La Fed a surpris les marchés mardi dernier avec une baisse de 50 points de base – la première action de cette ampleur depuis les jours les plus sombres de la crise financière mondiale. D’autres banques centrales dans le monde vont également abaisser leurs taux ce mois-ci. Jim Leaviss et Wolfgang Bauer, de M&G, évaluent l’impact pour les investisseurs à revenu fixe. Entretien avec Investment Officer.
Malgré la baisse des taux d’intérêt par la Fed, le sentiment économique a continué à se détériorer et les cours des obligations ont augmenté, avec un nouveau rendement faible pour les bons du Trésor américain à 10 ans, et les actions américaines ont chuté. Cette réaction ‹risk off› reflète peut-être la crainte que la Fed en sache davantage sur la propagation du coronavirus aux États-Unis que ce qui est officiellement reconnu. « Il faut espérer que cette baisse soudaine des taux d’intérêt se révélera être une réaction excessive des décideurs politiques », déclare Jim Leaviss, CIO de la Public Fixed Income Team de M&G. « Mais même si l’impact du virus s’avère moins important que ce que l’on craignait, il a déjà causé des dégâts à l’économie mondiale, qui connaissait déjà un ralentissement dans de nombreuses régions, notamment en raison des conflits commerciaux. »
Le tourisme et les voyages d’affaires sont durement touchés et l’incertitude n’est jamais bonne pour la consommation ou l’appétit commercial. Du côté offre de l’économie, des usines en Chine ont été fermées et la circulation des marchandises à travers le monde a été perturbée. Il ne fait guère de doute que la croissance du PIB de presque tous les pays sera nettement inférieure à ce qu’elle aurait dû être, et que certains pays seront dès lors confrontés à une récession et un recul de l’emploi. Jim Leaviss : « D’autres banques centrales dans le monde, dont la Banque d’Angleterre, vont également réduire leurs taux ce mois-ci, et comme les taux d’intérêt sont nuls, voire négatifs dans certaines régions, d’autres actions de politique monétaire extraordinaires seront envisagées (plus d’assouplissement quantitatif ?). Contrairement à la crise financière, l’argent bon marché ne peut pas résoudre ce problème. À mesure que l’impact du virus diminue ou augmente, l’incertitude qui va de pair accroîtra la demande de valeurs refuges. »
Faibles coûts de refinancement pour les entreprises
« Un taux d’intérêt plus bas contribue à maintenir les coûts de refinancement des entreprises et donc, les taux de défaillance, à un niveau bas », explique Wolfgang Bauer, gestionnaire de fonds Fixed Income chez M&G. « Tous les regards sont maintenant rivés sur la BCE et sa réaction à la situation. Avec des taux de dépôt à un niveau record de -0,5 %, la marge de manœuvre pour abaisser les taux d’urgence est déjà nettement plus réduite qu’à la Fed. Mais la BCE pourrait intensifier son programme d’assouplissement quantitatif. Actuellement, les achats nets d’actifs s’élèvent à 20 milliards d’euros par mois, mais ce montant pourrait facilement être porté à 80 milliards d’euros, comme ce fut le cas d’avril 2016 à mars 2017, avec une proportion importante d’obligations d’entreprises. Cela offrirait certainement un soupir de soulagement aux malheureux investisseurs en obligations d’entreprises. Mais attention : si le marché des obligations d’entreprises se calme suite à l’intervention de la BCE, un raz-de-marée de nouvelles obligations d’entreprises, qui avaient été mises au frigo lors de la récente vente, pourrait frapper le marché primaire et le volume de la nouvelle offre d’obligations pourrait former la base d’un éventuel rétrécissement des spreads de crédit. »
Positionnement actuel
Dans ses fonds, Jim Leaviss souhaite maintenir une échéance longue pour les titres à revenu fixe : « J’ai actuellement ma plus longue échéance depuis la grande crise financière, car j’ai ajouté des obligations d’État de manière agressive en janvier, grâce aux valorisations (obligations vendues au dernier trimestre 2019), à un énorme consensus baissier sur la classe d’actifs ainsi qu’à mon anticipation selon laquelle la croissance économique avait commencé à stagner. Pour rappel, les rendements des obligations d’État sont en baisse depuis une quarantaine d’années, en raison du vieillissement de la population (plus de demande de revenus et actifs moins risqués), de la technologie (l’impact de l’e-commerce sur le maintien d’une inflation faible, par exemple) et de la mondialisation (marchandises bon marché en provenance d’Asie). Ces tendances se maintiennent généralement bien. Comme j’ai un portefeuille mondial, je peux aussi utiliser la monnaie comme autre levier d’investissement. Actuellement, le yen japonais présente de fortes qualités défensives : il est négativement corrélé à des actifs risqués tels que les actions et se comporte généralement bien en période d’instabilité géopolitique. Enfin, les obligations d’entreprises ne sont pas à l’abri des turbulences des marchés actions et des craintes concernant l’économie. Je suis peu exposé aux obligations d’entreprises depuis plusieurs mois déjà, parce que je pense que cette classe d’actifs est chère, bien que fondamentalement forte car les défauts de paiement sont extrêmement rares pour le moment. Lors de la vente la semaine dernière, j’ai acheté quelques obligations d’entreprises, mais je suis encore extrêmement sous-pondéré. »
Y a-t-il de bonnes nouvelles ? Jim Leaviss : « Oui, les chiffres économiques chinois sont parfois considérés avec méfiance, mais nous avons accès à certaines mesures en temps réel de l’activité sur place, comme les données sur la pollution et la congestion du trafic. Ces chiffres suggèrent que l’aplatissement des cas de contagion au virus signalés pourrait y être réel, et que le ralentissement économique pourrait être plus court si le reste du monde parvient à isoler rapidement les cas suspects de contagion au virus. Il faut espérer que c’est ainsi que cela va se passer. »