Un fonds de capital-risque axé sur l’énergie nucléaire, cela ne se voit pas tous les jours. Pourtant, un tel fonds est en train de voir le jour en Belgique. Trois cerveaux expérimentés issus du monde des start-ups et du private equity ont fondé Nuketech.
Avec ce fonds, ils souhaitent investir dans des start-ups actives dans le domaine de l’énergie nucléaire, qu’ils considèrent comme un élément essentiel d’une transition énergétique durable. L’accent est mis sur les services de soutien, depuis les robots qui assurent la maintenance des centrales nucléaires jusqu’aux systèmes logiciels. Selon l’associé Mathieu de Lophem, la Belgique pourrait bien devenir l’Eldorado de la technologie nucléaire.
Pourquoi créez-vous un fonds axé sur l’énergie nucléaire ?
De toutes les méthodes de production d’électricité, l’énergie nucléaire est celle qui émet le moins de CO2. Elle est contrôlable et ne dépend donc pas du vent ou du soleil comme beaucoup d’autres sources renouvelables. Les centrales nucléaires peuvent être installées n’importe où et ne dépendent donc pas de la présence d’un lac ou d’une rivière, comme c’est le cas pour les barrages. L’énergie nucléaire a donc sa place, aux côtés d’autres sources renouvelables, dans la lutte contre le changement climatique. Nous ne sommes pas contre les autres énergies renouvelables, mais l’énergie nucléaire a un rôle à jouer.
Ce qui rend l’énergie nucléaire unique, c’est que, historiquement, elle a fait l’objet d’une forte opposition politique. Cette opposition entraîne à son tour un manque de talents. Les universités ne forment pratiquement plus d’experts en énergie nucléaire. Or, si nous voulons atteindre le niveau zéro d’ici à 2050, la production d’énergie nucléaire doit doubler. La technologie peut apporter une réponse à ce problème. Nous devons robotiser, automatiser et numériser le fonctionnement des centrales nucléaires pour faire face à la pénurie de main-d’œuvre.
L’image négative de l’énergie nucléaire a également conduit à un sous-investissement dans le secteur. Les investissements de capital-risque dans l’énergie nucléaire sont pratiquement inexistants avant 2020. Mais aujourd’hui, ils augmentent rapidement. C’est pourquoi le moment est si bien choisi pour ce fonds. Historiquement, il y a eu peu d’innovation et d’investissement, mais il y a maintenant une chance d’inverser la tendance. Et cela offre des opportunités».
Pourquoi se concentrer sur un seul secteur ?
Un fonds de capital-risque traditionnel se concentre en effet sur un secteur comme le SaaS ou l’IdO. Il se concentre donc sur une solution, mais ses start-ups travaillent dans toutes sortes de secteurs. Nous faisons l’inverse. Nous nous concentrons sur un secteur vertical et sur un grand nombre de solutions différentes. En fait, les opportunités dans ce secteur sont si importantes que cette approche sera payante.
L’énergie nucléaire offre-t-elle suffisamment d’opportunités pour un fonds de capital-risque relativement modeste ?
Lorsque l’on parle d’énergie nucléaire, les gens pensent rapidement à d’énormes cycles de CAPEX et de R&D. Ce n’est pas immédiatement l’environnement idéal pour un fonds de capital-risque. Ce n’est pas immédiatement l’environnement idéal pour un fonds de capital-risque. Mais ce n’est pas ce que fait Nuketech. Nous nous concentrons sur tous les services de soutien à l’énergie nucléaire, pensez aux logiciels, au matériel, à l’IoT, à la robotique ou aux nouveaux matériaux. Bien sûr, des start-ups émergent également pour construire de nouveaux types de réacteurs, et nous n’excluons pas d’y faire des investissements, mais ce n’est pas notre objectif.
Dans les services d’appui, il existe plus qu’assez de start-ups en phase de démarrage pour alimenter notre fonds. Nous avons une liste de 100 start-ups sur notre radar, et nous recevons 4 à 5 nouveaux dossiers chaque semaine. Nous investissons dans trois domaines différents : la construction de nouvelles usines, l’entretien des usines existantes, la démolition d’anciens sites et l’élimination des déchets. Cela va d’une start-up qui crée un logiciel de gestion des connaissances pour les centrales nucléaires, parce qu’il ne faut pas que les connaissances soient perdues lorsque quelqu’un part à la retraite. Mais nous envisageons également un robot qui inspecte et nettoie les canalisations des centrales nucléaires.
Votre fonds n’est-il pas vulnérable aux risques politiques ?
La récente reconnaissance de l’énergie nucléaire comme source d’énergie renouvelable par l’UE est un bon signe. Elle nous donne un certain degré de certitude. Dans un certain nombre de pays, nous assistons également à des changements politiques. En Belgique, l’opinion publique s’est transformée. Une majorité de Belges est désormais favorable à l’énergie nucléaire en tant qu’élément de notre bouquet énergétique. Des pays comme la France sont toujours restés relativement positifs à l’égard de l’énergie nucléaire.
Toutefois, si les choses tournent mal et que nous assistons à un retour de bâton contre l’énergie nucléaire, nous pouvons toujours en tirer des avantages économiques. En fait, nous ciblons également les start-ups qui aident à démanteler les vieilles centrales nucléaires. D’ici 2040, ce marché atteindrait 150 milliards d’euros. Il y a aussi le marché du stockage et du traitement des déchets. Il y aura toujours un marché pour l’énergie nucléaire. J’espère que l’avenir sera positif et que nous construirons de nouvelles centrales. Mais même si cela ne se produit pas, il y aura toujours de grands marchés pour nous.
Comment le fonds soutient-il les jeunes entreprises dans lesquelles il investit ?
L’un de mes partenaires, Guerric de Crombrugghe, et moi-même avons tous deux fondé des start-up. Nous offrons beaucoup d’expérience aux autres entrepreneurs. De son côté, le troisième partenaire, Amaury de Hults, apporte ses connaissances sur le marché de l’énergie. Nous sommes également en train de mettre en place un réseau de scientifiques pour aider les jeunes entreprises sur les aspects plus techniques. En Belgique, par exemple, nous entretenons des liens étroits avec le SCK CEN à Mol, l’un des plus grands centres de recherche sur l’énergie nucléaire au monde. Les partenaires s’occupent des aspects non techniques, comme la mise en place d’une équipe ou l’adéquation entre le produit et le marché. Les scientifiques, quant à eux, s’occupent des questions technologiques difficiles.
Pourquoi créer le fonds en Belgique et non dans un pays comme la France, où le secteur de l’énergie nucléaire est plus important ?
La Belgique est l’un des premiers pays à avoir introduit l’énergie nucléaire après la Seconde Guerre mondiale. Cela signifie que nous disposons de tout un réseau d’acteurs industriels qui peuvent être des partenaires commerciaux intéressants pour nos jeunes pousses. En outre, nous disposons également d’un centre de recherche comme le SCK CEN. Ce n’est pas très connu, mais la Belgique dispose d’une combinaison assez rare de ressources qui nous permet de soutenir de telles start-ups. Qui sait, nous pourrions même devenir l’eldorado des start-ups dans le domaine de l’énergie nucléaire.
Quel est l’avenir du fonds ?
Nous espérons que la première clôture aura lieu avant l’été ou juste après. Nous en sommes déjà à la phase de due diligence avec trois start-ups. Si Nuketech 1 s’avère un succès, nous envisageons déjà des fonds de suivi. Il serait intéressant de créer un fonds plus important, car cela nous permettrait d’investir dans des start-ups plus matures. En outre, de nombreuses technologies nucléaires sont également utilisées dans d’autres secteurs, tels que la médecine ou les voyages spatiaux. Si nous pouvons faire quelque chose dans ce domaine à l’avenir, ce serait formidable. Les idées sont là, mais nous devons maintenant achever Nuketech 1 correctement.
Nuketech est un fonds de capital-risque axé sur les jeunes pousses travaillant pour le secteur de l’énergie nucléaire.
Le fonds vise une clôture initiale de 30 millions d’euros aux alentours de cet été. L’objectif final est de lever 50 millions d’euros.
Nuketech compte trois partenaires : Mathieu de Lophem, fondateur de la start-up de mobilité Skipr, Guerric de Crombrugghe, fondateur de la start-up spatiale Scanworld, et Amaury de Hults, anciennement responsable des fusions et acquisitions chez Engie et ayant travaillé pour divers fonds d’investissement.