Avec les électionsdu Parlement européen et l’élection présidentielle américaine, l’immigration constitue un sujet brûlant. Les nuances sont souvent absentes, tout comme la compréhension de l’importance des immigrants pour l’économie. Il est temps de mettre en lumière quelques impacts économiques d’une limitation de l’immigration.
L’immigration soutient le marché du travail et la croissance économique
La croissance économique des États-Unis est en partie stimulée par la population active, dont les indispensables immigrants.Selon le Bureau du budget du Congrès américain, le pays a enregistré en 2023 une immigration nette de 3,3 millions de personnes, résultant en partie de la politique favorable à l’immigration menée par le président Joe Biden.
L’économie américaine a enregistré une croissance de 3,4 % au cours du dernier trimestre de l’année dernière, à laquelle les immigrants ont contribué pour près de 20 %. La contribution des immigrants à l’économie américaine est donc loin d’être négligeable.
Dans ses dernières Perspectives économiques (volume 2024, numéro 1), l’OCDE a examiné l’impact des flux migratoires sur la croissance économique, en s’appuyant sur des données issues notamment des États-Unis, du Royaume-Uni et du Canada. Il en ressort clairement que la migration a un impact positif sur la productivité et le transfert de connaissances dans un pays (il s’agit souvent de personnes hautement qualifiées fuyant un pays politiquement et économiquement instable), qu’elle comble les emplois que les Américains moins qualifiés délaissent et qu’elle contribue à réduire les coûts salariaux en période de pénurie sur le marché du travail.
En effet, les emplois sont plus facilement pourvus par des migrants, ce qui modère les revendications salariales et atténue les préoccupations de la banque centrale quant à une croissance excessive des salaires et de l’inflation (survenant lorsque les entreprises répercutent l’augmentation des coûts salariaux sur leurs prix). À New York, par exemple, les immigrants sans papiers représenteraient 10 % de la population active dans les secteurs de la construction, de l’horeca et des hôpitaux (source : Regional Economic Development Council).
Bien que l’importance des immigrants pour l’économie américaine soit indéniable, des voix populistes, comme celles de Donald Trump, candidat à la présidentielle, refont surface. Début 2020, en réaction à la pandémie de coronavirus, l’administration Trump avait fermé les frontières avec le Mexique et le Canada, entraînant une chute de près de 50 % de l’immigration.
Sous la présidence de Joe Biden, la tendance s’est inversée, mais les États-Unis enregistrent néanmoins toujours une baisse tendancielle de 2 millions d’immigrants depuis 2010. Selon la Current Population Survey (CPS), la moitié de ces personnes seraient diplômées, ce qui représente une perte significative de travailleurs qualifiés.
Si Donald Trump est réélu président pour un nouveau mandat de quatre ans, cela ne présage rien de bon pour les chiffres de croissance actuels de l’économie américaine, à moins que sa rhétorique sur l’immigration ne soit destinée uniquement à sa réélection.
L’immigration maintient à niveau une population active en déclin
Après la pandémie de Covid-19, la population allemande a stagné à 83,2 millions d’habitants en 2020 et 2021, avant d’augmenter à nouveau pour atteindre 84,7 millions aujourd’hui. Cependant, les trois quarts de cette augmentation (1,1 million de personnes) étaient des immigrants, principalement originaires d’Ukraine.
L’année dernière, 693 000 bébés sont nés en Allemagne, soit une baisse de 6,2 % par rapport à 2022. Si cette baisse tendancielle de la natalité se poursuit, elle aura un impact négatif sur la population active et la croissance économique, surtout si l’on tient compte du départ à la retraite de la génération du baby-boom.
L’évolution démographique observée en Allemagne se reflète également à l’échelle européenne. Le nombre de résidents de l’Union européenne âgés de plus de 65 ans devrait augmenter de 25 millions d’ici 2040 (même en tenant compte des tendances migratoires actuelles), alors que le nombre de personnes âgées de 15 à 64 ans devrait diminuer de 20 millions.
Alors que l’on pouvait autrefois faire appel aux immigrants d’Europe de l’Est (il suffit de penser aux nombreux travailleurs polonais actifs dans les cultures fruitières ou la construction), leur nombre a considérablement diminué ces dernières années. C’est compréhensible, car l’écart salarial entre les anciens États membres (comme la Belgique ou les Pays-Bas) et les nouveaux (la Pologne et la Lituanie ont rejoint l’UE en 2004, la Roumanie en 2007) a considérablement diminué et devrait continuer à se resserrer dans les années à venir. Il devient donc nécessaire de cibler de nouveaux groupes d’immigrants.
Dilemmes et défis politiques
La baisse du taux de natalité, le vieillissement de la population et le déclin de la population active deviennent les principaux défis pour les politiciens en Europe. Tous ces facteurs exercent une pression considérable sur les finances publiques, tant du côté des recettes que des dépenses. Or, 11 pays de l’Union européenne sont dans le collimateur de la Commission européenne pour dépassement de budget. De moins en moins de personnes paient des impôts (sur les revenus de leur travail), alors même que la PDE (procédure concernant les déficits excessifs) de l’UE est en cours d’élaboration. Celle-ci demande aux pays de l’UE de réduire les déficits excessifs dans leurs budgets et leurs finances publiques.
Les perspectives ne sont pas réjouissantes pour la population : la population active verra ses impôts augmenter (pour financer leurs pensions, par exemple), mais les pensionnés en subiront également les conséquences : l’inflation plus élevée rogne une partie de leur capital épargné, tandis que le vieillissement de la population exerce une pression énorme sur les services sociaux (comme les soins à domicile ou dans les hôpitaux).
La croissance économique est donc plus que jamais indispensable, et l’immigration joue un rôle crucial à cet égard. L’Europe vieillit rapidement et lorsque moins d’immigrants désireux de travailler sont admis, le réservoir de main-d’œuvre disponible s’assèche. Cette situation crée une pression sur les coûts salariaux et l’inflation : la pénurie et la demande de personnes à même de travailler poussent les salaires à la hausse, et des salaires plus élevés entraînent une augmentation des prix car les entreprises répercutent l’augmentation des coûts de main-d’œuvre.
Les politiciens sont confrontés à des dilemmes majeurs. Doivent-ils céder au populisme et à la rhétorique anti-immigration, tout en sachant qu’un déficit démographique se profile à l’horizon ? Ou bien doivent-ils plutôt informer la population des conséquences potentiellement négatives sur le pouvoir d’achat de l’épargne, la qualité de l’éducation et du système de santé, et les finances publiques précaires si l’immigration ne soutient suffisamment pas la population active et la croissance économique ?
Bien sûr, il n’est pas question d’ouvrir complètement les frontières. Une politique d’immigration raisonnable est nécessaire, impliquant une intégration par l’apprentissage rapide de la langue, un niveau d’intégration requis, des compétences existantes, etc. Les politiciens européens n’ont pas besoin de réinventer la roue. Des pays comme le Canada et l’Australie ont déjà pris de l’avance dans ce domaine. Il y a donc beaucoup à faire, notamment en termes de communication objective à la population concernant l’immigration.
Jan Vergote est analyste et conseiller financier indépendant.