Image generated via Dall-e/AI.
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Le Luxembourg a franchi une nouvelle étape dans la modernisation de sa dette souveraine, avec l’émission en juin dernier de certificats de trésorerie entièrement numériques, adossés à la technologie blockchain. D’un montant limité à 50 millions d’euros, l’opération pourrait être perçue comme un simple test, mais les propos de Bob Kieffer, secrétaire général de la Trésorerie de l’État, indiquent une stratégie bien plus structurée. 

« Nous ne sommes pas dans une logique d’effet d’annonce. Ce format est appelé à être réutilisé. D’autres produits suivront », explique-t-il, sans entrer dans le détail des instruments à venir. Ce flou volontaire ne masque pas l’essentiel : le cadre technique, juridique et opérationnel mis en place est prêt à être déployé de nouveau à court terme.

Lors de l’annonce de la création de ces certificats, en juin dernier, Gilles Roth, le ministre des Finances du Grand-Duché, a indiqué que le Luxembourg était le premier pays à émettre des certificats de trésorerie numériques à cette échelle. « Cette émission souligne notre engagement à rester à la pointe de la technologie en ce qui concerne l’infrastructure financière », a-t-il déclaré, soulignant qu’il continuerait à veiller à ce que les acteurs financiers internationaux trouvent au Luxembourg un environnement propice à la tokénisation des actifs et des véhicules d’investissement.

100 % luxembourgeois

L’émission repose sur une infrastructure intégralement localisée au Luxembourg. Les titres ont été émis sous droit luxembourgeois, cotés à la Bourse de Luxembourg, et structurés via la plateforme Orion, développée par HSBC et également implantée dans le pays. Deux banques ont agi en tant que chefs de file – HSBC et BGL BNP Paribas – afin de garantir une exécution conforme aux normes de marché, tout en mettant en avant l’expertise de la place. Pour Bob Kieffer, cette approche visait à « démontrer concrètement que la finance numérique peut être structurée localement avec les outils existants », tout en s’intégrant dans un cadre légal robuste.

Ce certificat numérique s’appuie sur la technologie de registre distribué (DLT), ce qui signifie que l’ensemble du cycle de vie de l’obligation – émission, distribution, règlement – est entièrement opéré sur la blockchain. Contrairement aux titres dématérialisés classiques, encore dépendants de processus hors ligne ou de plateformes multiples, le certificat DLT fonctionne dans un environnement unique. « Cela nous permet d’apporter une transparence et une traçabilité absolues à chaque étape », résume M. Kieffer. 

Un autre avantage est la rapidité : le délai entre l’émission et le règlement est passé de cinq à trois jours. La Trésorerie envisage même de viser un règlement en T+0 à l’avenir, lorsque l’euro numérique ou une monnaie centrale de règlement sera disponible.

Période de test

Un élément important de différenciation réside dans l’obligation faite aux investisseurs d’être enregistrés sur la plateforme Orion. Cette contrainte n’est pas anodine. Elle permet un meilleur suivi de la distribution, mais renforce également la sécurité juridique et opérationnelle du processus. 

Cela distingue nettement l’émission luxembourgeoise d’autres initiatives européennes, comme celle de la Slovénie, qui s’était appuyée sur un placement privé via un acteur bancaire unique. « Nous avons fait un autre choix. Notre objectif était de mettre en valeur l’ensemble du savoir-faire de la place financière luxembourgeoise », précise Bob Kieffer.

La sélection des investisseurs n’a pas révélé de rupture majeure avec les pratiques habituelles. La majorité des souscripteurs sont des acteurs institutionnels européens : banques, assureurs, gestionnaires d’actifs. Mais selon le Trésorier, ils sont venus avec un intérêt supplémentaire : « Ce sont des investisseurs qui observent aussi cette technologie en tant que futurs émetteurs. Ils testent autant le produit que le processus. »

L’effet pédagogique de cette première opération semble donc avoir été bien intégré dans la stratégie globale.

La phase de préparation a été longue, notamment sur le plan juridique. L’élaboration d’un cadre contractuel adapté à une émission sur DLT a nécessité plusieurs mois de travail en amont. En revanche, une fois ce cadre établi, l’exécution de l’opération a été très rapide. « Si nous devions lancer une deuxième émission demain, ce serait tout à fait possible », affirme M. Kieffer. Le message est clair : l’objectif n’était pas uniquement d’innover, mais de créer une solution pérenne, duplicable, et conforme aux standards internationaux.

Transformation progressive

Cette première émission n’a pas vocation à remplacer immédiatement les formats traditionnels. Le Luxembourg continuera d’utiliser les outils classiques pour répondre à ses besoins de financement. Toutefois, le modèle numérique constitue désormais une alternative crédible. À moyen terme, son développement dépendra en grande partie de l’évolution du contexte européen, notamment de la mise en œuvre de l’euro numérique. Ce dernier pourrait permettre non seulement un règlement instantané, mais aussi une meilleure intégration avec les dispositifs de politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE).

La vision de la Trésorerie luxembourgeoise reste prudente mais déterminée. En misant sur une technologie encore en phase d’appropriation, elle anticipe une transformation progressive du marché de la dette souveraine.

« Il est de notre responsabilité de rester à l’affût des évolutions technologiques. Non seulement pour améliorer notre efficacité, mais aussi pour ne pas être pris de court lorsque ces technologies deviendront la norme », conclut Bob Kieffer.

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