Toutes les deux semaines, Investment Officer pose quelques questions personnelles à un éminent professionnel du monde financier. Cette fois-ci, c’est Thomas Van Craen, Managing Director de la Banque Triodos Belgique, qui regarde dans Le Miroir.
Thomas Van Craen est à la tête de la Banque Triodos Belgique depuis près de sept ans. Avant cela, il avait gagné ses galons dans le corporate banking. « Je suis ingénieur civil et après avoir décroché mon diplôme, j’ai travaillé très brièvement pour une société d’ascenseurs. Ce n’était pas mon truc. J’ai ensuite rejoint une banque parce qu’à l’époque, les institutions financières recrutaient beaucoup d’universitaires. Pourtant, ce n’est qu’un an plus tard que le déclic qui m’a convaincu que ma place était dans le monde de la finance s’est vraiment produit. J’ai ensuite eu la chance de suivre un programme de formation international chez mon employeur de l’époque, la KBC. C’est ainsi que je suis entré en contact avec le corporate banking, qui a été le fil conducteur de ma carrière pendant près de vingt ans. »
Qu’est-ce qui vous a attiré dans le corporate banking ?
« C’est là que j’ai senti pour la première fois la valeur ajoutée qu’une banque peut apporter à une entreprise. En tant qu’institution financière, vous aidez des entreprises à réaliser leurs projets et j’ai très vite senti que c’était mon rôle. J’en ai à nouveau pris conscience lors de la crise financière de 2008. Ce n’est pas le crédit aux entreprises qui a provoqué la crise, mais le commerce de produits synthétiques complexes qui avaient pour seul objectif de rapporter de l’argent à la banque. C’est là que les choses ont mal tourné. Et ce qui s’est alors passé n’était absolument pas conforme à la valeur ajoutée que je pensais avoir sur la société. »
Que vous a appris votre expérience professionnelle à l’étranger ?
« En tant que fils de diplomate, travailler à l’étranger également était pour moi presque une évidence. J’ai ainsi travaillé à Londres, aux États-Unis, à Rotterdam et en Hongrie. J’y ai appris qu’il y a effectivement des différences entre les différents pays ainsi que dans la manière dont les entreprises font des affaires. Mais au niveau humain, tout le monde a finalement les mêmes besoins et aspirations : de la nourriture sur la table, un toit sur la tête, une bonne éducation pour ses enfants, et un besoin d’amour et d’amitié. Au-delà de toutes les différences culturelles apparentes, il y a plus de choses qui nous lient que nous ne le pensons généralement. »
Que considérez-vous comme un moment charnière dans votre carrière ?
« Mon premier contact avec la Banque Triodos a été un moment important de ma vie. Cela m’a fait prendre conscience du fait que je pouvais m’engager professionnellement à 100 % pour avoir un impact positif sur la société. Cette prise de conscience ne m’a plus quitté. Depuis lors, je travaille non seulement pour gagner un salaire, mais aussi pour rendre le monde meilleur. »
Pensez-vous avoir eu suffisamment d’impact ?
« À cet égard, j’éprouve un sentiment partagé. En tant que citoyen du monde, je ne peux vraiment pas être satisfait. Nous sommes confrontés à d’immenses défis et les réponses que nous y apportons collectivement sont inadéquates. En même temps, au niveau individuel, je fais tout ce qui est à ma portée pour faire entendre ma voix, ce qui me réconcilie avec moi-même. »
Supposons que vous puissiez changer d’un coup de baguette magique une seule chose dans le monde de la finance. Quelle serait-elle ?
« Je mettrais un terme au greenwashing. Jamais on n’avait autant communiqué sur la durabilité qu’aujourd’hui, mais la communication est souvent erronée ou tendancieuse. Les personnes déjà cyniques à l’égard de l’investissement durable ne font que le devenir davantage. Seule une plus grande transparence peut y remédier. Lorsque les entreprises font certaines allégations, elles doivent être en mesure de les justifier. Les institutions financières devraient être transparentes sur les entreprises qu’elles financent. C’est crucial. Les épargnants et les investisseurs confient leur argent aux institutions financières et en tant que banquier, il est donc logique d’être transparent sur ce qu’on en fait. »
Quel livre devrait être lu par tous les acteurs du secteur financier ?
« J’espère que tous les acteurs du secteur financier ont lu Doughnut Economics de Kate Raworth. Si ce n’est pas encore le cas, il est grand temps de le faire. Ce livre explique de manière très accessible que la croissance matérielle est limitée et que nous avons déjà dépassé certaines limites écologiques. Il souligne également l’importance de la justice sociale. Si nous devions nous baser beaucoup plus sur ce que signifie être une entreprise ou une société saine, nous ferions bien entendu des choix différents. »
Êtes-vous satisfait de votre équilibre entre vie professionnelle et vie privée ?
« J’ai parfois du mal ça, parce qu’il arrive que le travail ait des implications néfastes pour l’équilibre. Mais ce qui m’a énormément aidé ces dernières années, c’est le télétravail. Même avant la pandémie, j’étais un grand partisan du télétravail structurel au sein de notre organisation. J’en avais moi-même besoin. Il a apporté une belle amélioration dans ma vie. Sortir de mon bureau à la maison pour aller prendre un café tout en pouvant discuter un peu avec ma femme et mes enfants est extrêmement précieux. »