Les élections prochaines en France et aux États-Unis attisent la nervosité sur les marchés financiers. Les stratèges de l’investissement recommandent de faire preuve de prudence, mais aussi de se préparer à saisir les opportunités dès qu’elles se présentent.
La convocation d’élections législatives par Emmanuel Macron a plongé le marché financier français dans la tourmente. Ce cas d’école illustre parfaitement l’importance de la géopolitique pour les investisseurs ; il s’agissait justement du thème retenu pour le Portfolio Day, événement annuel organisé par Investment Officer à Bruxelles. Pour Philippe Gijsels, stratège de l’investissement chez BNP Paribas Fortis, la France est loin d’être un cas isolé. « Partout dans le monde, on voit que ce n’est pas forcément la droite ou la gauche qui l’emporte, mais surtout celui qui est au pouvoir qui perd. »
Dans l’Hexagone, la victoire pourrait bien revenir à la droite radicale ou à l’extrême gauche. Or, les deux portent un projet qui pourrait faire bondir l’endettement public, déjà très élevé. Le ministre français des Finances, Bruno Le Maire, met en garde contre le spectre d’une crise de la dette. Le spread entre les titres souverains français et allemands a fortement augmenté ces dernières semaines.
Titanic
Pour d’autres pays aussi, la viabilité de la dette pourrait devenir problématique à long terme en l’absence de changement de cap, affirme Olivier Colsoul, stratège de l’investissement chez AG Insurance. C’est notamment le cas de l’Italie. La troisième économie de la zone euro affiche déjà un taux d’endettement de près de 140 % et la dette publique pourrait bien grimper à 160 % du produit intérieur brut ces prochaines années.
Si Rome ne parvient pas à maîtriser cet endettement massif, une nouvelle crise de la dette pourrait survenir, estime Olivier Colsoul, qui évoque l’image du Titanic. Ce paquebot, qui a coulé en 1912, possédait seize compartiments étanches, mais ne pouvait rester à flot que si quatre compartiments au maximum prenaient l’eau. « L’ Italie pourrait bien être le cinquième compartiment. C’est pourquoi nous devons, d’une manière ou d’une autre, trouver une solution pour éviter la catastrophe, si la situation ne s’améliore pas à l’avenir. »
Le pessimisme s’invite donc, après un premier semestre assez favorable sur les marchés financiers. « La croissance a ralenti, mais on a évité la récession, constate Philippe Gijsels. L’inflation a diminué et les Bourses ont progressé, malgré l’augmentation du taux à long terme. L’Europe a donc pu rester au même niveau que les États-Unis. »
Les évolutions géopolitiques n’ont pas été les seuls facteurs perturbateurs sur les marchés financiers au premier semestre 2024. Pour Olivier Colsoul, les incertitudes sont aussi venues des États-Unis, et notamment des banques centrales américaines.
« La Réserve fédérale américaine peine à donner confiance aux investisseurs sur sa capacité à continuer à brider l’inflation. Les attentes des marchés financiers sur le nombre de baisses de taux cette année ont fortement reculé, de sept en janvier à une désormais. La Fed a été trop prompte à affirmer qu’elle avait gagné le combat contre l’inflation élevée ; elle a dû ensuite considérablement ajuster le tir. »
Entre nervosité et malaise
Au deuxième semestre aussi, les incertitudes géopolitiques restent importantes. L’issue des élections présidentielles américaines est ainsi très attendue. Le démocrate Joe Biden remportera-t-il un deuxième mandat ou passera-t-il la main à son concurrent républicain, Donald Trump ? La tendance mondiale visant à sanctionner ceux qui sont actuellement au pouvoir n’augure rien de bon pour Joe Biden, constate Philippe Gijsels. « On voit la même chose au Royaume-Uni, où les conservateurs seront sans doute battus à plate couture par les travaillistes. »
Les économistes ne se mouillent pas s’ils se contentent de prédire que le calme reviendra après la tempête, avait affirmé le célèbre économiste John Maynard Keynes. Les stratèges de l’investissement le savent bien, et dispensent donc aussi des conseils concrets. Philippe Gijsels recommande ainsi aux investisseurs de se montrer prudents, mais de réagir rapidement aux opportunités. « Du fait des événements géopolitiques, nous nous attendons à un été marqué par la nervosité et un certain malaise. C’est pourquoi nous avons réduit notre exposition aux actions, d’une surpondération en mai à une position neutre aujourd’hui. Si une correction de 5 à 10 % survient, nous pourrions nous repositionner plus tôt que prévu. Tant que les perspectives de taux et d’inflation restent favorables, nous nous trouvons plutôt dans un cycle relativement positif. »
Frank Vranken, stratège en chef de la société de gestion suisse Edmond de Rothschild, voit lui aussi des opportunités à saisir, notamment dans l’immobilier coté, qui a souffert de la hausse des taux. « Le relèvement très agressif des taux a rendu bien plus onéreux l’argent dont les sociétés immobilières réglementées (SIR) ont besoin pour se financer. Leurs marges bénéficiaires se sont donc contractées. »
L’immobilier bon marché
Un retournement semble s’amorcer en Europe. La Banque centrale européenne vient en effet d’abaisser pour la première fois ses taux en juin. « Le pire est derrière nous, mais nous ne renouerons pas avec des taux zéro », explique Frank Vranken. « Un nouvel eldorado n’est pas à l’ordre du jour. Emprunter n’est plus gratuit, si bien que la croissance débridée des achats est terminée. Il reste toutefois de belles actions immobilières, qui versent un rendement du dividende élevé et dont la valorisation est très bon marché actuellement. »
Ce positionnement semble relativement défensif, mais le stratège d’Edmond de Rothschild suggère aussi de panacher les positions, en continuant à miser sur les grandes entreprises innovantes. Le niveau des cours atteints par Nvidia, l’un des principaux producteurs de puces pour les applications d’intelligence artificielle, devenue aussi la plus grande capitalisation boursière mondiale, fait aujourd’hui couler beaucoup d’encre. Mais tant du point de vue historique que par rapport aux autres actions, le rapport cours/bénéfice reste correct, selon Frank Vranken. « En termes de valorisations, le segment de la technologie américaine n’a pas encore atteint le niveau de l’an 2000, lors de la bulle des dotcom. Il n’est certainement pas bon marché, mais pas non plus ridiculement élevé, car les bénéfices ont beaucoup augmenté. »