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Les investisseurs en capital-investissement promettent la prospérité, mais ils mettent souvent en danger les entreprises de leur portefeuille. Pendant ce temps, le secteur se soustrait à la responsabilité juridique de ses actes.

Dans un entretien accordé à Investment Officer à Washington, Brendan Ballou, auteur du best-seller Plunder : Private Equity’s Plan to Pillage America, explique que c’est lors de ses précédentes fonctions en tant qu’avocat au sein de la division capital-investissement du ministère américain de la Justice qu’il a commencé à démêler les stratégies permettant aux investisseurs en capital-investissement d’exercer une influence considérable sur l’économie américaine, souvent au prix de coûts publics significatifs. 

Quel exemple illustre le mieux vos préoccupations à l’égard du capital-investissement ?

Brendan Ballou : « L’acquisition par Carlyle de HCR ManorCare, la deuxième chaîne de maisons de repos aux États-Unis, constitue un exemple éloquent. Carlyle a endetté l’entreprise et réduit les effectifs, ce qui a entraîné une augmentation significative des violations des lois garantissant la qualité des soins. »

« En raison du manque de personnel, des résidents sont décédés. Mais lorsqu’une famille a voulu intenter un procès pour décès injustifié, Carlyle a réussi à obtenir un non-lieu en se distançant de la propriété directe. L’argument avancé était que techniquement, les clients de Carlyle étaient propriétaires de la maison de repos. Carlyle se contentait de conseiller les fonds qui détenaient la chaîne en portefeuille. »

« Cette histoire illustre ma critique du modèle économique du capital-investissement. Elle montre que les sociétés de capital-investissement peuvent souvent exercer un contrôle sur les entreprises, mais qu’elles ont une capacité unique à se soustraire à la responsabilité juridique des actes des entreprises qu’elles détiennent en portefeuille. »

« Quels que soient les mérites de cette structure juridique, du point de vue de l’investissement, le capital-investissement est souvent préjudiciable et va à l’encontre d’une gestion efficace et responsable. »

Ce type de situation est-il fréquent ?

« Aux États-Unis, sa fréquence est alarmante. Ces sociétés contrôlent la gestion des entreprises et nomment les CEO et les membres du conseil d’administration. Cependant, il est très difficile d’engager leur responsabilité, car la législation américaine ne le permet pratiquement pas. » 

« Les poursuites contre une entreprise gérée par un fonds de capital-investissement et contre la société elle-même sont rares, car les plaignants savent que leurs chances de succès sont minimes. De plus, la propriété détenue par les sociétés de capital-investissement est souvent dissimulée, de sorte que beaucoup ignorent même qui sont les véritables propriétaires. »

Le titre de votre livre laisse entendre que le pillage est prémédité. Est-ce ce que vous souhaitiez démontrer ?

« Après la crise financière de 2008, la réglementation des banques traditionnelles s’est considérablement renforcée, ce qui a déplacé de nombreuses activités financières vers des secteurs moins réglementés, comme le capital-investissement. Ces sociétés, qui opèrent comme des banques de l’ombre, échappent en grande partie à la surveillance stricte à laquelle sont soumises d’autres institutions financières. »

« Qu’il s’agisse d’un plan directeur ou d’un plan de pillage, il existe de fortes incitations au pillage ou à l’extraction. Une étude a montré que les entreprises américaines qui n’étaient pas détenues par des sociétés de capital-investissement affichaient un taux de faillite d’environ 2 % au cours des dix dernières années. Le taux de faillite des entreprises détenues par des sociétés de capital-investissement s’élevait quant à lui à 20 %. »

« Permettez-moi d’être très clair sur un point : lors de mes discussions avec des professionnels du capital-investissement, j’ai constaté qu’ils étaient généralement amicaux et professionnels, sans intentions malveillantes. »

Le capital-investissement offre des rendements élevés aux investisseurs. La plupart d’entre eux ont l’obligation fiduciaire de rechercher les meilleurs rendements possibles pour leurs clients. Doivent-ils se détourner du capital-investissement ?

« De plus en plus d’études suggèrent que si l’on tient compte de tous les frais de gestion et autres coûts associés aux investissements en capital-investissement, ce dernier n’offre peut-être pas un meilleur rendement ajusté au risque que les actions ordinaires. »

« C’est une question théorique qui reste sans réponse. Il conviendra dès lors de voir si le capital-investissement tient ses promesses de rendements, en particulier dans un environnement de taux d’intérêt plus élevés. »

S’ils restent investis, sont-ils complices du pillage ?

« Les sociétés de fonds, et en particulier celles qui comptent des fonds de pension parmi leurs clients, sont confrontées à un dilemme complexe. Bien que le capital-investissement puisse offrir des rendements élevés, les risques et les coûts associés à long terme à ces investissements peuvent ne pas être justifiables, surtout si l’on tient compte de l’impact social négatif potentiel, comme la lutte contre les syndicats. C’est comme un serpent qui se mord la queue. »

« Le problème du capital-investissement, ce n’est pas qu’il s’agit d’une forme extrême de capitalisme, mais plutôt d’une perversion du capitalisme. Il s’agit d’un modèle d’entreprise qui, s’il se développe, peut réellement peser sur notre économie dans son ensemble. En effet, il représente un transfert d’argent des secteurs productifs de notre économie vers les secteurs moins productifs. »

Ne peut-on pas en dire autant de chaque dollar qui passe de l’économie réelle à l’économie financière ?

« Le capital a toujours un rôle à jouer dans notre économie et les capitaux privés sont essentiels pour aider les entreprises à se développer et à innover. Cependant, des recherches académiques suggèrent que nous avons déjà dépassé le point où la finance, en tant que pourcentage de notre PIB, est la plus bénéfique pour notre croissance économique. »

« Les fonds de pension devraient se poser la question suivante : sont-ils prêts à investir dans un modèle d’entreprise qui, en fin de compte, ralentira la croissance du processus économique qui améliore la vie de chacun d’entre nous ? »

Quel est l’impact de l’élargissement du capital-investissement à un public plus large, notamment aux investisseurs particuliers ?

« L’élargissement du capital-investissement à un public plus large accroît le flux de capitaux vers un secteur moins réglementé. De plus, l’illiquidité inhérente au capital-investissement présente des risques considérables pour les investisseurs ordinaires qui recherchent des solutions financières flexibles, et peut potentiellement conduire à des situations défavorables en cas de besoin. »

« Certains pourraient être contraints de retirer leur argent à un moment tout à fait inopportun, ce qui pourrait leur causer du tort. Je suis donc préoccupé par les conséquences que l’expansion des investissements en capital-investissement pourrait avoir sur notre économie ainsi que sur les investisseurs ordinaires. »

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