Stefan Duchateau
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(Mais ce n’est pas une raison pour les laisser entrer maintenant)

La publication des derniers chiffres de l’inflation américaine a provoqué une onde de choc dans la communauté des investisseurs. La forte hausse de l’inflation de base, en particulier, a fait trembler les marchés boursiers du monde entier. Pourtant, cette évolution n’était pas inattendue, mais ce n’est pas parce qu’on voit venir un coup que son impact est moins important. Sauf si on a pris des mesures anticipées, bien sûr. 

Mais avec ces taux d’intérêt, compte tenu de la volatilité modérée des marchés, avec des résultats d’exploitation à des niveaux records et sous l’effet de stimuli économiques sans précédent, il semble pour l’instant peu recommandé de déjà compromettre des opportunités futures en réduisant trop tôt sa position en actions. Ce n’est que si l’une ou plusieurs des composantes mentionnées plus haut se détériorent dramatiquement qu’il est conseillé de procéder à une sous-pondération des actions.  

Cependant, les chiffres publiés le 12 mai ont montré que l’inflation de base mesurée par l’IPC (indice des prix à la consommation) s’est accélérée de 0,92 % en glissement mensuel, ce qui ne manquera pas de donner des sueurs froides même aux investisseurs les plus aguerris. À cet égard, nous ne voulons pas vous cacher qu’il s’agit de la plus forte augmentation mensuelle des 30 dernières années et de la 4ème en termes d’importance en 4 décennies ! 

Le fait que l’inflation allait augmenter de manière significative après le redémarrage de l’économie était déjà visible dans l’évolution des prix de gros. Ceux-ci ont fortement augmenté au cours des mois précédents, en raison de la combinaison de la hausse des prix des matières premières, de la pénurie de toutes sortes de composants (des selles de bicyclettes aux micropuces) et des frictions sur le marché du travail.  

Ce n’est plus qu’une question de temps avant que cela ne se traduise par des prix plus élevés à la caisse pour le consommateur final. Ce phénomène est particulièrement visible dans la livraison chaotique des puces électroniques extrêmement demandées, qui se fait fortement sentir dans le secteur automobile, notamment. Cela ralentit à son tour fortement la livraison des voitures neuves, ce qui rend les voitures d’occasion plus recherchées. Et c’est précisément le prix de ces voitures d’occasion qui a fait exploser l’indice d’inflation. 

C’est à la fois inquiétant et rassurant. Cela souligne le caractère temporaire de cette agitation, mais aussi un problème fondamental qui pousse les prix de gros à la hausse. Le bond des indicateurs d’inflation n’est donc pas seulement imputable à une réaction naturelle attendue à la réouverture de l’économie – comme une balle qu’on maintient sous l’eau puis qu’on relâche. 

D’autres facteurs sont manifestement à l’œuvre du côté de l’offre de l’économie, tant en ce qui concerne la livraison physique de composants du processus de production que la disponibilité de la main-d’œuvre. Ces deux aspects ne sont par nature que temporaires. Avec la patience nécessaire, l’économie retrouvera son équilibre et les marchés boursiers leur sérénité. Dans l’intervalle, votre capacité d’endurance sera cependant régulièrement mise à l’épreuve. Fasten seatbelts…  

Graphique 1 : Évolution de l’inflation de base aux États-Unis (Prix de détail et de gros) 

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Ces chiffres sombres de l’indice des prix à la production (IPP) et de l’indice des prix à la consommation (IPC) ont également été publiés avant que les marchés boursiers n’aient eu le temps de se remettre d’un autre grand choc, les chiffres étonnamment faibles de l’emploi en avril.  

En effet, le rapport sur l’emploi américain de vendredi dernier a révélé que seuls quelque 200 000 nouveaux emplois ont été créés le mois dernier, ce qui contraste fortement avec les prévisions conjoncturelles antérieures jubilatoires, qui laissaient entrevoir un taux de croissance nettement plus élevé. Des chiffres aussi étonnants seront en partie dus à l’une ou l’autre anomalie statistique, car d’autres indicateurs de l’emploi vont effectivement dans le bon sens.  

De plus, les économistes émettent régulièrement des prévisions qui s’avèrent par la suite très éloignées de la réalité, mais avec des attentes six fois supérieures (!), le chiffre publié détonnait tellement qu’il faut chercher des bouleversements imprévus et fondamentaux sur le marché du travail américain. 

À cet égard, on renvoie principalement au hamac social créé par l’avalanche de subventions. Des allocations substantielles ont été prévues afin de soutenir financièrement l’armée de chômeurs qui s’est fortement développée pendant la pandémie. Mais tant que ces mesures sont maintenues, les bénéficiaires ne retournent qu’à contrecœur aux emplois nouvellement proposés. Surtout lorsqu’il s’agit d’emplois à bas salaires. 

Lorsque votre salaire annuel est inférieur à 32 000 dollars, il est tout simplement préférable financièrement de rester au chômage. Des entreprises telles que Chipotle, Mc Donald’s, etc. constituent un exemple typique de cette situation. Ces chaînes de restauration créent effectivement beaucoup de nouveaux emplois lorsqu’elles rouvrent leurs restaurants, mais ne parviennent à pourvoir qu’un nombre limité de postes vacants. Pour les économistes américains, c’est apparemment une surprise…

En Europe, bien sûr, nous connaissons ce comportement depuis un certain temps déjà, mais cela ajoute une autre dimension à la pénurie générale de l’offre. La banque centrale américaine se trouve ainsi face à un dilemme : d’une part, le taux de chômage est encore trop élevé pour ajuster sa politique de taux d’intérêt, et d’autre part, la vigueur de la reprise économique est telle qu’une hausse des taux d’intérêt semble appropriée pour casser l’inflation.   

Il est donc actuellement difficile de savoir comment la Fed va (ou devrait) réagir à cela. En tout cas, la situation du chômage ne permet pas encore une hausse des taux directeurs, alors que l’évolution des prix appelle un signal fort. Dans un tel environnement, il s’agit avant tout de demander de la patience et d’inspirer confiance aux marchés financiers, comme cela s’est produit à plusieurs reprises dans le passé avec des personnalités fortes, telles que Greenspan et Yellen, à la tête de la banque centrale. Malheureusement, le président actuel ne correspond pas à ce profil et sème davantage le doute à chaque déclaration ou explication. 

Toutefois, on note que le taux d’inflation attendu a légèrement diminué depuis l’annonce des indicateurs d’inflation réalisés. Cet indicateur peut être dérivé des prix du marché des obligations indexées sur l’inflation. Il s’agit d’obligations dont le paiement du coupon est ajusté annuellement en fonction de l’évolution d’un indice d’inflation convenu. Peut-être cela est-il dû en partie à une anticipation de cette poussée inflationniste sur les marchés obligataires. Il nous semble que c’est surtout lié à la publication des chiffres des ventes au détail le 14 mai, qui a indiqué un taux de croissance décevant et faible. Cela alimente l’idée que le rebond actuel de l’indice des prix à la consommation n’est qu’un soubresaut temporaire parce que les ventes au détail ne sont pas suffisamment fortes pour soutenir des augmentations de prix à long terme. 

Graphique 2 : Évolution de l’inflation attendue aux États-Unis (calculée à partir des obligations à 5 ans indexées sur l’inflation) 

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De plus, la politique de taux d’intérêt de la Fed est davantage dictée par l’évolution de l’indice des dépenses de consommation personnelle (PCE) que par celle de l’indice des prix à la consommation (CPI), le premier se comportant actuellement de manière beaucoup plus modérée et affichant ‘seulement’ 2,7% de hausse annuelle pour le moment. Cette situation est encore tolérée provisoirement, étant donné les fortes baisses de cette statistique durant l’année précédente. 

La différence entre les deux mesures de l’inflation sous-jacente est due à une méthode de calcul différente, à des sources de données différentes et, surtout, à une composition différente du panier de biens et services dont l’évolution du prix est suivie. Dans cet indice des dépenses de consommation personnelle, les prix des loyers ont un poids plus déterminant. Pour l’instant, ils n’ont augmenté que de 2,2% en glissement annuel. 

À y regarder de plus près, les principaux moteurs de l’inflation se trouvent dans les secteurs où la reprise de l’activité s’accompagne temporairement de hausses de prix, comme les compagnies aériennes et les hôtels. Mais le redémarrage de l’économie dans son ensemble semble se produire par à-coups en raison de contretemps inattendus et répétés dans la chaîne d’approvisionnement et d’une harmonisation difficile entre l’offre d’emplois et les demandeurs d’emploi sur le marché du travail. 

Graphique 3 : Taux de croissance du nombre de postes vacants aux États-Unis. 

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Les postes vacants nouvellement créés ne manquent certainement pas. Cependant, ces nouveaux postes vacants ne sont pour diverses raisons que faiblement pourvus, ce qui entraînera en fin de compte une accélération de la hausse des salaires.  

Aussi bien aux États-Unis qu’en Europe, les taux d’intérêt nominaux à long terme ont augmenté dans l’intervalle de quelques points de base et se situent maintenant à peu près au niveau où ils étaient avant le déclenchement de la pandémie. Il ne s’agit que d’une normalisation et cela ne doit en aucun cas être un motif de panique, ni pour les obligations ni pour les actions. Les premières peuvent enfin se voir offrir de meilleurs rendements.

Les secondes ont même bénéficié, en moyenne, de la hausse des taux d’intérêt au cours des 20 dernières années. Au cours de cette période, les hausses de taux d’intérêt étaient principalement liées à des prévisions de croissance économique plus élevées. Au cours de la période précédente, les mouvements des taux d’intérêt étaient principalement dominés par les anticipations inflationnistes et les hausses de taux d’intérêt ont eu un impact négatif important sur le niveau des marchés boursiers. La réaction des marchés actions aux hausses de taux d’intérêt peut donc varier considérablement, en fonction du contexte économique. 

Graphique 4 : Évolution des taux d’intérêt à long terme aux États-Unis et dans la zone euro. (Taux d’intérêt des obligations d’État à 10 ans) 

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L’inflation alimente les craintes d’une diminution des marges bénéficiaires, de brusques variations des taux d’intérêt et (dans la situation actuelle) d’une réduction des achats d’obligations par les banques centrales – ce qu’on appelle le tapering. 

Mais cela n’est pas à l’ordre du jour pour le moment, si bien que la réaction de panique sur les marchés boursiers semble quelque peu exagérée et provoquera bientôt une contre-réaction. En effet, nous ne voyons jusqu’à présent qu’un retour à des taux d’intérêt et des indicateurs d’inflation plus normaux. Cependant, il est vrai que l’évolution des prix se situe toujours dans la fourchette supérieure (extrême) des prévisions d’inflation, tandis que les problèmes dans les chaînes d’approvisionnement de l’économie prennent des proportions inquiétantes et inattendues. 

Les bons résultats d’exploitation renverseront cependant la vapeur, mais l’apaisement des craintes d’inflation demandera un peu de temps et de patience aux États-Unis. Sur le Vieux Continent, il n’y a aucune raison de s’attendre à une escalade de l’inflation à ce stade, de sorte que même en ces temps incertains, les positions en actions dans la zone euro peuvent être augmentées. 

Graphique 5 : Évolution des résultats d’exploitation attendus 

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D’une manière générale, nous avons tendance à considérer les plongeons des marchés boursiers comme une opportunité et à simplement conserver une surpondération des actions. Une attitude attentiste et réaliste, sans tomber dans l’exagération. 

Mais ‘all things must pass’ : fini les hausses de la bourse basées sur l’argent facile. Les bénéfices boursiers devront désormais être gagnés à la sueur de notre front, sur la base de sélections bien étayées. Nous décidons et, armés d’excellents modèles, nous mettons au travail avec enthousiasme.  

Prof. Dr. Stefan Duchateau est un expert en investissement et un professeur indépendant.

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