Chaque mois, Investment Officer sonde Jan Longeval, expert en investissement, sur sa vision de l’actualité économique et financière. En septembre, il met en garde contre les risques potentiels des fonds d’investissement durable qui excluent les Sept Magnifiques en plus du pétrole et des armes.
L’appellation « Sept Magnifiques » désigne les géants de la tech Alphabet, Amazon, Apple, Meta, Microsoft, Nvidia et Tesla.
« Plus de 40 % des excellentes performances du S&P 500 depuis le début de 2023 peuvent être attribuées auxSept Magnifiques », souligne Jan Longeval. Ce que vous voyez maintenant, c’est une sous-performance assez sensible dans un certain nombre de fonds durables, parce que les filtres ESG empêchent ces fonds d’investir dans plusieurs des Sept Magnifiques, en raison de controverses importantes, comme avec Meta et Alphabet, et/ou en raison de scores de risque ESG élevés. »
Jan Longeval passe ensuite en revue chacun de ces sept géants de la technologie. « Chez Meta, il est question d’un usage abusif massif de données privées et de l’impact incroyablement négatif des médias sociaux sur les jeunes. Il en va de même pour Alphabet. Ces deux entreprises sont donc déjà sur la liste noire de la plupart des acteurs durables. Il y a aussi les conditions de travail répréhensibles dans les grands entrepôts logistiques d’Amazon, où la plupart des collaborateurs ne restent pas longtemps, sans parler des pratiques douteuses d’Amazon à l’égard des parties qui y proposent leurs marchandises. »
« Apple sous-traite la production à Foxconn, en Chine, où les conditions de travail sont plus que discutables, et l’iPhone espionne nos faits et nos gestes. Tesla était autrefois la coqueluche de nombreux investisseurs durables, mais Elon Musk est aujourd’hui dans le collimateur de la controverse en raison de sa bromance avec Trump. Tesla me semble donc un candidat évident à l’exclusion dans un avenir proche. »
Intelligence artificielle
« Microsoft est également de plus en plus poussé dans cette direction controversée aujourd’hui, avec son acquisition d’Activision Blizzard », souligne Jan Longeval. « Et il y aussi la question de l’IA, avec Nvidia comme acteur principal. Certains pensent que l’IA met en péril 30 % des emplois. D’autres considèrent l’IA comme une superintelligence dangereuse qui va se retourner contre l’humanité. D’autres encore s’interrogent sur le caractère durable de cette technologie, sans parler de la consommation énergétique massive. »
« On peut donc d’emblée citer 15 arguments durables pour exclure l’ensemble des Sept Magnifiques si l’on veut. Mais cela reste également subjectif, car qu’est-ce qu’une controverse importante ? Il n’y a guère de controverse au sujet de Meta. Avec Microsoft, Amazon ou Apple, dont nous utilisons tous les produits de manière intensive, c’est beaucoup moins évident. Néanmoins, je peux imaginer qu’au fil du temps, les attentes en matière d’ESG deviendront encore plus ambitieuses et les normes encore plus strictes, du moins en Europe. En Amérique, on observe depuis un certain temps un fort vent contraire, notamment en raison de l’activisme contre les entreprises qui, selon les parties concernées, misent trop sur l’agenda woke. »
Combustibles fossiles et armes
« Je ne porte aucun jugement moral sur des choix ESG particuliers », assure Jan Longeval. « Mais il ne faut pas oublier que les Sept Magnifiques représentent 30 à 35 % du S&P 500. Et le marché boursier américain représente à son tour environ deux tiers du marché boursier mondial. Il ne s’agit donc plus d’une partie marginale du portefeuille qui peut être exclue par les filtres ESG. »
Depuis un certain temps, plusieurs fonds durables ignorent des secteurs tels que les combustibles fossiles et les armes conventionnelles. « Mais leur poids est d’un tout autre ordre que celui des Sept Magnifiques », souligne Jan Longeval. « Les combustibles fossiles ne représentent qu’environ 4 % de l’indice mondial. L’impact sur la performance de l’exclusion des combustibles fossiles et des armes est encore supportable. Les Sept Magnifiques sont d’un autre ordre de grandeur, comme l’ont montré les deux dernières années. »
« Et je n’ai pas encore parlé d’une éventuelle confluence d’événements. Imaginons un instant que, dans un an, un nouveau conflit géopolitique majeur se produise. On pourrait alors assister à une forte hausse des prix du pétrole et du gaz, ainsi qu’à une bonne performance des combustibles fossiles et de l’industrie de l’armement. Si, par chance ou non, les Sept Magnifiques réalisent la même année une excellente performance, vous obtiendrez une tempête parfaite qui frappera en plein les portefeuilles qui les excluent tous les trois. Ils risquent alors de subir une forte baisse de performance. Bien entendu, cela fonctionne dans les deux sens. En fonction de la situation, il peut aussi y avoir une énorme surperformance. »
Fonds de pension
« Les acteurs du secteur financier qui excluent largement ou totalement les Sept Magnifiques devraient communiquer clairement sur ce risque. Pour un investisseur privé, il s’agit souvent de choix personnels. Si ces choix personnels sont conformes à ceux du gestionnaire de fonds, qui décide d’exclure les Sept Magnifiques, et que l’investisseur accepte le risque, il n’y a pas de problème. Mais pour les investisseurs institutionnels, la situation est complètement différente. »
« Prenons l’exemple des fonds de pension. Ils ont une obligation fiduciaire légale de défendre les meilleurs intérêts des bénéficiaires d’un fonds de pension. S’ils vont très loin dans l’exclusion d’un petit groupe d’actions, bien qu’ayant un poids important dans l’indice, cela peut avoir un impact énorme sur la performance du portefeuille. Si ces choix durables entraînent une forte sous-performance dans un plan à contributions définies, où le capital retraite dépend des performances d’investissement réalisées, le bénéficiaire peut tenir le conseil d’administration du fonds de pension pour responsable de cette situation. »
« Cette question est en pleine évolution, et des efforts sont actuellement déployés pour clarifier et mieux encadrer les choix durables des fiduciaires dans la réglementation européenne. Mais en tout état de cause, la situation actuelle est telle qu’un fiduciaire responsable, dans le contexte actuel, qui procède à certaines exclusions ayant de graves conséquences sur la performance du portefeuille, s’engage dans des eaux juridiquement dangereuses. Dans le cadre juridique actuel des fonds de pension, pour les plans à contributions définies, il faut l’accord individuel de tous les bénéficiaires, ce qui est irréalisable dans la pratique. »