Imaginez des ETF calqués sur le style d’investissement de politiciens de la N-VA, d’Écolo ou du Vlaams Belang. Ce qui reste de l’ordre de la fiction en Belgique est déjà une réalité aux États-Unis, où les investisseurs peuvent placer leur argent dans des ETF qui répliquent les stratégies d’investissement des démocrates ou des républicains, et qui battent le S&P 500.
Alors qu’en tant que ministre néerlandais des Finances, Wopke Hoekstra plaçait ses avoirs dans des montages fiscaux complexes aux îles Vierges britanniques, les décideurs politiques américains négocient ouvertement sur les marchés boursiers, à la vue de tous. Les investisseurs qui suivent les transactions des membres démocrates du Congrès affichent ainsi des résultats notablement supérieurs à ceux du marché.
« Nanc » contre « Kruz »
Lancé en février 2023, l’Unusual Whales Subversive Democratic ETF (« Nanc ») réplique les investissements des membres démocrates du Congrès et des partenaires de ces derniers, avec une commission de 75 points de base. Au cours des 12 derniers mois, le fonds a affiché un rendement total de pas moins de 30 %, alors que le S&P 500 n’a progressé « que » de 24 %.
Son équivalent républicain, l’Unusual Whales Subversive Republican ETF (« Kruz »), a dû se contenter d’une hausse d’un peu moins de 22 % sur la même période. Ces deux fonds gèrent respectivement 166 millions et 33 millions de dollars.
Les tickers des deux fonds sont une référence humoristique à la politicienne démocrate Nancy Pelosi, ancienne présidente de la Chambre des représentants, et au sénateur républicain Ted Cruz, du Texas.
Le secteur technologique, moteur des performances
« Le Congrès dispose d’une perspective unique sur l’impact réglementaire de ses actions sur diverses entreprises et industries, et peut légalement exploiter ces informations pour négocier des actions », explique Michael Venuto, CIO chez Tidal Financial Group, le gestionnaire des deux ETF, lors d’un entretien avec Investment Officer.
Les données de Morningstar révèlent que pas moins de 41 % des actifs cotés des démocrates sont investis dans des actions technologiques. Le géant technologique Nvidia est particulièrement prisé et représente 12 % de leur portefeuille, contre seulement 6 % dans l’indice S&P 500.
« Les décideurs politiques ont effectué environ 230 transactions sur Nvidia cette année, explique Michael Venuto. Bon nombre des membres les plus actifs du Congrès ont négocié des actions de cette entreprise technologique et, dans ce cycle de marché, les démocrates semblent avoir une meilleure compréhension de l’agressivité avec laquelle il faut investir dans le secteur technologique. »
Le pendant républicain de Nanc, le Subversive Unusual Whales Republican ETF, a pour principale action JPMorgan Chase, qui affiche une pondération de 4 %. Nvidia, bien qu’également présente dans le portefeuille républicain, y occupe une place plus modeste, avec une pondération de 2,8 %. Il est également intéressant de noter que l’entreprise néerlandaise ASML figure en bonne position dans la stratégie républicaine, avec une pondération de 2,19 %.
ETF actifs
Cependant, toutes les transactions ne sont pas intégrées dans les portefeuilles. L’objectif est plutôt d’identifier des schémas et tendances parmi les membres du Congrès, précise Michael Venuto. « Certains membres sont plus actifs et disposent de capitaux plus importants. Une attention particulière est accordée à la manière dont certaines transactions sont liées à des domaines d’expertise ou expériences spécifiques. »
Michael Venuto cite l’exemple de Kathy Manning, représentante de la Caroline du Nord, dont le patrimoine s’élève à 60 millions de dollars. En 2024, elle a réalisé 149 transactions et s’illustre par son implication active dans la politique de santé. En 2024, elle a fortement augmenté ses positions dans des entreprises telles que Johnson & Johnson et Abbott Laboratories.
(Positions des démocrates Pondération en % Positions des républicains Pondération en %)
Timing parfait
Aux États-Unis, tout comme aux Pays-Bas, les politiciens sont autorisés à négocier des actions à condition de déclarer toute transaction supérieure à 1000 dollars dans un délai de 45 jours, conformément au Stop Trading on Congressional Knowledge Act, ou Stock Act. Bien que les délits d’initiés soient également interdits pour les élus, certains semblent avoir un sens du timing particulièrement aiguisé.
Ainsi, le représentant démocrate Josh Gottheimer a vendu ses actions dans la société mère de Silicon Valley Bank la veille de l’effondrement de la banque. De même, l’épouse du représentant démocrate Alan Lowenthal a vendu ses actions Boeing seulement un jour avant la publication d’un rapport accablant sur la catastrophe du Boeing 737 MAX. Il n’est donc guère surprenant que des soupçons de délits d’initiés émergent.
Nouvelles règles en vue
Aux États-Unis, un projet de loi appelé Ethics Act est en cours d’élaboration en vue de restreindre les transactions boursières des responsables politiques et de leurs proches. En Europe, des voix s’élèvent également pour réclamer une réglementation plus stricte, inspirée de l’approche américaine.
Cependant, les propositions visant à interdire les transactions sur titres aux responsables politiques de l’UE suscitent la controverse. « Selon la législation européenne, l’instauration d’une interdiction de négociation d’instruments financiers pour les politiciens, comme le propose l’Ethics Act, pourrait porter atteinte aux droits légaux des élus en tant qu’individus, en particulier en matière de propriété », explique Dörte Poelzig, professeure de droit privé, de droit commercial et de droit des sociétés à l’université de Hambourg.
« Une telle restriction semble donc injustifiée. Il suffirait que les gouvernements et les parlements mettent en place des mécanismes de contrôle via un code de conduite pour détecter d’éventuelles infractions. »
Résultats à long terme
Un investisseur a-t-il intérêt à suivre les décideurs politiques ? Bien que les premières études évoquent un certain succès, des analyses plus récentes, comme celle réalisée en 2022 par le Dartmouth College, une université de l’Ivy League, suggèrent que les membres du Congrès ne disposent peut-être pas de compétences exceptionnelles en matière d’investissement.
« Les résultats de ces études montrent que la prétendue « magie » des investissements des membres du Congrès pourrait être surestimée », affirme Zachary Evans, analyste Recherche chez Morningstar. « Les données récentes sont, au mieux, peu fiables et ne permettent certainement pas de tirer des conclusions », ajoute-t-il.
Néanmoins, de nombreux ETF inspirés par la politique affichent des performances remarquables cette année. Ainsi, le God Bless America ETF (« Yall ») de Tidal, qui cible les investisseurs conservateurs « craignant Dieu et brandissant des drapeaux »‘, a enregistré une impressionnante hausse de 84 % depuis son lancement en octobre 2022, avec environ 76 millions de dollars d’actifs sous gestion.
En outre, le Democratic Large Cap Core ETF (« Demz ») et l’American Conservative Values ETF (« ACVF ») ont enregistré cette année des rendements respectifs de 20 % et 18 %, des performances proches de celle de l’indice S&P 500, qui a progressé de 19 %.
Les prochaines élections ne devraient pas entraîner de changements significatifs dans les portefeuilles. Zachary Evans anticipe que « les principales positions des ETF Nanc et Kruz resteront inchangées, avec seulement de légères variations principalement dictées par les conditions du marché. »