Jan Longeval
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Chaque mois, Investment Officer sonde Jan Longeval, expert en investissement, sur sa vision de l’actualité économique et financière. Ce mois-ci, il replace la Trumpmania et la cryptomania dans une perspective historique : « Depuis près d’un siècle, les rendements boursiers sont nettement plus élevés sous les présidents démocrates que sous les présidents républicains. »

« Un énorme enthousiasme s’est emparé des marchés financiers depuis l’élection de Donald Trump », déclare Jan Longeval. « Cependant, certaines observations historiques viennent tempérer cet engouement. Par exemple, on pourrait s’attendre à ce que les rendements du marché des actions américain soient plus élevés sous les présidents républicains en raison de leur politique favorable aux entreprises, mais c’est en réalité l’inverse qui se produit. »

« Une observation purement empirique montre que les rendements sont nettement plus élevés sous les présidents démocrates. La différence est énorme : entre 1927 et fin octobre 2024, la prime de risque annuelle moyenne sur les taux d’intérêt à trois mois s’élevait à 11 % sous les présidents démocrates contre – tenez-vous bien – seulement 2 % sous les présidents républicains. Ceux qui, dans le passé, se ruaient sur les actions après l’élection d’un président républicain ont donc souvent été déçus. »

Pas de règle absolue

« Cependant, la Bourse ne serait pas la Bourse si elle ne nous induisait pas en erreur de temps en temps. Durant le premier mandat Trump, le rendement annuel moyen du marché des actions américain a en effet été particulièrement élevé : 14 %, une anomalie par rapport à ce que nous avions observé sous les précédentes administrations républicaines. La Bourse n’obéit à aucune règle d’or absolue. Ces règles peuvent offrir certaines indications, mais il est essentiel de les examiner en permanence à la lumière de l’actualité. »

« L’explication la plus logique des bonnes performances boursières sous les présidents démocrates réside dans le fait que les électeurs tendent à choisir des présidents démocrates lorsque l’économie va mal. L’Américain moyen, inquiet à l’idée de perdre son emploi, se tourne alors vers les candidats démocrates en raison de leur politique plus sociale. En période de récession, l’aversion pour le risque des investisseurs est particulièrement forte, ce qui se traduit par de faibles valorisations et, par conséquent, des rendements attendus élevés. Si nous avions été en récession, les chances de Kamala Harris auraient été nettement meilleures. »

« Le second mandat de Donald Trump s’annonce sous de mauvais auspices pour les investisseurs. Aujourd’hui, quoi que ce dernier puisse prétendre, la situation économique des États-Unis est particulièrement favorable. L’aversion pour le risque est faible et le marché boursier américain se négocie à 23 fois les bénéfices. Le rendement à long terme attendu des actions américaines est d’à peine 6 % par an, alors que les taux d’intérêt à 20-30 ans frôlent déjà les 5 %. »

Corruption

« Par ailleurs, plusieurs signes de surchauffe sont également visibles », poursuit Jan Longeval. « Je pense notamment à l’actuelle cryptomania. Par le passé, Donald Trump s’était montré farouchement critique envers les cryptomonnaies. Et maintenant, il semble soudain avoir, comme par miracle, embrassé la cause crypto. Cela reflète une corruption flagrante. World Liberty Financial, une cryptoventure DeFi liée à la famille Trump, émet un nouveau token.

Par ailleurs, Donald Trump cherchait à écarter de la SEC Gary Gensler, un homme plein de bon sens qui s’était toujours montré critique vis-à-vis des cryptomonnaies. Le nouveau président a en outre bénéficié de financements en provenance de la communauté crypto et d’Elon Musk, véritable Dogecoin lover. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si « DOGE » est l’acronyme du nouveau Department of Government Efficiency (Département américain pour une meilleure efficacité gouvernementale), dirigé par Elon Musk. »

« Il est tout de même surprenant qu’un président américain élu affiche un tel engouement pour les cryptomonnaies. En effet, pourquoi un chef d’État, de quelque pays que ce soit, ferait-il campagne en faveur de monnaies privées ? Cela revient à saper le pouvoir de son propre gouvernement. Donald Trump se trouve ici en conflit d’intérêts. World Liberty Financial ressemble à une escroquerie classique et ses fondateurs sont des personnages douteux, au passé criminel. »

Bulle du Mississippi

« Un président américain qui propage un faux narratif pour tromper les investisseurs fait écho à la toute première bulle financière de l’histoire, qui impliquait également un gouvernement : la bulle du Mississippi, au début du XVIIIe siècle en France.

John Law, un aventurier et mathématicien écossais, accéda, de fait, au rang de Premier ministre français grâce à ses flatteries envers la maison royale. Le pays était alors fortement endetté par des années de guerres. Il eut alors l’idée ingénieuse, mais sournoise, de persuader le peuple français d’investir dans la Louisiane française, une région située autour du fleuve Mississippi. On leur promettait monts et merveilles, mais il ne s’agissait en réalité que d’une vaste escroquerie. »

« Durant cette période, certains early adopters, principalement issus de la noblesse, amassèrent des fortunes considérables, tout comme les entrepreneurs technologiques s’enrichissent aujourd’hui grâce aux cryptomonnaies. En revanche, ceux qui se lancèrent plus tard dans cette spéculation, souvent animés par la FOMO (peur de manquer une opportunité), notamment une grande partie de la population française, y laissèrent des plumes. »

« Personne ne peut prédire le moment où la bulle des cryptomonnaies éclatera, mais la cryptomania actuelle est un signal clair : il faut se méfier de l’euphorie excessive qui entoure la présidence Trump. Mon enthousiasme quant aux rendements à moyen terme du marché d’actions est en train de retomber. »

 

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