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Les actions des sociétés de capital-investissement cotées traversent une période difficile après la publication d’un indice des prix à la consommation (IPC) américain plus élevé que prévu et une saison des résultats en demi-teinte. Selon les analystes de Wall Street, il s’agit là d’une excellente opportunité pour les investisseurs souhaitant profiter de l’essor du capital-investissement via les marchés boursiers.
L’inflation américaine a bondi à 3 % en janvier, dépassant les prévisions des économistes qui tablaient sur 2,9 %. Ces chiffres apportent de l’eau au moulin de ceux qui plaident pour une approche plus prudente de la Réserve fédérale en matière de baisse des taux d’intérêt. Cette hausse inattendue a impacté aussi bien les actions que les obligations la semaine dernière. Les sociétés de capital-investissement se sont montrées particulièrement vulnérables, subissant de plein fouet la hausse de l’IPC mercredi.
Les principaux acteurs du secteur, Blackstone et KKR, ont perdu plus de 5 % depuis le début de l’année, alors que le marché dans son ensemble a progressé de 4 %. La hausse des taux d’intérêt alourdit le coût de l’emprunt, rendant les leveraged buyouts (LBO) et les refinancements plus onéreux, ce qui ralentit l’activité transactionnelle. Dans le même temps, la pression sur les valorisations s’accentue, car les taux d’actualisation plus élevés érodent la valeur des portefeuilles et compliquent les sorties.
Sur le long terme, toutefois, le tableau est bien plus réjouissant. Alors que le S&P 500 a réalisé un rendement d’un peu plus de 80 % en cinq ans, les grands noms du capital-investissement comme Blackstone, Apollo Global Management et KKR ont généré au moins le double. Ares, un acteur légèrement plus modeste, a même gagné 360 % sur la période.
Rendement des sociétés de capital-investissement américaines cotées depuis 2020
Depuis longtemps, les investisseurs institutionnels sont séduits par la perspective de rendements supérieurs à ceux du marché du capital-investissement. Pourtant, une analyse des performances sur cinq ans révèle un paradoxe : ceux qui se sont contentés d’acheter des actions de Blackstone, KKR, Apollo ou Ares ont peut-être non seulement surperformé le marché, mais aussi la majorité des investisseurs ayant placé leur capital dans les fonds de ces sociétés.
Rendements du capital-investissement
Comparer les marchés cotés et non cotés reste un exercice délicat, notamment en raison du manque de transparence des rendements du capital-investissement. Le taux de rendement interne (TRI) constitue l’indicateur de référence, mais sa fiabilité est souvent remise en question.
Les plus grandes sociétés de capital-investissement des États-Unis sont cotées en Bourse et doivent donc rapporter régulièrement à la Securities and Exchange Commission (SEC). Des extraits des rapports annuels de KKR et d’Apollo font état de TRI de 26 % et 39 %, respectivement.
Bien que ces performances puissent sembler impressionnantes, certains experts mettent en garde contre des méthodes de calcul potentiellement trompeuses.
Ludovic Phalippou, professeur de finance à Oxford et auteur de Private Equity Laid Bare, rappelle notamment que les investisseurs ne doivent pas confondre le TRI avec un rendement réel. Pour des actifs qui ne sont pas négociés en continu et génèrent des flux de trésorerie intermédiaires, la détermination d’un rendement effectif est beaucoup plus complexe.
MSCI, qui suit plus de 12 000 fonds de capital-investissement, estime le TRI médian à 9,1 %. De son côté, l’American Investment Council, le principal groupe de lobbying sectoriel aux États-Unis, affirme que les fonds de capital-investissement ont affiché un TRI médian de 15,2 % au cours de la dernière décennie.
« Il est frappant de constater que les sociétés de capital-investissement cotées ne publient aucun autre indicateur de performance. Des rendements d’une telle ampleur sur une période prolongée sont exceptionnels et soulèvent des questions sur les stratégies d’investissement sous-jacentes », déclare Ludovic Phalippou.
Potentiel haussier supplémentaire ?
Malgré les préoccupations entourant la transparence et la mesure de la performance, les opérateurs ont affiché une forte confiance dans les sociétés de capital-investissement. Les analystes de Wall Street restent globalement optimistes, même si les actions subissent actuellement un revers.
Ares, Apollo et KKR bénéficient tous d’une recommandation consensuelle à l’achat de la part des analystes, tandis que les analystes estiment que Blackstone peut être conservé.
Apollo, en particulier, est l’un des favoris des fonds spéculatifs. L’ETF Goldman Sachs Hedge Industry VIP, qui suit les 50 principales positions longues détenues par les fonds spéculatifs américains, inclut systématiquement Apollo dans ses principaux investissements.
L’engouement pour les titres des acteurs du capital-investissement ne se limite pas aux États-Unis. En Europe, les géants du secteur cotés en Bourse ont également affiché des bénéfices impressionnants. La société d’investissement suédoise EQT a progressé d’environ 20 % depuis le début de l’année, tandis que CVC Capital Partners, basé au Luxembourg, a gagné 8 % depuis début 2025, surperformant ainsi le marché européen dans son ensemble depuis son introduction en Bourse en 2024.
CVC Capital Partners et EQT surperforment le marché
Actionnaire ou LP ?
Pour les investisseurs, la question est de savoir si détenir simplement des actions de sociétés de capital-investissement constitue une stratégie judicieuse pour s’exposer à l’essor des marchés non cotés.
Contrairement aux limited partners (LP), les actionnaires bénéficient de commissions de gestion. Pour générer ces commissions, les sociétés de capital-investissement n’ont pas besoin d’afficher des performances exceptionnelles : elles ont besoin de capitaux.
« La commission de 20 % sur la performance ne constitue pas un facteur déterminant dans la génération de revenus des sociétés de capital-investissement », déclare un sélectionneur de fonds de capital-investissement d’un multi-family office à New York. En revanche, la performance joue un rôle clé dans la réputation de la marque, ajoute-t-il.
« Tant que ces sociétés entretiennent des relations solides avec les investisseurs institutionnels et affichent des estimations de TRI acceptables, les détenteurs d’actifs continuent à leur allouer des capitaux, au bénéfice des actionnaires », explique-t-il sous couvert d’anonymat.
« Les fonds de pension et autres investisseurs institutionnels sont par nature avers au risque, et un adage bien connu circule dans le milieu de la gestion d’actifs : « Personne ne se fait licencier pour avoir confié de l’argent à Apollo » - ou à tout autre grand acteur du capital-investissement. »
Peser le pour et le contre
Les investisseurs en Bourse bénéficient de la liquidité, de la transparence des marchés cotés et de rendements potentiellement plus élevés. Cependant, cette liquidité a un prix : les sociétés de capital-investissement cotées restent exposées à la volatilité des marchés d’actions, comme l’a montré l’évolution de la semaine dernière.
Les actions des sociétés de capital-investissement sont particulièrement sensibles, car leurs investissements sous-jacents sont largement financés par la dette, ils sont influencés par les grandes tendances économiques et dépendent des marchés secondaires et cotés pour les sorties.
Certaines sociétés cotées en Bourse affichent même, sur le long terme, des résultats inférieurs à ceux du marché. Carlyle Group, un autre géant américain du capital-investissement, a réalisé un rendement de 54 % seulement sur cinq ans, sous-performant ainsi le S&P 500. Mardi, la publication de résultats trimestriels décevants a entraîné une baisse de son cours en Bourse, malgré une forte croissance de ses activités sur les marchés des capitaux.
Mais les actionnaires disposent d’une échappatoire : ils peuvent vendre. Les limited partners (LP), en revanche, sont contraints d’attendre que leur capital génère un rendement.