Leo Stevens, fondateur de la société de Bourse et de gestion de patrimoine qui porte son nom, aurait fêté ses 91 ans ce 24 octobre 2024. Cependant, le destin en a décidé autrement. Le 2 octobre, le patriarche de la finance anversoise s’est éteint subitement à son domicile. Investment Officer a rencontré sa fille Ingrid Stevens, administratrice non exécutive de la société, pour évoquer l’héritage laissé par son père.
Né à Anvers en 1933 dans une famille d’entrepreneurs, Leo Stevens a suivi les traces de son père en devenant agent de change en 1959. Dans les années 1980, ses enfants, Ingrid et Marc, ont rejoint l’entreprise et en ont rapidement pris les rênes ensemble, orientant ses activités vers la gestion patrimoniale.
Qui était Leo Stevens, et comment son esprit continue-t-il de vivre au sein de l’entreprise ? Pour Ingrid Stevens, « dans les centaines de messages de condoléances que nous avons reçus, les mêmes adjectifs reviennent souvent : discret, simple, intègre, fiable et amical. Il est évident qu’il était très apprécié. Jusqu’à peu avant sa disparition, il est resté extrêmement actif : golf, jardinage quotidien, lecture assidue, jeux de réflexion et écoute de musique classique. »
Ingrid insiste sur le fait que pour son père, le golf n’avait rien à voir avec le réseautage ou la fidélisation des clients. Ce dernier disait toujours : « Jouez au golf pour le plaisir du sport, jamais pour des raisons commerciales. Consacrez plutôt davantage de temps à vos clients et occupez-vous-en bien. »
« Il estimait également que d’autres institutions financières se profilaient trop comme des clubs sportifs ou des agences événementielles. Il n’aimait pas se trouver sous les projecteurs. Lorsque quelqu’un le cherchait lors d’un événement, je lui conseillais toujours de regarder dans un coin ou derrière un pilier. »
Leo Stevens privilégiait une autre approche pour fidéliser les clients, explique sa fille. « Mon père s’intéressait moins au patrimoine qu’aux personnes qui le possédaient. Pour lui, l’humain était toujours au cœur de ses préoccupations. Aujourd’hui encore, nous suivons ses conseils : si un client préfère une solution d’investissement spécifique, nous en tenons compte tant que c’est dans son intérêt, même si nous pourrions gagner davantage autrement. »
« Nous avons toujours continué à travailler principalement avec des lignes individuelles, tandis que d’autres optaient pour des fonds profilés et que les grandes banques, selon les termes de mon père, proposaient une « offre standardisée ennuyeuse ». En somme, cette approche est peut-être le secret de notre réussite. Si vous ne vous focalisez pas frénétiquement sur l’argent, il vient naturellement à vous. »
Entreprise familiale
Leo Stevens a jeté les bases d’une société qui gère aujourd’hui environ 1,4 milliard d’euros d’actifs. Sa clientèle est composée à 80 % de familles fortunées et à 20 % de clients institutionnels.
En 2023, son fils Marc Stevens a suivi sa propre voie et vendu ses parts à l’investisseur Frank Vlayen. La société Leo Stevens demeure ainsi le seul grand gestionnaire de patrimoine indépendant entièrement en mains familiales. Les familles d’Ingrid Stevens et de Frank Vlayen détiennent chacune 47,5 % des parts, tandis que Koen D’haluin en possède 5 %.
La société ambitionne de doubler l’actif sous gestion tous les quatre ans, a déclaré le CEO Ive Mertens dans Trends. Membre du conseil d’administration de Leo Stevens depuis 14 ans et CEO depuis 2019, Ive est aussi le gendre d’Ingrid Stevens, car il a épousé sa fille, Margot Bertels.
La succession constitue un défi pour toute entreprise, mais elle prend une dimension particulièrement sensible dans les entreprises familiales. « Notre entreprise familiale en est aujourd’hui à la quatrième génération. Nous sommes fiers que la transmission intergénérationnelle se déroule harmonieusement. Mon père nous a appris l’importance de savoir passer le flambeau à temps », affirme Ingrid Stevens.
« Il restait néanmoins impliqué en coulisses, et j’avais toujours à cœur de le consulter et de le tenir informé. Lors des assemblées générales, il était évident qu’il avait soigneusement lu tous les documents en amont. Il y a deux ans, il avait encore réalisé une étude sur les activités de nos concurrents et sur notre positionnement par rapport à eux. »
Une autre difficulté au sein d’une entreprise familiale est de savoir tenir les émotions liées à la sphère familiale à l’écart des décisions du conseil d’administration. « Ma fille est bien plus douée que moi à cet égard », confie Ingrid Stevens. « Sa génération réussit à mieux compartimenter et à maintenir un bon équilibre entre vie professionnelle et vie privée. En réalité, c’est grâce à Margot que j’y parviens mieux aujourd’hui. De plus, notre conseil d’administration compte quelques administrateurs indépendants solides, ce qui nous apporte un supplément de pragmatisme et d’expertise. »
Trajectoire indépendante
L’un des avantages du caractère familial de l’entreprise est qu’Ingrid Stevens, Margot Bertels et Ive Mertens comprennent mieux leurs clients, principalement des familles, et savent ainsi mieux appréhender leur dynamique interne.
« Je pense que cela nous permet aussi de rester centrés sur l’humain dans un paysage financier de plus en plus impersonnel. Mon père répétait souvent : « N’oubliez jamais pourquoi quelqu’un est devenu client chez nous à l’origine. N’oubliez jamais qu’il vous a aidé à grandir. » Il a toujours insisté sur l’importance de l’approche personnalisée et de la fidélisation, qui est en fin de compte beaucoup plus précieuse et rentable que l’acquisition de nouveaux clients. »
Le gestionnaire de patrimoine Leo Stevens continuera-t-il à suivre une trajectoire indépendante à l’avenir ? Pour Ingrid Stevens, « il existe trois raisons de vendre son entreprise. La première, si les autorités de contrôle rendent votre travail impossible. Ce n’est pas notre cas. La deuxième, si vous ne savez plus quelle orientation stratégique suivre. Or, c’est tout le contraire : plus le secteur se resserre, plus il y a de place pour nous. Et la troisième, si vous n’avez pas de relève. Là encore, ce n’est pas un problème pour nous. Nous poursuivons donc notre développement de manière organique. Tranquillement, comme disait mon père. Mais pas trop non plus, si cela ne tenait qu’à moi. »
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