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Le fait que le Japon soit entré de manière inattendue en récession ne préoccupe guère le marché. Les bénéfices des entreprises cotées explosent et les cours des actions atteignent des niveaux records. Les investisseurs estiment qu’il y a encore d’importants gains à réaliser, à condition que le yen continue de jouer en leur faveur.

Dans ses notes aux clients, Goldman Sachs évoque déjà les « Sept Samouraïs », en référence au film emblématique d’Akira Kurosawa, adapté aux États-Unis sous le titre The Magnificent Seven

Les hausses de cours des sept samouraïs – à savoir Screen Holdings, Advantest, Disco, Tokyo Electron, Toyota Motor, Subaru et Mitsubishi Corp - reposent sur une croissance rapide des bénéfices ainsi que sur des niveaux record de rachats d’actions et de distribution de dividendes. Alors que le Nikkei 225 a franchi jeudi dernier son plus haut niveau depuis 34 ans, la moitié des entreprises japonaises se négocient encore en dessous de leur valeur comptable. 

Les investisseurs affichent donc un enthousiasme sans borne, mais le futur potentiel de hausse dépend en grande partie du yen, qui est devenu cette année la devise la plus faible du G10 en raison de l’important différentiel de taux d’intérêt entre le Japon et l’Occident. La dépréciation de la monnaie nipponne dure déjà depuis plus de trois ans, et cette dernière a perdu plus de 9 % de sa valeur face au dollar au cours des 12 derniers mois. Historiquement, la faiblesse du yen profite au marché boursier, où les sociétés phares telles que Subaru (qui a bondi de 25 % depuis le début de l’année) et Toyota Motor (en hausse de 30 % depuis début janvier) réalisent une grande partie de leur chiffre d’affaires en dehors du Japon.

La récession inattendue, annoncée la semaine dernière en même temps que le nouveau pic, apporte également de l’eau au moulin des investisseurs étrangers. Ceux-ci représentent actuellement 70 % des transactions sur le Topix, l’indice boursier le plus large du pays, également en plein pic. Le marché s’attend à ce que le revers économique empêche la Banque du Japon (BoJ) de procéder à des relèvements significatifs des taux d’intérêt à court terme, malgré le taux d’inflation unique de 2 %. Tant que le différentiel de taux d’intérêt avec l’Occident ne sera pas comblé, la pression sur le yen devrait rester forte. 

« À quelque chose malheur est bon, dit le proverbe. Dans cette situation, cela signifie que le scénario d’ajustement de la politique monétaire est remis au congélateur, où il avait déjà passé beaucoup de temps », déclare Christofer Govaerts, stratège en chef à la Banque Nagelmackers en Belgique. « Cela explique pourquoi la Bourse japonaise, sensible aux exportations et valorisée en yens, tire profit de la situation ces derniers temps. »

Selon les données de Japan Exchange Group, les acheteurs nationaux restent largement sur la touche, tandis que les investisseurs institutionnels japonais réduisent leurs portefeuilles. Les investisseurs de détail se tournent massivement vers les États-Unis et d’autres marchés étrangers, ainsi que le montrent les données de Bloomberg.

Tant les investisseurs que la banque centrale jugent probable que la BoJ mette fin à sa politique de taux d’intérêt négatifs (actuellement de moins 0,1 %) au printemps. Selon le journal japonais Asahi, Makoto Sakurai, un ancien membre du conseil d’administration de la BoJ qui entretient des liens étroits avec les responsables politiques en place, estime que la fin des taux d’intérêt négatifs « ne devrait pas porter un préjudice significatif à l’économie. » 

La banque centrale procédera de manière très progressive et relèvera les taux d’intérêt à court terme à environ 0,5 % sur plusieurs années, a indiqué Makoto Sakurai aux journalistes d’Asahi. Les taux d’intérêt à long terme devraient également augmenter pour atteindre environ 1,5 % à 2 % d’ici trois à quatre ans. Le taux du marché actuel pour une obligation d’État à 10 ans est de 0,7 %. 
Selon Christopher Dembik, stratégiste en chef chez Pictet AM, ce « rythme très modéré » aura un impact limité sur le yen. « La faiblesse du yen persistera pendant la majeure partie de l’année, ce qui profitera aux investisseurs étrangers dans le Nikkei 225 », déclare Christopher Dembik. 

Faut-il couvrir la devise ?

Si, contre toute attente, le yen venait à s’apprécier significativement en raison de la hausse des taux d’intérêt, les investisseurs seraient notamment encouragés à dénouer leurs positions de portage, qui consistent à emprunter de l’argent pour investir dans des devises offrant un rendement plus élevé. Cela pourrait entraîner un retour des capitaux japonais vers les marchés obligataires nationaux, un mouvement susceptible d’alimenter la volatilité du marché.

« Des taux d’intérêt plus élevés et un yen plus cher pénaliseront les bénéfices et ralentiront le processus de hausse de l’inflation, ce qui pourrait exercer une pression sur les valorisations », déclare Erik Mijot, responsable de la stratégie Actions mondiales chez Amundi Investment Institute. « Pour les investisseurs en actions internationales, il pourrait donc être intéressant de ne pas couvrir le yen en 2024. » Cela peut sembler contre-intuitif, car au cours des dernières décennies, il semblait logique de prendre une position courte sur la devise si on voulait prendre une position longue sur les actions.

Arnout van Rijn, gestionnaire de portefeuille chez Robeco, estime cependant que la rentabilité des entreprises est devenue beaucoup moins dépendante du commerce international qu’on ne le pense. « De nombreuses entreprises ont appris à se couvrir contre les caprices du marché des changes », explique Arnout Van Rijn. Son équipe a également décidé, à l’inverse de ce qu’elle fait généralement de prendre une position longue à la fois sur le marché des devises et sur celui des actions ce mois-ci.

Robeco est optimiste vis-à-vis du marché des actions japonaises, mais reste « vigilant face au risque de perte extrême de ce que l’on peut qualifier de plus importante expérience monétaire du monde, si bien que nous adoptons des niveaux de stop-loss serrés », a déclaré Arnout Van Rijn.

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