Les actions américaines sont onéreuses, mais restent-elles dignes d’achat ? Certains affirment que oui, mais le gourou de l’investissement appelle à la prudence et invite à se référer à l’indicateur portant son nom.
L’un des indicateurs favoris de Warren Buffett, le plus célèbre investisseur mondial de l’après-guerre, compare la capitalisation boursière au produit national brut (PNB). Cet indicateur, à qui il a donné son nom et qui, selon lui, représente « sans doute la meilleure estimation de la valorisation des actions à un moment donné », est utilisé depuis des décennies déjà pour déterminer si la Bourse est plutôt onéreuse ou bon marché. Fin septembre, il s’établissait au-dessus de 140 %, ce qui indique que la Bourse dépasse largement la valeur de l’économie américaine.
Le rendement d’une action est déterminé par trois facteurs. En premier lieu, les taux d’intérêt, qui se situent à aujourd’hui à des planchers historiques, surtout en Europe et au Japon, mais aussi aux États-Unis. Plus les taux sont élevés, plus le rendement d’une action est faible – et inversement. Les investisseurs se basent toujours sur le rendement sans risque, dont la référence est, traditionnellement, l’emprunt souverain américain. Si le taux servi par les titres du Trésor américain diminue, comme c’est (de nouveau) le cas aujourd’hui, les actions prennent de la hauteur, car la valorisation des actions est liée aux anticipations du niveau de taux d’intérêt à long terme.
Les estimations de bénéfices sur le long terme forment le deuxième facteur. La moyenne historique est de 6 %, mais il a aussi été établi que ce chiffre suit globalement la moyenne de la croissance économique à long terme. Or, cette dernière est plus élevée aux États-Unis qu’en Europe, ce qui explique que les grands investisseurs institutionnels, et notamment le fonds de pension norvégien, doté d’une fortune abondante, privilégient le marché américain à son homologue européen. Les Norvégiens justifient cette décision par la présence de sociétés technologiques plus attrayantes aux États-Unis, un pays qui affiche aussi moins de problèmes géopolitiques.
Le troisième facteur d’évaluation des bénéfices est la valorisation. Ici aussi, l’on tend généralement vers une moyenne historique. Une corrélation existe entre hausse des valorisations et faibles rendements futurs. C’est là qu’entre en jeu l’indicateur Buffet, qui rapporte le TMC au PNB.
Sur la base des données historiques, les experts en actions distinguent cinq catégories : un ratio de moins de 50 % désigne une « sous-valorisation nette », un ratio compris entre 50 et 75 % une « légère sous-valorisation », un chiffre compris entre 75 et 90 % une « juste valorisation », une fourchette de 90 à 115 % une « modeste survalorisation » et un chiffre supérieur à 115 % une « survalorisation nette ». Avec un ratio à 140 %, nous nous trouvons actuellement dans la dernière catégorie, ce qui explique pourquoi les investisseurs professionnels optent massivement pour un positionnement neutre ou une sous-exposition. Par le passé, et notamment en 2001/2002 et 2008, une sévère correction avait suivi. Mais cette fois, l’on constate une différence notable : les taux d’intérêt sont si bas qu’il n’est plus possible, du moins pour l’instant, d’investir sans risque dans des obligations d’État. Le rebond actuel des actions serait donc « la hausse la plus détestée de l’histoire ». Mais tout le monde constate aussi qu’il n’y a pas d’alternative.
Warren Buffett semble donc hésiter sur le comportement à adopter dans une situation qu’il n’a jamais connue, malgré ses 89 ans. « Il est très, très difficile de réaliser des transactions dans un monde où des milliards de dollars sont disponibles, où les gérants font preuve d’un instinct animal et où il est facile d’accéder à de l’argent très bon marché », affirmait-il récemment au Financial Times.
Les performances de Warren Buffett se dégradent depuis quelques années, car il trouve les actions trop onéreuses et croit dans le message que lui adresse son indicateur éponyme. Lui aussi dispose de beaucoup de liquidités - et attend pour les placer. Il a ainsi affirmé lors de son interview au FT : « Les gens deviennent plus malins, mais pas plus sages. Leur état émotionnel n’est pas stable. Tout comme il y a cinquante ans, le contexte est propice à une survalorisation ou une sous-valorisation extrême. On peut enseigner le fonctionnement des marchés, inviter à lire le livre de Benjamin Graham, mais si les gens ont peur, ils ont peur. »