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Un récent rapport de Bank of America Merrill Lynch remet sérieusement en question la pertinence du portefeuille traditionnel, composé à 60 % d’actions et à 40 % d’obligations. Une telle allocation d’actifs peut-elle encore fonctionner dans le climat de marché actuel ? Investment Officer a interrogé Jan Longeval (conseiller indépendant, Kounselor Consulting), Philippe Gijssels (stratège en chef chez BNP Paribas Fortis) et Yves Ceelen (Head of Portfolio Management chez Degroof Petercam Asset Management). 

Fin 2019, un rapport de Bank of America Merrill Lynch qui revenait sur la pertinence de la répartition traditionnelle du portefeuille (à savoir 60 % d’actions, 40 % d’obligations) a fait beaucoup de bruit. Pour les auteurs de l’étude, les obligations, du fait de la faiblesse des taux, ne remplissent plus leur rôle d’amortisseur. « Le rapport entre les catégories d’actifs a tellement changé que de nombreux investisseurs achètent désormais des actions pour les revenus réguliers qu’elles procurent, et non pour leurs perspectives de croissance, et investissent dans des obligations pour profiter des mouvements haussiers. » En 2019, à l’échelle planétaire, la collecte des fonds obligataires atteignait 339 milliards de dollars, tandis que les fonds d’actions mondiaux affichaient une décollecte de 208 milliards de dollars. Le rebond des marchés obligataires se poursuit donc, et la crise du coronavirus fait encore plonger les rendements obligataires des emprunts les plus sûrs (les Bunds allemands et les titres du Trésor américain) vers des planchers historiques. 

Des actifs refuges

Avec l’accentuation du ralentissement de l’économie mondiale et du vieillissement de la population de la sphère développée, les actifs sûrs tels que les obligations gagnent en popularité ; une bulle est en cours de formation. « Les investisseurs sont confrontés à un défi : les avantages des obligations, soit surtout la diversification et l’atténuation des risques, sont de plus en plus limités. Les obligations sont donc susceptibles de connaître une vague de dégagements soudaine lors du repositionnement des gérants actifs », indique le rapport. Depuis vingt ans, les actions et les obligations affichent une corrélation négative. Si l’on se base sur les 65 dernières années toutefois, cela n’a pas été le cas. Et aujourd’hui, le risque d’une inversion de cette corrélation plane.

Jan Longeval, consultant indépendant, professeur et fondateur de Kounselor Consulting, vient nuancer le rapport : « Une telle affirmation est un peu exagérée, mais elle a du vrai. S’il est selon moi prématuré de signer l’arrêt de mort du portefeuille 60/40, il convient toutefois de bien étudier sa composition précise. J’ai l’impression que les investisseurs poussent de plus en plus vers les placements alternatifs, à l’instar de ce que fait par exemple l’université de Yale. Or, c’est une tout autre approche qu’un portefeuille classique composé à 60 % d’actions et 40 % d’obligations. Une part de plus en plus importante de l’allocation va aux emprunts seniors, au capital-investissement, aux infrastructures… Cette mutation est aussi motivée par l’avènement de la gestion passive, qui pèse sur la rentabilité des gérants actifs. Des classes d’actifs alternatives, moins liquides, sont privilégiées. Je ne suis pas contre en soi, mais l’on ne parle vraiment pas de la même chose. Ces actifs peuvent comporter des risques que les clients ne comprennent pas toujours. Leur tarification, leur complexité et l’effet de levier de ces alternatives suscitent notamment des interrogations. »

Jan Longeval est convaincu que les titres du Trésor américain et les Bunds allemands continueront de jouer leur rôle. « Cette catégorie résiste très bien à la crise du coronavirus. Les rendements pourraient plonger à -4, voire -5 % lors d’une prochaine crise. La tendance haussière des emprunts d’État n’a nullement pris fin. Je conseille depuis un certain temps déjà à mes clients d’opérer un arbitrage entre les obligations d’entreprises investment grade et les emprunts souverains. Les écarts des titres IG sont beaucoup trop faibles, et des problèmes de liquidité pourraient se présenter. »

Et de conclure : « L’or me semble toujours être un très bon choix ; sa pondération au sein du portefeuille devrait être renforcée. N’oubliez pas que si les taux poursuivent leur descente en territoire négatif, l’or offrira de fait un « coupon » de 4 à 5 %. Les gouvernements vont faire tout ce qui est en leur pouvoir. Un rapport du FMI, publié en avril 2019, plaide pour un taux directeur fortement négatif. La bride monétaire va être lâchée. Sur le long terme, les actions restent le meilleur placement, mais entre 1929 et 1933, les investisseurs ayant acheté des actions américaines ont perdu 89 % depuis le sommet. Il est important que les investisseurs connaissent ces chiffres. »

Étouffer l’inflation

Philippe Gijsels, chez BNP Paribas Fortis, souligne que depuis 1982, actions et obligations fonctionnent très bien en tandem. « Paul Volcker, alors président de la Fed, avait en 1982 porté un coup fatal aux taux d’intérêt, qui culminaient alors à des sommets, en relevant le taux à court terme – une mesure draconienne qui a eu un effet spectaculaire. L’inflation était alors considérée comme une grande source d’inégalités. Depuis, nous vivons dans la désinflation, et les banques centrales ont recours à tout-va aux baisses de taux pour rectifier la trajectoire des marchés. L’inflation est certes absente de l’économie réelle, mais l’inflation des actifs est, elle, considérable. »

Pour Philippe Gijsels, les emprunts souverains allemands et américains affichent une corrélation négative à court terme. « C’est une situation idéale pour les investisseurs, car ils gagnent à la fois sur les actions et sur les obligations. De plus en plus, les obligations permettent de créer de la valeur ajoutée. Ce phénomène est actuellement poussé à l’extrême. Je pense que le taux à 10 ans, outre-Atlantique, va aussi tendre vers le zéro. L’absence d’alternative jouera alors pleinement. »

Pour le stratège, il sera de plus en plus difficile d’appliquer le modèle 60/40 : « Le report vers les actions de sociétés versant des dividendes pourrait être une option. Le taux à 30 ans est désormais inférieur au rendement du dividende du S&P500. Sur dix ans, l’on peut obtenir un rendement de 40 %. Cela signifie que si les actions baissent de 40 %, l’investisseur fait tout de même une opération blanche. Il ne faut pas oublier non plus que les obligations sont volatiles. Les titres du Trésor américain protègent les portefeuilles contre les chocs, mais il faut aussi tenir compte du taux de change EUR/USD. Je suis aussi un inconditionnel de l’or, qui peut selon moi amortir les chocs et possède en outre un grand potentiel haussier. »

Un contexte inflationniste

Pour Yves Ceelen, de DPAM, le portefeuille 60/40 est plutôt un concept anglo-saxon. « Dans la zone euro, les clients institutionnels et privés optent plutôt pour un portefeuille 50/50. Un portefeuille 60/40 est certes moins volatil qu’un portefeuille composé exclusivement d’actions, mais la corrélation avec les actions est toujours de 90 %. L’on peut corriger cela en optant pour une duration plus longue au sein de la composante obligataire, mais veut-on vraiment adopter un tel positionnement aujourd’hui ? »

Et Yves Ceelen rappelle la réalité économique : « Comme l’a indiqué Philippe Gijsels, nous connaissons depuis plusieurs décennies une période de désinflation. Mais selon nous, cela n’a aucun sens d’extrapoler ce contexte de marché sur les trois à cinq ans à venir, car la donne va changer. Nous constatons par exemple que les millenials protestent avec véhémence contre les inégalités de revenus, un phénomène favorisé notamment par la politique souple des banques centrales aujourd’hui. En outre, vu que l’efficacité de cette politique monétaire diminue, il est clair que la politique budgétaire va devoir prendre le relais. Après la phase baissière déflationniste actuelle, l’économie pourrait bien rentrer dans une ère inflationniste. Dans un tel contexte, les obligations indexées sur l’inflation sont très intéressantes. Elles sont d’ailleurs extrêmement peu onéreuses, puisque le marché n’anticipe pas quasiment pas de risque inflationniste sur les dix prochaines années. »

À l’avenir, Yves Ceelen envisage aussi d’inclure en portefeuille des emprunts d’État chinois. « Nous pensons que l’économie, aujourd’hui planétaire, va évoluer vers un système comportant trois grands blocs : l’Europe, l’Amérique et la Chine. Par conséquent, les emprunts souverains chinois pourraient bien venir rejoindre leurs homologues allemands et américains dans la liste des actifs perçus comme non risqués par le marché. » 

Au niveau de la composante actions, Yves Ceelen continue de privilégier les sociétés en forte croissance, de grande qualité, qui peuvent se targuer de posséder des flux de trésorerie solides. « Leurs bilans sont bons, et la situation n’est pas comparable à celle de l’an 2000. L’avènement des critères ESG favorise par exemple aussi les sociétés nécessitant peu de capitaux. Pour moi, il est encore trop tôt pour miser sur des titres valeur. »

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