Qu’est-ce qui ne tourne pas rond avec les titres bancaires européens ? ‘ Les marchés ont anticipé l’augmentation fantasmagorique des bénéfices des banques en raison de la hausse du taux, mais la réalité est plus tenace.’
Après avoir procédé au grand nettoyage des bilans, renoncé aux prêts improductifs, s’être soumises à la charge administrative et aux pénalités et avoir recapitalisé en boucles pendant des années, les banques européennes avaient à nouveau toutes leurs chances en 2017, de l’avis des analystes.
La croissance mondiale supérieure à la moyenne, qui attise les taux d’intérêt sur le marché des capitaux et l’inflation, a souvent eu un effet bénéfique sur les valeurs financières par le passé. ‘Les bénéfices des banques augmentent à nouveau, les réserves reprennent du poil de la bête et la nouvelle règlementation plus stricte est respectée,’ indiquait Morgan Stanley dans un rapport sur ‘l’année de la transition’.
D’après la banque américaine, dans les trois années à venir, le rendement sur fonds propres des banques européennes devrait atteindre 11,5 %, contre 7,5 % actuellement, en raison des économies de coûts et de la croissance des bénéfices.
Les frais de régularisation ont atteint un summum en 2017, et devraient baisser de 40 % d’ici fin 2020. Les analystes d’UBS prédisent en 2019 une augmentation des emprunts de 4 %, soit plus qu’aux États-Unis.
JP Morgan anticipe en 2019 le retour des marges bénéficiaires à leur niveau de 2006, même en l’absence d’une forte hausse du taux. Et selon Barclays, le secteur devrait surperformer en 2018, à l’image des banques américaines en 2017.
Depuis la crise financière, les banques européennes sont restées à la traîne sur le marché. Sept années de taux planchers ont étouffé les marges d’intérêt. En 2017, le point de bascule semblait s’annoncer, mais après un début d’année fort, la correction du mois de février a évincé toute euphorie des titres bancaires.
L’Indice Euro Stoxx 50 ex Financials Index est calculé à 4,85 % de perte jusque début avril, contre -5,53 % pour l’Indice Euro Stoxx 50. Ce n’est pas une surprise si le secteur financier fait sombrer l’indice d’un demi pourcent. En Europe, ce secteur est en effet plus fortement représenté dans l’économie et les indices qu’aux États-Unis.
‘La performance des titres bancaires européens n’est pas fondamentalement différente cette année que celle des banques américaines ou du marché. Les titres bancaires européens ont d’ailleurs démarré l’année sur les chapeaux de roue, et ont dû renoncé à ce regain du fait d’une conjonction de facteurs : le Momentum économique s’est légèrement atténué à court terme, le taux à dix ans allemand a baissé, quelques rapports d’activité ont créé la déception, tandis qu’en Europe, la volatilité et l’incertitude européenne se sont accentuées’, explique Sotiris Boutsis, gestionnaire de portefeuille du Fonds Fidelity Services financiers mondiaux, le fonds sectoriel le plus important et également le plus ancien en capital investi.
‘Les marchés ont anticipé l’augmentation fantasmagorique des bénéfices des banques européennes en raison de la hausse du taux, mais la réalité est plus tenace. Le taux à court terme, qui génère directement une meilleure marge d’intérêt et rentabilité, ne va pas augmenter rapidement en Europe. Même si les banques se mettent à gagner plus d’argent, la majorité sera investie dans l’informatique. C’est ce qui m’incite à ne pas me montrer très positif par rapport au secteur’, explique Patrick Lemmens, gestionnaire du Fonds Robeco New World Financial Equities, qui mise sur les tendances à long terme dans le monde financier, comme les personnes âgées, le numérique et les marchés émergents.
D’après l’enquête menée par Invesco, les prestations des titres bancaires européens dépendent plus particulièrement des fluctuations de la courbe des taux, et moins du marché. Cela explique en partie l’optimisme de certains investisseurs à propos du secteur, car l’Europe est à l’aube de changements dans sa politique monétaire.
Lemmens n’est pas convaincu qu’une augmentation du taux va susciter un rebond. ‘La performance à court terme dépend fortement des fluctuations de la courbe des taux. D’après moi, le taux à court terme, directement générateur d’une meilleure marge d’intérêt et rentabilité en cas de hausse, ne va pas augmenter rapidement.’
Boutsis s’attend à ce qu’un taux plus élevé donne un fameux coup de pouce à la rentabilité des banques européennes. Comme les banques n’ont pas facturé les coûts des taux négatifs aux épargnants, ces derniers vont sans nul doute pleinement tirer profit des fluctuations du taux.
‘Il est important de se montrer sélectif, car certaines banques sont plus sensibles au taux que d’autres. C’est tout aussi vrai pour les exigences de fonds propres, auxquelles beaucoup de banques sont presque conformes. La question est de savoir dans quelle mesure cela va se refléter dans les valorisations. Dans certains cas, la marché part du postulat d’un excédent de capital sans qu’il en soit question, et inversement.’
Credit Suisse et BNP Paribas figurent dans le top dix du Fonds Fidelity Services financiers mondiaux. Boutsis se dit aussi séduit par la banque Intesa Sanpaolo, qui est sensible à un taux plus élevé et prévoit une hausse de ses revenus. Quant à Erste Bank, Boutis lui donne toutes ses chances en raison des marchés dans lesquelles la banque est active et de son potentiel à économiser sur les coûts.
ING et BNP Paribas occupent des positions importantes dans le Fonds Robeco New World Financial Equities car elles courent en tête dans le domaine informatique. ‘Les banques doivent choisir le rôle qu’elles veulent jouer : le rôle de fournisseur d’infrastructure pour les transactions financières ou le rôle de prestataire de produits financiers. Dans cinq ans, nous verrons des différences entre les banques dans ce domaine’, explique Lemmens.
Au mépris de leurs pairs américains, certaines banques européennes n’ont pas toujours renoncé aux prêts improductifs dans une mesure suffisante. Selon la plateforme en ligne Consultancy.eu, près de 760 millions d’euros de prêts improductifs sont encore inscrits au bilan des banques en Europe. Récemment, Deutsche Bank, Barclays et UniCredit ont dû recapitaliser et Credit Suisse est aussi à la recherche de nouveaux capitaux. D’après Lemmens, il est exagéré de déjà craindre aujourd’hui la prochaine crise, en partie aussi parce que les investisseurs s’attendent au même désastre que lors de la crise bancaire précédente. C’était une situation exceptionnelle, explique-t-il.
‘Il est tout à fait normal que les banques traversent une crise à intervalles réguliers. À la suite de la dernière crise, les exigences de fonds propres et de liquidités ont sensiblement augmenté. Beaucoup de nouvelles règles se sont ajoutées, venant compliquer la tâche aux banques moyennes. Cette situation est source d’incertitude. En tant qu’investisseur, je ferais donc preuve de prudence envers les banques plus petites et moins bien capitalisées et les modèles Fin Tech non-rentables.’
D’un point de vue réaliste, les restrictions de capital plus strictes et les exigences de liquidités plus fortes devraient découler sur des rendements plus faibles qu’avant la crise, lorsque la rentabilité des banques s’élevait à 20 % en moyenne, poursuit Boutsis.
À ses yeux, certaines banques européennes sont encore de bons investissements, comme les banques qui peuvent tirer profit d’un taux plus élevé ou améliorer leur efficacité grâce à la numérisation ou à une meilleure utilisation de la technologie.