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À l’approche de l’élection présidentielle américaine, le marché obligataire se prépare à une possible résurgence des bond vigilantes (justiciers obligataires). Le déficit budgétaire a atteint un niveau sans précédent et aucun des candidats des principaux partis n’a présenté de plan réalisable pour s’attaquer au fardeau croissant de la dette.

Lors d’un entretien avec Investment Officer, le créateur du terme, Edward Yardeni, ancien analyste en chef chez Oak Associates, Deutsche Bank et Prudential Financial, prévient que le marché obligataire va lui-même intervenir si les dirigeants politiques continuent d’échouer. 

En vendant massivement des obligations d’État, les négociateurs obligataires peuvent faire grimper les taux d’intérêt, augmentant ainsi la charge d’emprunt des pouvoirs publics. En théorie, cela oblige ces derniers à réduire les déficits et à adopter des mesures de politique budgétaire plus conservatrices.

Déficits

Historiquement, les déficits budgétaires américains les plus importants ont été observés pendant les récessions, lorsque la Réserve fédérale américaine réduisait les taux d’intérêt et que l’inflation baissait. Les recettes fiscales diminuaient tandis que les dépenses publiques augmentaient, sans impact négatif sur le marché obligataire. Mieux encore, ce dernier rebondissait. 

YardeniLa situation est différente aujourd’hui, explique Edward Yardeni (photo). « Nous n’avons jamais connu de déficits d’une telle ampleur, aussi bien en termes absolus qu’en proportion du PIB, alors que l’économie est en croissance », note Edward Yardeni depuis New York. « Nous sommes confrontés à des déficits dépassant les 1000 milliards de dollars après les réductions d’impôts de Donald Trump et les augmentations des dépenses de Joe Biden. »

En raison des hausses de taux d’intérêt opérées par la Réserve fédérale pour lutter contre l’inflation, le coût de la charge de la dette a également augmenté de manière significative. En 2024, les États-Unis dépenseront 870 milliards de dollars en paiements d’intérêts, soit plus que ce que le pays consacre à la défense.

Donald Trump a promis à plusieurs reprises de réduire la dette nationale de 34 600 milliards de dollars. La manière dont il compte s’y prendre n’est pas encore claire.

Le président Joe Biden a présenté un budget visant à réduire le déficit de 3000 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie, mais cette proposition n’a pas été approuvée par le Congrès.

« Système politique pourri »

Bill Gross, le fondateur de Pimco, a déclaré la semaine dernière qu’une victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine aurait un impact négatif sur les marchés obligataires mondiaux. Il a indiqué qu’une victoire des Républicains aurait un effet plus « perturbateur » qu’une réélection de Joe Biden, et prédit que les politiques de Donald Trump aggraveraient le déficit budgétaire américain en raison de son plaidoyer pour de nouvelles réductions d’impôts.

« Quelqu’un doit le faire », note Edward Yardeni en référence à d’éminents critiques tels que Bill Gross et d’autres titans de Wall Street comme Jamie Dimon et Ray Dalio.

« Il n’y a certainement pas de soutien politique à Washington D.C pour faire quoi que ce soit au sujet du déficit. Il faudra peut-être une crise financière dans ce pays pour que les dirigeants politiques s’attaquent à la tendance du déficit », déclare Edward Yardeni. « Tout le monde s’accorde à dire que cette tendance n’est pas soutenable, mais personne ne s’entend sur ce qu’il faut faire, alors que la solution est très simple : augmenter les impôts et réduire les dépenses. Le système politique est actuellement trop pourri pour mettre en œuvre quelque chose d’aussi simple ».

« D’ailleurs, la raison pour laquelle je suis assez détendu à ce sujet, c’est que les obligations seront de toute façon vendues un jour ou l’autre. La seule question est de savoir à quel taux », poursuit Edward Yardeni.

Adjudications peu prisées

Le marché obligataire a peut-être déjà commencé à réagir à cette irresponsabilité budgétaire. Les récentes adjudications d’obligations d’État américaines ont suscité peu d’intérêt, ce qui a exercé une pression à la hausse sur les taux d’intérêt. 

La semaine dernière, le rendement des bons du Trésor a atteint son plus haut niveau en un mois après une adjudication d’obligations à sept ans. Cette dernière fait suite à des dégagements, causés par des adjudications décevantes de bons du Trésor à deux et cinq ans. Le rendement des obligations d’État à 10 ans a atteint 4,64 %, son plus haut niveau depuis début mai.

La question se pose de savoir s’il s’agit d’un simple problème d’offre et de demande, ou si le marché reconnaît enfin que les taux d’intérêt actuels se situent là où ils doivent être, explique Edward Yardeni. « La Fed a normalisé les taux d’intérêt et ces taux se situent probablement là où ils devraient être. Cela exerce bien entendu une pression à la hausse sur les taux d’intérêt à deux ans et dix ans pour refléter ce fait, et c’est ce que nous observons actuellement. »

Malgré l’ampleur de la dette, celle-ci est restée maîtrisable grâce à la robustesse de l’économie américaine. Le ratio dette/PIB de 128 % reste dans la moyenne des autres pays du G7.

Dynamique internationale

La réaction du marché obligataire à la politique budgétaire américaine ne porte pas uniquement sur des facteurs nationaux. Selon Edward Yardeni, les droits de douane sur les produits chinois jouent également un rôle crucial. Joe Biden et Donald Trump semblent d’accord pour imposer davantage de droits de douane à la Chine, ce qui pourrait avoir des effets inflationnistes. 

Edward Yardeni souligne que l’une des raisons pour lesquelles les États-Unis ont réussi à réduire l’inflation sans récession est que la Chine traverse elle-même une récession.

« Si nous imposons des droits de douane effectifs sur les produits chinois, les prix à l’importation des produits aux États-Unis et en Europe pourraient augmenter, ce qui pourrait assurément constituer un problème pour le marché obligataire », prévient Edward Yardeni.

Malgré ce risque, Edward Yardeni est optimiste quant au paysage économique actuel. Il pense que les États-Unis se trouvent peut-être dans un « Nirvana », avec des taux d’intérêt à un niveau neutre soutenant la croissance économique sans alimenter l’inflation.

« Nous nous trouvons actuellement dans le sweet spot », déclare-t-il, en particulier aux États-Unis ainsi que dans certaines économies émergentes telles que le Mexique, où le rendement des obligations à 10 ans avoisine les 10 %.

« Nous avons vu le rendement des obligations à 10 ans aux États-Unis atteindre 5 % à la fin du mois d’octobre de l’année dernière, et il y avait encore des acheteurs, note Edward Yardeni. Chaque fois que vous pouvez vous situer entre 4,5 % et 5 %, je pense que c’est relativement intéressant. »

La résilience historique du marché pendant les élections présidentielles renforce également la confiance des investisseurs. L’indice Bloomberg U.S. Aggregate Bond a enregistré des rendements positifs lors de chaque année d’élection présidentielle au cours des 50 dernières années, avec un bénéfice moyen de plus de 7 %. Cette tendance reste largement indépendante du cycle électoral.

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