Ingrid Stevens

« Je ne prends pas ma fille sous mon aile. C’est le cadeau que je lui fais. »
Toutes les deux semaines, Investment Officer s’entretient avec des personnalités du monde financier à propos de leur carrière, de leur vie et de leurs passions. Cette fois-ci, c’est Ingrid Stevens, le visage de la société de bourse Leo Stevens, qui se livre dans Le Miroir.

 

 

 

Ingrid Stevens est administratrice de la société de bourse anversoise Leo Stevens et la fondatrice de LS Art, une filiale de conseil en art et en gestion d’œuvres d’art récemment créée. Elle est également administratrice du Musée royal des beaux-arts et, plus récemment, de Herita, anciennement Erfgoed Vlaanderen. Elle a écrit deux livres : ‘Financiële levensvragen’ et ‘Financiële zorgvragen’. Enfin, elle est maman de trois enfants : Victor, Hannah et Margot.

Argent et pourcentages

« Il était beaucoup question de bourse à la maison. Voici une anecdote amusante : quand j’étais jeune, lorsque mon père était à l’étranger, il m’appelait pour me demander : comment ça va ? Je répondais en lui donnant le taux de change du dollar, car c’était ce qu’il voulait savoir. Mais heureusement, tout ne tournait pas uniquement autour de l’argent et des pourcentages. J’ai grandi dans un cocon très chaleureux, où il y avait aussi beaucoup de place pour la culture. Si mon père m’a transmis quelque chose, c’est un champ d’intérêt très vaste. »

Centrée sur l’humain

« Les mathématiques et l’économie m’ont toujours beaucoup intéressée, mais étrangement, je me suis de plus en plus éloignée des chiffres et des pourcentages au fil de ma carrière, pour me tourner davantage vers l’aspect humain. C’est vraiment le fil conducteur de ma carrière. Le tournant s’est produit lorsque j’ai été confrontée chez des clients à plusieurs divorces qui se sont en fait terminés en conflit, car les questions financières avaient été mal réglées. Des drames financiers avec surtout beaucoup de souffrance humaine. À partir de ce moment-là, je me suis beaucoup plus impliquée dans cet aspect, ce qui m’a permis d’apporter une dimension centrée sur l’humain à nos clients. »

Écrire des livres

« J’ai écrit mon premier livre juste après la crise financière de 2008. Ce qui s’est passé à ce moment-là était terrible. La réputation de l’ensemble du secteur a été entachée. Il m’est arrivé plus d’une fois d’avoir une conversation très agréable avec des gens qui ne me connaissaient pas et qui étaient ensuite très choqués d’apprendre que je travaillais dans le secteur financier. Soudain, ils me regardaient d’un tout autre œil. C’était si grave qu’à un moment donné, lorsqu’on me demandait quel était mon travail, j’ai une fois même répondu : ‘J’écris des livres’. Maintenant, je suis très fière de travailler dans le secteur financier et surtout, d’avoir une approche une réellement centrée sur l’humain. »

Femmes au pouvoir

« J’espère que beaucoup plus de femmes se retrouveront au sommet du secteur financier. Le monde serait très différent. En même temps, en tant que femmes, nous devons restées ancrées dans notre pouvoir. Je le dis également à ma fille Margot, qui est aujourd’hui membre du comité exécutif de Leo Stevens. En tant que femmes, nous sommes différentes, c’est ainsi. Mais c’est précisément grâce à cela que nous sommes si complémentaires. Malheureusement, en tant que femme dans un monde d’hommes, la tentation est parfois grande d’adopter des caractéristiques plus masculines. Mais on se rend alors soi-même superflue. »

Mignon

« Lorsque j’ai commencé ma carrière dans les salles de marché, la finance était davantage un bastion masculin. J’ai eu la chance que de nombreux agents de change connaissent mon grand-père et mon père. Ils étaient ravis de m’aider et, vu mon jeune âge, trouvaient même presque mignon que je suive les traces de mon père. Un terme qu’en tant que femme, on n’a évidemment pas du tout envie d’entendre. Mais j’étais encore jeune et cet avantage m’a certainement aidée au début, même si j’ai finalement dû prouver mes compétences. Je devais faire mes preuves, encore plus que mes collègues masculins. Mais dès que je l’ai fait, j’ai gagné le respect. Il est donc tout à fait possible de faire carrière dans la finance en tant que femme. Je ne crois pas au plafond de verre, mais plutôt au plancher collant. »

Servir un café

« J’ai été administratrice dans un fonds d’une banque luxembourgeoise. J’étais la seule femme et la seule non-Luxembourgeoise. Lorsque je suis arrivée à ma première réunion, juste après ma nomination, et que j’ai voulu m’installer à ma place, un des hommes présents m’a demandé si je pouvais lui apporter un café. C’est inimaginable ! »

Le plus beau cadeau

« Lorsque ma fille Margot a voulu rejoindre l’entreprise, je lui ai directement déclaré que je ne la formerais pas moi-même et que je ne la prendrais pas sous mon aile. En effet, c’était le plus beau cadeau que mon père m’avait fait. Il s’est effacé et nous a rapidement confié les rênes de l’entreprise, à mon frère et moi. Après quelques années, j’ai fait de même avec ma fille. Cela fait maintenant plus d’un an que je n’occupe plus de poste exécutif, ce qui lui donne la liberté de trouver sa propre voie au sein de l’entreprise familiale. C’est nécessaire, car c’est ainsi qu’elle peut vraiment faire la différence. Sinon, ce ne serait pas tenable pour elle non plus. J’ai donc lâché beaucoup de choses. Cela n’a pas toujours été facile, même si je suis toujours l’actionnaire principale. Mais maintenant, je peux d’autant plus contribuer à la définition de la stratégie, veiller à la culture de l’entreprise et surtout, être une ambassadrice. Mais cela présente aussi d’autres avantages : je peux désormais développer mes autres centres d’intérêt »

L’art comme consolation

« Il y a environ sept ans, nous avons été confrontés à une terrible tragédie familiale, qui m’a profondément bouleversée. À ce moment-là, l’art m’a réellement réconfortée et guérie. À l’époque, il m’était très difficile de comprendre ce qui se passait. Même lire n’était plus possible, car cela demande de l’énergie. À la place, je me rendais dans des musées pour m’imprégner de toutes ces œuvres d’art, de leur beauté et de leurs émotions. C’est ainsi que j’ai finalement réussi à surmonter cette période difficile. »
 

 

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