Investment Officer est en ligne depuis plus de six mois et, au cours de cette période, nous avons déjà réalisé un grand nombre d’entretiens approfondis et d’histoires de fonds dont les principaux acteurs sont des professionnels du secteur belge de l’investissement. Dans les prochaines semaines, nous publierons à nouveau les histoires que vous n’auriez pas pu manquer.
Aujourd’hui, le dernier article de cette série, l’interview avec Filip Weynants, directeur du Risk Consulting chez KPMG Belgique.
Suite à l’entrée en vigueur de la directive européenne PSD 2, les marges des banques sur les transactions de paiement sont soumises à une pression encore plus forte. Sans compter le risque que les millions d’euros que les banques ont investis ces dernières années dans la numérisation de leur marketing direct aient été dépensés vainement. Les banques privées et les gestionnaires d’actifs n’y échappent pas non plus.
Tel est ce qu’affirme Filip Weynants, directeur Risk Consulting chez KPMG Belgique, lors d’un entretien avec Investment Officer. « Il règne effectivement une grande inquiétude. »
Lutte acharnée
Sous réserve du consentement du client, la directive PSD 2 oblige les banques à partager les données des clients avec des entreprises de la tech et des autres banques. Les détails de la directive ont fait l’objet d’une lutte acharnée entre les entreprises de la fintech et le secteur bancaire traditionnel qui, en vertu de la directive, perdra son contrôle exclusif sur la fourniture de services bancaires. Selon Weynants, la PSD 2 est donc l’un des changements les plus radicaux dans le paysage bancaire de ces dernières années.
« Jusqu’à présent, le système bancaire était un univers protégé. Pour des raisons commerciales, les banques coupaient leurs clients des tiers, mais cela n’est plus autorisé. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation où, combinée à une nouvelle technologie et des règles en matière de protection de la vie privée, une ennuyeuse directive sur les services de paiement entraînera un changement radical dans le comportement des consommateurs. »
Or cela a des conséquences majeures pour le modèle de revenu des banques, poursuit Weynants. À l’avenir, de plus en plus de paiements seront effectués par le biais des ‘credit transfers’, ce qui ne rapporte pratiquement rien aux banques.
« Aujourd’hui, la banque gagne encore quelques points de base lorsque vous payez avec votre carte, mais la PSD 2 ouvre la voie à des systèmes de paiement alternatifs pour lesquels la carte n’est plus nécessaire. De plus en plus de paiements seront effectués via des applications sur un smartphone. Cela a donc un impact immédiat sur les marges que les banques prennent sur les transactions de paiement. »
Concurrence supplémentaire
En même temps, il y a un autre aspect beaucoup plus important, avec un impact encore beaucoup plus grand à la clé, estime Weynants. Dans la bataille pour le client, les banques ont investi massivement dans des outils de marketing numérique ces dernières années. Mais, affirme Weynants, si le client décide maintenant de cesser d’effectuer des paiements via le canal bancaire, la possibilité d’entrer en contact avec lui disparaît.
« Afin de réduire leur cost of sales, les banques ont commencé à communiquer en masse avec leurs clients via des canaux numériques, au détriment du contact en face à face. Jusqu’à présent, cela a été extrêmement payant. Mais pour être exposés au message de la banque, les clients doivent utiliser les plateformes bancaires, ce qui n’est plus le cas sur une application mobile tierce. Plus grave encore : leurs clients sont directement exposés à de nouveaux concurrents qui, du fait de la PSD 2, peuvent désormais également leur proposer des produits bancaires. Les banques devront donc trouver de nouveaux moyens d’atteindre leurs clients. »
Données : le nouvel or
Selon Weynants, les acteurs de la fintech lorgnent depuis des années la ‘golden source of information’ des banques ; selon lui, en combinaison avec un profil Facebook, par exemple, les données des clients des banques valent littéralement de l’or. Les géants de la tech en profitent déjà habilement par le biais de l’autre législation européenne qu’est le RGPD. Via un flot incessant de demandes, les consommateurs sont actuellement invités à donner leur consentement pour des choses dont ils ne peuvent prévoir les conséquences.
« Je vous garantis qu’il y a déjà des parties qui essaient d’obtenir des clients qu’ils acceptent de partager leurs données bancaires ou de vendre leurs données. Veěra Jourová, commissaire européenne en charge des consommateurs, reconnaît également que le RGPD a justement augmenté le pouvoir de nouveaux venus disruptifs et de géants de la tech au détriment des acteurs traditionnels.
Selon Weynants, la question est maintenant de savoir si les banques sont suffisamment flexibles pour évoluer aussi bien avec leurs clients qu’avec leurs concurrents. « Dans de nombreux cas, je ne le pense pas. En effet, il y a toujours des frictions entre ce que veulent le front office d’une banque, les spécialistes du marketing, et ce qu’ils sont autorisés à faire par le back office, le département compliance ; en conséquence, les banques sont beaucoup moins flexibles que les nouveaux venus. »
PSD 3, également pour les gestionnaires d’actifs ?
Et bien que la directive PSD 2 ne s’applique actuellement qu’aux comptes à vue, les banques privées et autres gestionnaires d’actifs ne tarderont pas à y être confrontés, estime Weynants. La raison principale est le souhait des clients eux-mêmes. À un moment donné, ils demanderont à leurs banques de rassembler toutes leurs données bancaires – y compris les comptes d’épargne et les portefeuilles d’investissement – sur la même plateforme.
« C’est une erreur de jugement de penser qu’avec la PSD 2, on n’en arrivera pas là pour les banques privées et les gestionnaires d’actifs. Si vous regardez les modèles d’affaires en Asie et aux États-Unis, vous voyez que, de la base au sommet, les clients sont demandeurs pour que l’ensemble de leur capacité financière soit cartographié. Ce n’est qu’une question de temps avant que l’Europe, elle aussi, ne réalise ce souhait. »