Le marché du crédit a été durement touché sur toute la ligne. « Vendre à des prix normaux est désormais pratiquement impossible car il n’y a pour ainsi dire pas de liquidités. » Seuls les ETF peuvent encore être vendus facilement, avec une chute spectaculaire des prix à la clé. Le dernier paquet de soutien de la BCE pourra-t-il rétablir le calme ?
Au cours du mois dernier, les trackers obligataires, tels que l’ETF iShares Core € Corp Bond, ont chuté beaucoup plus vite que les indices qu’ils sont censés suivre en raison de l’énorme décollecte à laquelle ils ont été confrontés. « Nous constatons un écart important entre les cours des trackers obligataires d’iShares et les titres sous-jacents », déclare Martijn Hesterman (photo), lead portfolio manager credits chez le fonds de pension néerlandais Achmea IM.
« On peut en déduire que les prix réels des obligations devraient être encore plus bas. En outre, de nombreux investisseurs sont si ardemment en quête de liquidités que le prix auquel ils vendent ne fait plus guère de différence pour eux. Et la seule chose qu’ils peuvent vendre en suffisance, ce sont les ETF, car il est maintenant vraiment très difficile pour les grands acteurs de vendre des obligations individuelles. »
David Lafferty, Chief Market Strategist chez Natixis IM, constate également que les marchés obligataires ont changé de manière spectaculaire en peu de temps. « La hausse des rendements et l’énorme augmentation des taux d’intérêt ces dernières semaines ont rendu le marché obligataire très difficile. Le risque de taux d’intérêt et le risque de crédit sont désormais plus importants qu’avant le coronavirus. »
Mais tout n’est pas perdu. « Les surcoûts de crédit ont maintenant atteint un tel niveau que les marchés du crédit commencent à intégrer une récession. » Alors, un bon moment pour acheter ? « C’est l’environnement idéal pour les investisseurs obligataires actifs. Il y a beaucoup d’incertitude sur le marché, et le mécanisme des prix sur le marché ne fonctionne pas correctement. »
Toutefois, afin de pouvoir profiter de ces opportunités, il faut qu’il y ait des liquidités sur le marché et que le calme revienne sur celui-ci. En effet, s’ils ne disposent pas d’une montagne de liquidités, les investisseurs obligataires ne peuvent en effet pas faire grand-chose actuellement.
Mesures gouvernementales ardemment souhaitées
Les banques centrales ont essayé de rétablir le calme sur les marchés au cours des dernières semaines par d’importantes baisses des taux d’intérêt (la Fed et la Banque d’Angleterre) et d’autres mesures de relance, mais celles-ci n’ont eu que peu de succès jusqu’à cette semaine.
« Nous avons été quelque peu surpris par les baisses des taux en urgence de la Fed. La Fed ne résoudra pas cette crise par des baisses de taux d’intérêt. Les mesures gouvernementales sont maintenant plus efficaces car la demande a fortement chuté », déclare Scott Freedman, portfolio manager fixed income chez Newton. « Je pense que les distributions d’argent aux citoyens et aux entreprises, comme à Hong Kong, fonctionneront mieux que les baisses des taux d’intérêt. Il en va de même pour l’aide accordée aux banques afin de garantir les prêts aux entreprises touchées. »
Les banques centrales semblent d’abord avoir fait une erreur d’appréciation en appliquant sans réfléchir le remède utilisé contre la crise précédente, à savoir des baisses de taux d’intérêt. Aux États-Unis, les baisses des taux d’intérêt de la Fed n’ont pas été directement accompagnées de mesures de relance de la part du gouvernement.
« Faible gestion de la crise par les États-Unis »
Gilles Moëc, chef économiste du Groupe AXA, commence donc à s’inquiéter quelque peu concernant la situation aux États-Unis. « La Fed a en effet les mains plus liées que la BCE, car elle ne peut pas acheter d’obligations d’entreprises. Combiné avec le manque d’action du gouvernement fédéral, c’est un problème. » Il est vrai que la tension sur les marchés du crédit américains est, si tant est que cela soit possible, encore plus forte qu’en Europe, souligne Hesterman d’Achmea IM.
« Sur les marchés du crédit, les spreads en dollars ont augmenté de 192 points de base depuis le début de la crise, contre 138 points de base pour les euro-obligations. » Cela s’explique en partie par le fait que la pondération du secteur de l’énergie (qui a été durement touché par la chute des prix du pétrole) est un peu plus importante aux États-Unis, mais une différence importante est qu’il y a encore un acheteur de Francfort actif en Europe. Je pense que la BCE est presque le seul acheteur pour le moment, et ces achats se poursuivront dans la période à venir. »
Powell, le président de la Fed, devrait appeler ouvertement à des mesures budgétaires en raison du manque d’instruments efficaces dans sa boîte à outils monétaire, estime Moëc. Cependant, la question est de savoir s’il osera le faire. « Powell est soumis à une pression énorme de la part du président Trump. S’il tente de mettre Trump sous pression en appelant à une relance budgétaire, leur relation pourrait se détériorer encore davantage. Autrement dit, Powell est soumis à une énorme pression politique, mais il ne peut pratiquement prendre aucune mesure ayant un effet direct sur les marchés. »
La BCE prend toutes les mesures nécessaires
La BCE est beaucoup mieux équipée pour lutter contre la crise actuelle. « Le nouveau programme de rachat de la BCE est flexible, ce qui signifie que la BCE peut, par exemple, racheter un grand nombre d’obligations d’État italiennes en une seule fois si nécessaire. » Moëc qualifie le programme de rachat supplémentaire annoncé jeudi soir de ‘très bon paquet’. « Outre le montant impressionnant de 750 milliards d’euros, il est particulièrement important que la BCE ne soit plus obligée de respecter strictement les limites de rachat pour les différents types d’obligations et qu’elle rachète désormais aussi des dettes à court terme. »
La relance supplémentaire de la BCE vient s’ajouter à l’annonce par plusieurs pays européens, dont les Pays-Bas, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, de mesures de relance sans précédent pour aider les citoyens et les entreprises touchés. « Idéalement, les gouvernements européens auraient mieux fait de coordonner leur réponse budgétaire », critique néanmoins Moëc. « Mais il faut leur reconnaître le mérite d’avoir réagi très rapidement. Ce n’est pas courant en Europe. Normalement, les États-Unis réagissent plus rapidement, mais cette fois-ci, c’est l’inverse qui s’est produit. »