Les fonds d’actions qui investissent dans des entreprises familiales sont devenus extrêmement populaires auprès des investisseurs (institutionnels). Ils ont certainement leurs mérites, mais ne sont pas toujours le Saint Graal. Anneleen Michiels appelle à la nuance ainsi qu’à une analyse approfondie des facteurs qui entrent en jeu.
Elle est chargée de cours en Finance et Entreprises familiales à l’Université de Hasselt et enseigne les marchés financiers et la gestion financière stratégique. Elle est également étroitement impliquée dans l’analyse de la gouvernance des entreprises familiales et des family offices au niveau mondial, notamment en tant que conférencière invitée dans des universités aux États-Unis et en Australie.
Une étude du Crédit Suisse a montré que les entreprises familiales cotées en bourse génèrent un rendement supplémentaire de 3,6 % par an, mais Michiels nuance : « En plus des deux systèmes traditionnels de propriété (la propriété réelle et la gestion), les entreprises familiales présentent encore une troisième dimension : la dimension familiale. Cela peut être représenté au moyen de trois cercles. Comme ces trois dimensions se chevauchent, la gouvernance des entreprises familiales est à la fois complexe et unique.
Dans la théorie traditionnelle de l’agence, vous avez une opposition classique entre l’agent et le principal. Dans les entreprises familiales, cette opposition est beaucoup moins présente, mais il s’avère que les entreprises familiales connaissent d’autres problèmes et intérêts contradictoires, tels qu’altruisme, népotisme et conflits familiaux. Il suffit de regarder ce qui se passe dans la série Succession diffusée sur HBO. Ce sont des exemples concrets. »
Michiels mentionne que l’argument classique selon lequel elles réfléchissent davantage à long terme est vrai, mais qu’il s’applique également à des entreprises non familiales. « De nombreux fonds qui misent sur ce point et allèguent obtenir de meilleures performances ont vu le jour, mais la question a fait l’objet d’un véritable débat académique ces 30 à 40 dernières années. Si on consulte la littérature des années 80 et 90, on lit que les entreprises familiales sont en fait moins performantes. »
En 2003, une importante étude a été publiée par Anderson & Reed. Sur la base d’un échantillon de grandes entreprises américaines cotées en bourse, celle-ci affirme que les entreprises familiales sont effectivement plus performantes, en particulier la première génération. Cette étude a été fortement développée, ce qui explique pourquoi cette thèse est restée d’actualité.
« Mais quelques années plus tard, en 2007, Miller et ses collègues ont nuancé cette recherche. Ils ont creusé davantage et sont arrivés à la conclusion que cela était dû à la définition retenue pour le concept d’‘entreprise familiale’. En effet, les différences entre les entreprises familiales sont tout aussi importantes - voire davantage - que les différences entre les entreprises familiales et non familiales.
Selon Michiels, chaque étude utilise également des paramètres différents. Les études qui sont arrivées à la conclusion que les entreprises familiales sont plus performantes ont abouti à des entreprises fondées par un leader charismatique, mais qui n’ont pas nécessairement d’autres membres de la famille à bord, comme Tesla et Microsoft. « Ils ont répété cette étude et il s’est avéré que cet effet avait complètement disparu. L’effet de la surperformance était donc largement dû aux entreprises dites ‘lone founder firms’. Les études ultérieures qui en ont tenu compte n’ont trouvé aucun effet significatif. »
Conditions
Dans une phase ultérieure, la recherche s’est concentrée sur les facteurs de gouvernance qui permettent aux entreprises familiales de surperformer, étant entendu qu’ils peuvent également être présents dans les entreprises non familiales. « Il s’agit donc d’un groupe très hétérogène, et il est certainement prématuré d’affirmer que certaines caractéristiques entraînent automatiquement une surperformance. Il faut donc examiner très attentivement le type d’entreprises dans lesquelles investissent les fonds d’actions qui allèguent investir dans des entreprises familiales. »
Europe
La plupart des études se concentrent sur les actions américaines (cotées en bourse), car c’est là que la plupart des statistiques sont disponibles. Mais une étude portant sur les actions européennes a également été réalisée. Une étude de 2015 a effectué une méta-analyse consacrée aux pays occidentaux, comme l’Europe et les États-Unis. « Ces études n’ont constaté aucun effet des entreprises familiales sur les performances.
On a alors examiné les conditions dans lesquelles les entreprises sont plus performantes.
L’histoire est cependant plus nuancée. Sur la base d’échantillons plus importants, on a constaté que les entreprises familiales sont plus performantes si, par exemple, le fondateur est CEO ou président du conseil d’administration, mais il doit alors être assisté par un CEO n’appartement pas à la famille. Dans ces conditions, une entreprise familiale peut être plus performante, mais ce n’est pas automatique. D’autres études affirment que les entreprises qui sont transmises au fils aîné (la primogéniture) sont moins performantes. »
Belgique
En Belgique également, il existe de nombreuses entreprises familiales cotées en bourse qui affichent souvent d’excellentes performances. Lotus Bakeries ou Melexis, par exemple, sont des exemples typiques. Michiels précise qu’elles investissent souvent à long terme et veulent transmettre leurs activités aux générations suivantes. « De plus, le CEO reste généralement en poste plus longtemps, ce qui garantit des relations plus durables avec les parties prenantes.
Cela implique également une réduction des coûts de surveillance, mais ce n’est certainement pas le cas pour toutes les entreprises. Il est donc trop simpliste d’affirmer que toutes les entreprises familiales surperforment par définition ; ce sont seulement certains types d’entreprises qui surperforment, et dans des conditions bien spécifiques », conclut Michiels.