La faiblesse persistante des taux d’intérêt réduit également les attentes de rendement des investisseurs occidentaux sur les marchés émergents. Les projets cofinancés par l’État et des investisseurs privés, qui étaient auparavant irréalisables en raison des exigences de rendement de ces derniers, sont donc désormais possibles.
Wim Vandenhoeck voit des opportunités en or dans les partenariats public-privé (PPP) dans les économies émergentes, notamment dans le domaine des infrastructures. Dans ce cadre, un État émet des obligations dont le produit est spécifiquement affecté à un projet particulier.
Vandenhoeck est un investisseur expérimenté dans la dette des marchés émergents (EDM). Il est depuis août 2019 à la tête du nouveau fonds Invesco Emerging Markets Local Debt Fund, qu’il gère avec Hemant Baijal. Tous deux ont rejoint le fonds en 2019 et travaillaient précédemment pour OppenheimerFunds, également américain.
« Nous avons investi dans une obligation PPP pour la première fois il y a trois ans, pour la construction d’un tunnel en Colombie », explique Vandenhoeck, qui travaille habituellement depuis New York mais qui, en raison du coronavirus, est temporairement basé dans la chambre d’étudiante de sa sœur à Louvain.
Jusque récemment, il était presque impossible de lancer des PPP sur les marchés émergents, car les coûts étaient tout simplement trop élevés pour les gouvernements de ces pays. « Les investisseurs étrangers demandaient pour cela des rendements à deux chiffres, similaires à ceux des fonds de capital-investissement. Mais avec la chasse au rendement résultant de la politique monétaire ultra-accommodante de l’Occident, ces mêmes investisseurs se contentent désormais d’un rendement de 6 ou 7 %. »
Vandenhoeck s’attend donc à un boom pour ce type de projets. Il mentionne également l’exemple récent des obligations sociales émises par le Chili l’année dernière en réaction aux protestations massives contre les inégalités dans le pays.
Les infrastructures laissent en outre fortement à désirer dans de nombreuses économies émergentes, et les pays dépendent souvent des prêts de la Chine pour construire les routes, chemins de fer et ports nécessaires. Les PPP constituent une alternative bienvenue.
Problème de l’ESG
Les PPP offrent également aux investisseurs une possibilité immédiate d’avoir un impact dans le domaine ESG. « En Colombie, le PPP est en principe une situation win-win-win. Il fournit à l’investisseur environ 400 points de base en plus du rendement d’une obligation d’État ordinaire, il est bon pour la population locale car il stimule l’activité économique, et il est donc souvent positif dans le domaine ESG. » Par exemple, un tunnel construit là où la seule liaison avec le monde extérieur était précédemment une route de montagne sinueuse peut sortir les paysans de la pauvreté et réduire les émissions de CO2.
Jusqu’à présent, l’ESG a souvent été le parent pauvre des investisseurs dans la dette des marchés émergents, reconnaît d’emblée Vandenhoeck. En effet, presque tous les gouvernements des pays émergents ont l’une ou l’autre chose à se reprocher en matière de gouvernance, de démocratie et de politique environnementale. « Mais, et c’est peut-être là le bon côté de la pandémie, j’ai remarqué un revirement récent », déclare le Belge qui, après 25 ans passés aux États-Unis, émaille son néerlandais de termes anglais. « Les gouvernements des marchés émergents sont soumis à une pression croissante, notamment de la part des fonds de pension néerlandais. Aujourd’hui, il est même possible d’en en parler lors de réunions. Il y a quelques années, c’était encore impensable. »
Momentum positif
Néanmoins, la réputation ESG de la plupart des EMD local currency issuers laisse encore fortement à désirer. Dans son processus de sélection, Vandenhoeck se concentre donc sur les pays qui font preuve d’un ‘momentum positif’ dans le domaine ESG. Selon lui, cela s’applique dans une large mesure à la Colombie déjà mentionnée plus haut et qui, avec une allocation de 14%, est de loin la position la plus importante de son fonds. « La Colombie est une démocratie assez stable, qui a en outre démontré sa capacité à consolider ses dettes suite à la crise des matières premières de 2014/15. Non, la Colombie ne m’empêche pas de dormir. »
Ce n’est sans doute pas le cas du Brésil et de l’Afrique du Sud, deux des plus grandes positions dans le JPM GBI-EM Index (l’indice de référence du fonds de Vandenhoeck) et notoirement problématiques. Ces deux pays sont confrontés à une dette publique en augmentation rapide, à une croissance économique obstinément faible ainsi qu’à une monnaie faible. « Le jury ne s’est pas encore prononcé concernant ces deux pays », déclare Vandenhoeck. C’est pourquoi il se concentre ici sur les valorisations. « En raison de leurs problèmes économiques, ces deux pays ont une courbe de rendement assez abrupte. L’évaluation se traduit par une légère surpondération de l’Afrique du Sud et une légère sous-pondération des obligations brésiliennes.
Hongrie
Bien entendu, les pays ayant un momentum négatif ne manquent pas, et ils sont probablement plus nombreux que ceux qui connaissent un développement positif. « La Turquie en est un exemple. Nous n’y avons plus d’exposition depuis au moins trois ou quatre ans. Ces derniers temps, le pays cherche à se rapprocher de l’Occident, mais Erdogan est toujours au pouvoir. Tant que ce sera le cas, peu de choses changeront fondamentalement. »
Un autre mouton noir est la Hongrie du ‘Viktator’ Viktor Orbán. « Fin mars, nous avons complètement supprimé notre position en Hongrie lorsque le Parlement a été entièrement mis sur la touche. Il est choquant qu’une telle chose puisse se produire en Europe en 2020 », déclare Vandenhoeck. « Et je ne m’attends pas au retour de la Hongrie dans notre fonds. »
À cet égard, il est frappant de constater que Vandenhoeck a une surpondération de la Russie, où le Parlement n’a plus son mot à dire depuis des années. Avec l’empoisonnement du leader de l’opposition Navalny, le pays semble même être sur la voie d’une dictature répressive. Mais pour les investisseurs obligataires, la Russie est un eldorado. « Fondamentalement, la Russie est probablement le meilleur pays de tout le spectre EMD », déclare Vandenhoeck en référence à la faible dette publique et à l’excédent de la balance commerciale du pays.
Après l’éclatement de la crise du coronavirus en mars, le gouvernement russe a choisi de donner la priorité aux finances publiques. Alors que les pays occidentaux offraient de généreux programmes de soutien aux entreprises, la Russie soutenait uniquement les grandes entreprises publiques. Poutine n’a pas donné le moindre rouble aux petites et moyennes entreprises. Les investisseurs obligataires ont davantage apprécié cette frugalité que la population russe. Après une brève hausse en mars, le taux d’intérêt russe à 10 ans a fortement baissé au cours de l’année dernière. Avec 5,88 %, il est désormais inférieur au niveau de février 2020.