La Banque centrale européenne a annoncé jeudi qu’elle allait relever ses taux d’intérêt d’un demi-point de pourcentage, ce qui représente une hausse plus importante que les 25 points de base précédemment prévus. En outre, le nouvel instrument de crise TPI devra réduire les écarts croissants de taux d’intérêt entre les pays de la zone euro. La BCE donne le ton, mais cette stratégie comporte des risques considérables.
Les marchés s’attendent à une nouvelle augmentation de 140 points de base jusqu’à la fin de l’année, ce qui suggère une trajectoire régulière d’augmentations d’un demi pour cent par réunion. Toutefois, la détérioration des conditions économiques au cours des prochains mois pourrait conduire à un raccourcissement précoce du cycle de resserrement. Il est en équilibre sur une corde fine, disent les investisseurs et les stratèges à Investment Officer.
Équilibre entre inflation et récession
Patrick Moonen, responsable de la stratégie multi-actifs chez NN Investment Partners, estime que la détermination de la BCE signifie qu‹ «elle agira comme si l’économie se dirigeait vers un régime d’inflation élevée jusqu’à preuve du contraire».
La preuve en est une baisse claire et généralisée de la dynamique de l’inflation. Parce qu’il y a un long délai entre la politique monétaire et son effet sur l’inflation, et parce que la croissance ralentit déjà, cette stratégie comporte un risque important que les banques centrales aillent trop loin et poussent l’économie (plus profondément) dans la récession», avertit M. Moonen.
Paul Jackson, responsable de la recherche sur l’allocation d’actifs chez Invesco, pense que la BCE aura du mal à suivre cette voie. La BCE vient tout juste de s’engager dans un processus de resserrement tout en évaluant le risque d’inflation et de récession», déclare M. Jackson.
La reprise partielle des livraisons de gaz par le gazoduc Nord Stream 1 en provenance de Russie rappelle à quel point l’Europe peut être vulnérable à une perturbation des flux de gaz dans les mois à venir». Les marchés resteront volatils, selon M. Jackson.
Instrument de protection de la transition
Alors que l’effet modérateur d’une hausse plus importante des taux d’intérêt et les conséquences négatives pour les pays très endettés de la périphérie de la zone euro avaient déjà été évoqués, la BCE a désormais trouvé une «solution».
Afin de protéger la périphérie, et l’Italie en particulier, des effets négatifs de la hausse des taux d’intérêt, la BCE introduit maintenant l‹ «instrument de protection transitoire» (IPT). Un nouveau programme d’achat dans le but de «garantir que l’impact de la politique monétaire atteigne l’ensemble de la zone euro», a déclaré hier le président Lagarde lors de la conférence de presse qui a suivi la réunion du conseil d’administration de la BCE.
Les principaux risques sont la viabilité de la dette publique de l’Italie (plus de 150 % du PIB) et la confiance des marchés financiers dans cette viabilité. Dans un communiqué, la BCE écrit que le TPI peut être activé pour «contrer les dynamiques de marché désordonnées injustifiées qui constituent une menace sérieuse pour la transmission de la politique monétaire dans l’ensemble de la zone euro».
Contrairement aux achats d’actifs effectués dans le cadre de programmes existants tels que PEPP ou APP, le TPI est soumis à quatre conditions budgétaires, par exemple le respect des règles budgétaires de l’UE et l’absence de déséquilibres économiques graves.
Ulrike Kastens, économiste pour l’Europe chez le gestionnaire d’actifs DWS, s’attend à ce que la BCE «n’utilise pas ce nouvel instrument à la légère», même si «la conditionnalité devrait l’inciter davantage à y recourir». Mais en fin de compte, c’est aux pays européens de se conformer à leurs obligations fiscales, a souligné Ulrike, «car ce n’est qu’à cette condition qu’ils pourront également bénéficier des achats d’actifs».
Crise en Italie
L’instrument politique arrive à un moment particulier. Quelques heures avant que la BCE n’annonce sa nouvelle politique, le départ annoncé de Mario Draghi, ancien président de la BCE et actuel premier ministre italien, a été officiellement accepté par le président Mattarella. La démission de Draghi en tant que Premier ministre italien a provoqué une incertitude politique dans la plus grande économie périphérique et a élargi les écarts entre les taux d’intérêt italiens et allemands avant l’annonce de la BCE.
L’écart entre les obligations d’État italiennes et allemandes a atteint 243 points de base à l’ouverture des marchés européens, avant de retomber à 237 au moment de la rédaction de cet article. Le FTSE MIB, principal indice de la bourse italienne, a terminé la journée de négociation avec une perte limitée de 0,70 %. La pression sur les spreads et les actions italiennes n’a pas diminué après l’annonce du TPI.
Selon Dave Chappell, gestionnaire de portefeuille senior chez Columbia Threadneedle Investments, l’effondrement du 67e cabinet italien depuis la Seconde Guerre mondiale ne pouvait pas tomber plus mal. Selon lui, cela pourrait devenir un obstacle important à la bonne transmission de la politique monétaire.
Chapell : «En réponse à des questions répétées lors de la conférence de presse, la présidente Lagarde n’a pas osé révéler si un resserrement des conditions financières, motivé par des politiques intérieures autodestructrices, justifierait l’application du nouvel IPT. À ce stade, compte tenu de l’absence de contagion des autres rendements périphériques, nous ne pensons pas que ce soit le cas.”
Le marché n’est pas encore rassuré
Selon Moonen (NNIP), il reste à voir si les détails du programme TPI connus à ce jour peuvent calmer les nerfs des investisseurs. Dans un monde idéal, la BCE annoncerait un soutien crédible à la liquidité avec une puissance de feu illimitée. Dans ce cas, aucun investisseur ne penserait même à s’opposer à la BCE et celle-ci n’aurait pas à acheter d’obligations.
Moonen : «Dans le monde réel, cependant, la BCE est confrontée à des contraintes politiques importantes. Comme le montrent clairement ses 23 années d’existence, ces obstacles ne peuvent être surmontés que si la pression pour y parvenir est suffisamment forte. Ainsi, le dernier mot sur le volant de liquidités n’a peut-être pas encore été dit».