Avec l’arrivée officielle des ELTIF 2.0 au début 2024, le marché des placements privés semi-liquides est déjà en train de connaître une explosion, tant en terme de nombre de produits que d’encours gérés.
Les placements privés ont connu un essor important durant les dix dernières années, avec des performances qui ont largement dépassé celles des classes d’actifs traditionnelles, que ce soit dans le private equity ou dans le private debt. « Les gestionnaires institutionnels s’intéressent depuis longtemps à ces classes d’actifs, comme le montrent d’ailleurs les enquêtes annuelles réalisées par Pensioplus auprès des fonds de pension belges », souligne Jan Longeval (Kounselor Consulting).
Il constate néanmoins que ce mouvement reste encore relativement modeste, les actifs privés ne représentant encore que moins d’1 % de leurs encours. « La situation est un peu différente chez les family offices belges, une enquête récente d’UBS ayant montré que la Belgique est ici nettement en avance sur les autres pays ».
Ouverture
Les marchés privés étaient historiquement réservés à des institutionnels ou à des particuliers très fortunés, en raison d’un ticket d’entrée relativement élevé. L’Union européenne a tenté d’en démocratiser l’accès dès 2015, avec la mise en place des fonds alternatifs European Long-Term Investment Funds (ELTIF). Le but était de pouvoir mobiliser l’épargne non bancaire pour soutenir le financement de l’économie réelle, notamment vers des projets d’infrastructure ou vers des petites et moyennes entreprises.
Ces produits manquaient toutefois de flexibilité et étaient soumis à de nombreuses restrictions de la part des régulateurs. Le nombre de produits lancés sur ce segment (essentiellement au Luxembourg et en France) n’a pas dépassé quelques dizaines, ce qui a poussé la Commission européenne à mettre en chantier une nouvelle version de cette règlementation, qui entrera en vigueur au début 2024.
Diversification
Ces ELTIF 2.0 vont bénéficier d’un assouplissement général des règles pour leur commercialisation, avec une séparation entre les produits privés et institutionnels (des règles différentes s’appliqueront pour chaque type d’investisseur) et une plus grande souplesse dans leurs contraintes de gestion. La nouvelle législation acte ainsi la disparition d’un montant minimal de 10 millions d’euros par actif détenu par le fonds et la réduction de la poche pour les investissements dans des actifs illiquides à long terme de 70% à 55%, tandis que la poche dans les autres actifs (participations cotées) grimpe de 30 vers 45% de l’encours.
Dans cette poche investie en actions cotées, les gestionnaires auront la possibilité d’opter pour des capitalisations boursières allant jusque 1,5 milliard d’euros (contre 500 millions d’euros auparavant) afin de limiter les problèmes liés à la liquidité des titres. Ils peuvent également avoir recours à l’endettement ou investir en dehors de l’Union européenne. Cette plus grande flexibilité permettra une meilleure diversification des portefeuilles vers de nouveaux segments du marché et une meilleure liquidité pour les investisseurs, les gestionnaires ayant la possibilité d’organiser un marché secondaire sur leur ELTIF, ou d’ouvrir la porte à une sortie anticipée.
Même si les ELTIF seront théoriquement accessibles à un plus grand nombre d’investisseurs, ces fonds fermés restent des placements peu liquides, avec un capital souvent immobilisé pendant une dizaine d’années. Ce sont donc des produits qui vont continuer à rencontrer un succès croissant dans les banques privées, où les clients sont souvent déjà familiarisés avec les placements privés.
Nombreux lancements
Selon Scope Group, la taille du marché des ELTIF a grimpé de plus de 50 % durant 2022, avec des encours qui ont atteint 11,3 milliards d’euros à la fin de l’année dernière. Et à l’horizon 2028, le consultant estime que le marché pourrait atteindre 35 milliards d’euros dans son scénario de base (et 50 milliards d’euros dans son scénario le plus optimiste).
Le nombre d’ELTIF a déjà augmenté significativement durant les derniers mois. Goldman Sachs AM a ainsi lancé en mars dernier son premier ELTIF sur les marchés privés (actions et crédit) en levant 200 millions d’euros. M&G Investments s’est récemment lancé avec un ELTIF sur le crédit privé en Europe, en visant 500 millions d’euros de souscriptions. Enfin, Schroders a lancé le sien sur le private equity en Europe. De nombreux autres gestionnaires sont aujourd’hui en train de préparer leur entrée sur le segment, comme UBS ou JPMorgan Asset Management.
Forte progression
Fiona Hagdrup (Fund Manager for Leveraged Finance chez M&G Investments) souligne « qu’en dépit de la forte croissance de ces dernières années, la proportion des placements privés reste encore faible en comparaison de l’ensemble des actifs sur les marchés financiers. L’ouverture de cette classe d’actif à une audience plus large reste toutefois bienvenue pour la bonne santé du marché ».
« Le marché du private equity a dégagé une très forte surperformance durant la dernière décennie, et il n’y a aucune raison qui permette de dire que la performance ne devrait pas rester bonne dans le futur », estime Rainer Ender (Global Head of Private Equity chez Schroders Capital). « Les solutions semi-liquides qui sont en train d’arriver sur les marchés constituent de bons compromis pour les investisseurs individuels, mais elles devraient être réservées aux investisseurs avertis ayant un objectif d’investissement à long terme ».