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Dans un monde fragmenté sur le plan économique, où les tensions géopolitiques se multiplient, la pression inflationniste reste forte et les incertitudes persistent, les responsables des investissements des trois plus grands gestionnaires d’actifs européens - Amundi, DWS et Schroders - envisagent l’année 2024 avec un optimisme prudent.

Investment Officer a combiné les perspectives respectives de ces trois gérants pour proposer un kaléidoscope de stratégies d’investissement pour 2024. Un premier constat se dégage :  le portefeuille multi-actifs traditionnel, avec 60 % d’obligations et 40 % d’actions,  suscite de nouveau l’enthousiasme. Les marchés émergents offrent également des opportunités. Parmi les trois gestionnaires, Schroders se montre le plus prudent.

Lors de sa présentation téléphonique Crystal Ball, destinée aux médias, Johanna Kyrklund, directrice des investissements chez Schroders, a averti qu’il ne fallait pas surestimer les attentes d’un changement de cap rapide de la Fed. Très attendu, l’abaissement  des taux d’intérêt aux États-Unis «prendra du temps pour se concrétiser. »

Au gré des marées 

Chez les trois gestionnaires, les titres des perspectives pour 2024 évoquent tous l’évolution de la dynamique de la sphère, signalant un changement d’environnement, qui nécessitera  des approches plus nuancées et diversifiées. Amundi parle de « Turning Tides », marées changeantes. Schroders croit fermement dans le « 3D Reset ». Et DWS estime que l’acronyme qui prévalait il y a peu, « Tina » (there is no alternative, pas d’autre choix) va être remplacé par « Tapas » (there are plenty of alternatives, beaucoup d’alternatives). Les trois sociétés s’accordent sur le fait que les taux d’intérêt sont proches de leur sommet, et que l’inflation est en grande partie maîtrisée. Après avoir généré des rendements décevants pendant trois ans,  les obligations et autres produits à revenu fixe peuvent donc à nouveau prétendre à une place de choix en portefeuille.

Björn Jesch, directeur des investissements chez DWS, parle d’un « retour » des investissements en revenu fixe. « Il est temps de réinvestir dans les obligations », a-t-il déclaré lors de sa conférence téléphonique sur les perspectives. DWS anticipe une hausse des cours des obligations. En effet, les Bunds, la référence européenne, ont vu leur rendement reculer de 50 points de base, et les titres du Trésor américain, même de 100 points de base. Un risque subsiste toutefois : celui que les banques centrales ne puissent se permettre de baisser les taux.

Conviction forte

Vincent Mortier, directeur des investissements chez Amundi, avait déjà prophétisé le retour des obligations  en septembre 2022 ; rétrospectivement, cela était sans doute un peu prématuré.  « Nous étions un peu en avance, mais nous sommes aujourd’hui véritablement convaincus qu’il va se produire », a-t-il admis lors de la présentation des perspectives d’Amundi, le 23 novembre. Il estime que les banques centrales commenceront à abaisser les taux au deuxième semestre. Pour les États-Unis, une baisse de 150 points de base (bien supérieure au consensus), sera selon lui nécessaire « si la Fed veut relancer l’économie. » Quant à la BCE, elle devrait également réduire ses taux de 125 points de base. En outre, et de manière tout aussi importante, il est persuadé que  la BCE maintiendra son programme de rachat, « un petit coussin pour la périphérie. »

Johanna Kyrklund a quant à elle affirmé  que la perspective d’un ralentissement économique avec une croissance modérée dans un avenir prévisible « soutiendra» les obligations ; selon elle, la récession s’achèvera à la fin de l’année prochaine. Nous entrons ainsi dans une « période relativement faste, où la croissance se maintient », ce qui offre  aux investisseurs des « opportunités techniques ».

La directrice des investissements de Schroders a en outre souligné l’importance de s’adapter aux « 3D » – décarbonisation, démographie et démondialisation, un nouvel environnement dans lequel les investisseurs doivent faire davantage d’efforts pour générer un rendement supérieur à l’inflation. Cette configuration présente des « opportunités dans toutes les classes d’actifs », a-t-elle expliqué, faisant référence par exemple à la dette des marchés émergents, et, plus tard, aux actions émergentes, voire à la capacité de fonderie dans les semi-conducteurs, étant donné son importance pour l’industrie automobile mondiale.

La revanche de la courbe Phillips

Johanna Kyrklund a en outre souligné que les « tendances D » définies par Schroders évoluent à des vitesses différentes.  La démographie est la plus lente, tandis que l’investissement dans l’IA appelle des modifications rapides. Enfin, la démographie, associée à la démondialisation, est une tendance particulièrement difficile à exploiter en tant qu’investisseur.

« Nous devons envisager la tendance à la relocalisation de manière globale. La mondialisation extrême que nous connaissions jusqu’à il y a peu ressemblait en quelque sorte à un Adam Smith sous stéroïdes, a-t-elle déclaré. Elle a exercé des pressions baissières considérables sur les salaires en Occident. »

Ainsi, c’est indirectement la mondialisation qui a permis l’avènement d’une ère de taux bas. Or, nous assistons actuellement à un mouvement contraire, dont les conséquences sont amplifiées par le vieillissement démographique. « Nous avons atteint un point de basculement au niveau de la population active ; j’ai envie de dire que nous assistons à une sorte de revanche de la courbe de Phillips : le lien entre le niveau de chômage et les salaires doit être redéfini. »

La courbe de Phillips est une théorie économique selon laquelle l’inflation et le chômage ont une corrélation stable et inverse : la croissance économique entraînerait une certaine inflation, qui crée plus d’emploi et donc, moins de chômage. Si cela s’est vérifié pendant une grande partie des années 1980 et 1990, la réalité est différente aujourd’hui :  le chômage reste faible, et les coûts salariaux toujours élevés empêchent le ralentissement de l’inflation.

« Nous devons recalibrer la fourchette associée au  revenu fixe », a déclaré Johanna Kyrklund. « Cette configuration appelle une  politique  un peu plus proactive. Structurellement, et c’est fondamental pour moi, nous ne reviendrons pas s à un environnement de politique de taux zéro. »

Le conflit en Ukraine, perturbateur majeur

La guerre menée par la Russie en Ukraine  est considérée comme l’une des influences géopolitiques les plus déterminantes, étant donné l’impact des cours des matières premières sur les marchés et sur le PIB mondial en général. « Ce conflit pourrait, de fait, brider davantage le PIB mondial que celui d’Israël», a déclaré Johanna Kyrklund, ajoutant que l’implication possible de l’Iran ici est un aspect clé.

L’année prochaine sera marquée par un grand nombre d’élections législatives, y compris dans de grandes économies émergentes telles que l’Indonésie et le Mexique, ainsi qu’à Taïwan et en Corée du Sud. « Les marchés émergents sont trop importants pour être ignorés, a déclaré Vincent Mortier. Il s’agit d’un univers très dispersé. Nous sommes très constructifs sur l’Asie en général. » Amundi évite aussi certaines positions en Amérique latine et fait preuve d’une « plus grande prudence » en Europe et au Moyen-Orient.

Ces perspectives pour 2024 sont les premières d’une série de quatre, publiées par Investment Officer. Retrouvez la semaine prochaine les perspectives pour les actions, les obligations et les marchés privés.

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