi 21 décembre 2023 dans le cadre de la loi-programme est également importante.

Cette réforme fait suite au rapport et aux observations de la Cour des comptes, formulées en avril 2023 concernant cette législation relative à la taxe Caïman, ainsi qu’aux recommandations qu’elle a adressées au gouvernement en vue d’optimiser cette législation.
Le gouvernement propose ces modifications en tant que remédiation aux règles actuelles de la taxe Caïman, afin d’également répondre aux observations de la Cour. Selon lui, il ne s’agit donc pas de remanier l’ensemble du système comme cela a été fait en 2017, mais plutôt de remédier ponctuellement aux problèmes identifiés et de permettre ainsi à la taxe Caïman d’évoluer vers la version 2.1.

Cependant, les nouvelles « remédiations » causent principalement des ravages dans les structures patrimoniales luxembourgeoises, néerlandaises, françaises et suisses détenues – directement ou indirectement – par des personnes physiques soumises à l’impôt des personnes physiques ou à l’impôt des personnes morales en Belgique. 
L’exposé des motifs rappelle que l’intention initiale de la taxe Caïman était de rapatrier à terme les « patrimoines flottants » en Belgique par le biais de la liquidation des constructions juridiques.

De fait, ce mouvement est de plus en plus observé. Bien que les structures françaises et suisses figurent également au menu du caïman, je me limiterai ci-après aux structures luxembourgeoises et néerlandaises.

Le caïman en chasse aux structures luxembourgeoises

Les SPF et SOPARFI luxembourgeoises détenues directement ou indirectement (via une société intermédiaire) par des personnes physiques ou morales résidant en Belgique sont remises en question et converties ou éventuellement liquidées avant le 1er janvier 2024. 

Il s’agit également d’une attaque contre les fonds dédiés. On entend par « fonds dédié » des organismes de placement collectif « dont les droits sont détenus par une personne ou plusieurs personnes liées entre elles ». Cette notion peut également s’appliquer à un compartiment distinct. Sous le nouveau régime, ils sont considérés comme des constructions juridiques « lorsque leurs droits sont détenus à plus de 50 % par une personne ou plusieurs personnes liées entre elles ». La modification vise donc les organismes de placement collectif alternatifs (OPCA) dont plus de la moitié des actions sont détenues par une personne ou des membres d’une même famille, même si 49 % des actions sont détenues par des tiers.

Il s’agit généralement de FIS-SICAV luxembourgeois. Les fonds d’investissement spécialisés (FIS) luxembourgeois sont régis par la loi du 13 février 2007 relative aux fonds d’investissement spécialisés. Les FIS-SICAV luxembourgeois sont donc réglementés par la loi et supervisés par la Commission de Surveillance du Secteur Financier (CSSF). La surveillance prudentielle de la CSSF vise à s’assurer que les FIS soumis à sa surveillance respectent en permanence l’ensemble des dispositions légales, réglementaires et contractuelles relatives à leur organisation et à leur fonctionnement afin d’assurer la protection des investisseurs et la stabilité du système financier. Si des tiers extérieurs à la famille ont également apporté des capitaux, il s’agit d’un organisme de placement alternatif soumis à la directive 2011/61/UE (directive sur les gestionnaires d’organismes de placement alternatifs).

L’avenir dira si cette disposition anti-abus ou ce traitement fiscal distinct des FIS-SICAV dans lesquels participent également des tiers est compatible avec la directive susmentionnée ainsi qu’avec le principe de la libre circulation des capitaux ou des services au sein de l’UE.

Dans la pratique, de nombreux fonds dédiés-OPCA (ou compartiments dédiés d’OPCA) envisageront probablement de se convertir en structure belge. En effet, les structures belges ne seraient pas considérées comme des constructions juridiques. Cependant, une telle conversion n’est plus possible avant la fin de cette année civile. Une décision anticipative peut se révéler judicieuse afin d’éviter autant que possible les morsures de caïman pendant la transition du Luxembourg vers la Belgique.

Le caïman en chasse aux STAK (et aux STAK-BM) néerlandais

Une autre structure qui risque d’être dévorée par le caïman est le STAK (Stichting Administratiekantoren) - ainsi que le « STAK-BM » (STAK- société simple) - néerlandais. Ce ne sont pas les modifications substantielles de la loi qui sont à l’origine de la controverse, mais plutôt la clarification de leur statut fiscal dans l’exposé des motifs de ces modifications et les éclaircissements donnés par le ministre à ce sujet devant la commission parlementaire. Leur statut fiscal fait l’objet de vifs débats depuis 2018.

Il est désormais précisé qu’un STAK néerlandais est considéré comme une construction juridique qui peut cependant rester en dehors du champ d’application de la taxe Caïman si la transparence fiscale des revenus s’applique déjà parce que les conditions de la loi belge sur la certification sont remplies (art. 13). Par conséquent, les actions certifiées ne peuvent elles-mêmes se rapporter à une construction juridique. Il faut être vigilant concernant les portefeuilles-titres qui ont été certifiés de cette manière. Il faudra donc vérifier, ligne par ligne, si la loi sur la certification est respectée, à moins qu’une autre tolérance administrative puisse être invoquée, comme cela est suggéré pour les constructions STAK-BM.

Interrogé à ce sujet lors de la deuxième lecture en commission parlementaire le 18 décembre, le ministre a répondu que le même raisonnement pouvait être suivi pour les constructions STAK-BM, bien que la loi belge sur la certification ne s’applique pas, en principe, aux actions d’une société (simple) et qu’il faille plutôt recourir à une tolérance administrative existante. Le ministre ne précise pas davantage ce qu’implique exactement cette tolérance. Bien qu’on peut supposer de quelle tolérance il s’agit, la question de savoir si elle existe encore effectivement reste ouverte.

Les modifications actuelles de la loi signifient qu’à partir du 1er janvier 2024, il ne sera plus possible d’éviter la qualification de construction juridique en faisant passer les certificats du STAK via une société intermédiaire.
Nonobstant ce qui précède, le (co-)fondateur devra  en tout cas signaler l’existence de cette construction juridique (soit le STAK, soit le STAK-BM) dans la déclaration. 

Le maintien de la qualification de construction juridique (CJ) peut entraîner les effets secondaires suivants :

  • obligation de déclaration de la construction juridique dans la déclaration à l’impôt des personnes physiques par le (co-)fondateur ;
  • à partir de l’exercice d’imposition 2024, ajout d’une description de la CJ (nom complet, forme juridique, adresse et, le cas échéant, numéro d’identification de la construction juridique mentionnée ; nom et adresse du gestionnaire (= administrateur ou gérant) de la construction juridique mentionnée s’il s’agit d’une construction de type trust ou d’une construction fiduciaire (visées à l’article 2, § 1, 13°, a); 
  • le (co-)fondateur (en pratique, le détenteur du certificat) est réputé cotitulaire du compte-titres détenu par le STAK pour l’application de la taxe annuelle sur les comptes-titres (TACT). 
    Un résident belge (détenteur de certificat) contamine l’ensemble du compte-titres aux fins de la taxe annuelle sur les comptes-titres ;
  • Période de révision de 10 ans pour la déclaration à l’impôt des personnes physiques parce que la CJ est considérée comme une structure complexe. 

C’est pourquoi pour de telles structures, on décide encore à la hâte de transférer le siège réel du STAK en Belgique avant le 1er janvier 2024 (en effet, une structure belge n’est pas considérée comme une structure juridique) ou de dissoudre la société.

Et qu’en est-il du respect du principe d’égalité, du droit européen et du droit international  ?

On peut légitimement se demander si ces nouvelles règles et interprétations passeront le test du principe de la libre circulation des capitaux et des services au sein de l’UE, du respect des conventions préventives de la double imposition ou du principe constitutionnel d’égalité.

Dirk Coveliers est avocat et expert auprès d’Investment Officer.

 

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