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Le rebond boursier qui a démarré début 2023 dans le sillage des décisions chaotiques des autorités monétaires s’est essoufflé en début d’année. À présent, il menace de s’enliser complètement. En outre, l’enthousiasme d’alors risque d’être noyé dans un bourbier de tensions géopolitiques croissantes, de menaces d’inflation mal gérées et d’un espoir de réduction rapide et substantielle des taux d’intérêt qui s’estompe progressivement. 

Un regain d’enthousiasme ne suffirait évidemment pas à maintenir les marchés boursiers sur leur lancée. À court terme, il est urgent de soutenir les perspectives d’inflation et de taux d’intérêt, car les perspectives de croissance bénéficiaire des entreprises sont déjà largement intégrées dans les cours de bourse actuels.
Les taux d’inflation les plus récents n’offrent aucun répit, bien au contraire. Les prix de détail aux États-Unis (indice CPI) ont – une fois de plus – déçu, avec une hausse inattendue tant de l’indice des prix sous-jacents que de l’indice général des prix (voir le graphique ci-dessous). Le fait que l’inflation des services, même après correction pour les loyers, rebondisse de 0,65 % sur une base mensuelle est particulièrement inquiétant. Les prix des marchandises ont enregistré une légère contraction au cours du mois dernier, mais nettement insuffisante pour faire dévier le taux de croissance de l’inflation américaine. 

Évolution des prix de détail aux États-Unis

Baisse radicale des taux

L’augmentation des prix des services n’a rien de surprenant. La chute des prix des matières premières, des denrées alimentaires et de l’énergie sur les marchés mondiaux commence (avec une lenteur déconcertante) à se répercuter sur les prix des produits, mais n’a aucun impact sur les sociétés de services. L’inflation des salaires et la forte hausse des coûts de financement exercent actuellement la principale pression à la hausse sur les prix. Dans l’industrie, la baisse des coûts des matériaux peut encore compenser la hausse des salaires et des coûts de financement, mais ce n’est pas le cas dans le secteur tertiaire. 

Les taux d’intérêt ont été inconsidérément augmentés à un niveau si élevé qu’ils ont alimenté l’inflation via la hausse des coûts financiers, mais n’ont pas réussi à refroidir l’économie. Le moyen le plus rapide et le plus efficace de réduire l’inflation élevée dans le monde occidental consiste à abaisser radicalement les taux directeurs et à faire baisser les taux d’intérêt à long terme, ce qui permettrait de réduire considérablement les coûts de financement. Et il vaudrait mieux que cela se produise rapidement, car les prix des matières premières qui réagissent le plus rapidement, comme le cuivre, le zinc et le platine, ont déjà entamé leur remontée. 

La probabilité d’une baisse effective du taux directeur aux États-Unis dans les prochains mois s’amenuise toutefois de jour en jour. Nous n’avons jamais été naïfs sur ce plan et nous ne nous attendions pas à un scénario aussi optimiste, contrairement à l’anticipation trop enthousiaste de baisses des taux de la Fed au premier semestre 2024. 

Pas de désespoir

Pourtant, de nouvelles opportunités de baisse du taux directeur aux États-Unis se présenteront à l’automne. Les marchés des swaps anticipent actuellement une première baisse de 25 points de base après l’été, pour la rentrée.

D’où notre surprise lorsque, il y a quelques semaines, le président de la Fed, Jerome Powell, a parlé de trois baisses des taux d’intérêt à court terme (de 0,75 % au total) d’ici la fin de l’année. Aussi improbable que cela puisse paraître, la prévision du président de la Fed n’est pas totalement infondée. D’une part, le taux d’intérêt actuel est inutilement élevé et pourrait baisser, en soi, sans que l’inflation ne diminue de manière significative. D’autre part, la banque centrale américaine n’utilise pas les indicateurs CPI ou PPI pour se faire une idée de l’évolution de l’inflation, mais l’indice PCE. Historiquement, la différence entre les indices CPI et PCE a rarement été aussi marquée. Cette différence croissante est principalement due aux coûts des soins de santé et aux primes d’assurance, qui connaissent une évolution beaucoup plus stable selon la mesure de la Fed.

Presque immédiatement, un des gouverneurs de la FED a contredit la possibilité d’une baisse du taux directeur, soulignant que l’inflation était encore beaucoup trop élevée pour envisager des baisses de taux d’intérêt. Après ces disputes de vestiaires, aucune équipe ne s’est encore montrée plus performante… 

Ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle, mais cela ne doit pas conduire au désespoir sur les marchés financiers. La perspective d’une baisse des charges d’intérêt subsiste, même si elle est moins importante et plus tardive que prévu. Par conséquent, la désillusion actuelle sur les marchés boursiers devra céder le pas, au fil du temps, aux généreuses perspectives de croissance des poids lourds sur le marché boursier américain. Seulement, d’autres secteurs, thèmes d’investissement et régions devront attendre plus longtemps l’élargissement du rebond boursier. Dès lors, les hausses boursières qui sont parvenues à s’imposer depuis le début de l’année 2023 restent trop concentrées et sont extrêmement vulnérables lorsque l’un ou l’autre membre de ce club sélect traverse une passe plus difficile. 

The wall of worry

Dans la zone euro, la situation des taux d’intérêt est beaucoup moins inquiétante. La pression cyclique haussière sur les prix est beaucoup moins forte et les coûts de financement sont nettement moins élevés. L’inflation est donc en baisse constante, ce qui ouvrira la voie à des baisses du taux de la part de la Banque centrale européenne au cours des prochains mois. Quant à savoir si les administrateurs de la BCE trouveront le courage d’abaisser les taux directeurs indépendamment de son homologue américaine, c’est une autre question. 

L’amélioration des perspectives de taux en Europe ne se traduira certainement pas par une amélioration des perspectives économiques. L’Occident est coincé entre les grands blocs. À l’Est, les importations bon marché de la Chine constituent une menace, et l’empire du Milieu tentera de compenser la perte de son potentiel de marché aux États-Unis en dumpant ses exportations vers l’Europe, qui a trop à perdre pour s’opposer à ces pratiques. Dans le même temps, la menace russe contraint l’Europe à des dépenses militaires importantes, réduisant la capacité d’investissement dans la R&D et les technologies innovantes. 

Du côté occidental, le redoutable candidat à la présidence Donald Trump semble prendre le dessus. Il ne fait guère de doute que tous les prétextes sont bons pour imposer une taxe à l’importation de 10 % sur les produits européens. Les divisions internes et le cadre décisionnel inefficace de l’Union européenne ne facilitent pas cette situation, alors que la bombe à retardement du déclin démographique fait clairement tic-tac.

La pression inflationniste aux États-Unis, les tensions géopolitiques croissantes, une Europe enclavée et impuissante, et la Chine qui ne peut plus éviter un gouffre démographique…Les inquiétudes se dressent, tel un mur : Climb the wall of worry.

Stefan Duchateau est professeur et expert auprès d’Investment Officer.

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