En tant que femme, Marcia De Wachter (MeDirect) a dû se battre pour atteindre une position de haut niveau à la Banque Nationale de Belgique. « J’ai souvent été confrontée à des personnes qui estimaient que je ne méritais pas mon succès, ou que je le devais uniquement à mon apparence. »
Première femme à occuper le poste de vice-gouverneur de la Banque Nationale de Belgique, elle a figuré à plusieurs reprises sur la liste des 25 femmes les plus puissantes de Flandre selon Trends, et a reçu en 2011 le prix de « Femme exceptionnelle de l’année » décerné par le gouvernement fédéral. Aujourd’hui, elle est également présidente du conseil d’administration de MeDirect Bank.
« Lorsque j’ai commencé en tant que jeune active, je ne ressentais aucun obstacle. Je considérais même le féminisme comme légèrement exagéré. Cependant, j’ai progressivement découvert les multiples formes cachées de discrimination à l’égard des femmes. Plus on monte dans la hiérarchie, plus la discrimination devient flagrante. En tant que femme occupant un poste de haut niveau, on a la possibilité d’aider d’autres femmes à s’élever. Au sein des comités de direction dont j’ai fait partie, j’ai constaté que les femmes étaient promues plus rapidement dans les départements dirigés par des femmes que dans ceux sous direction masculine. J’ai dû constamment me battre et ai été confrontée l’opposition de personnes qui jugeaient que je ne méritais pas mon succès, ou que je le devais à mon apparence. Les efforts déployés pour atteindre le sommet sont souvent niés ou minimisés. J’ai même été la cible d’un sexisme flagrant, y compris à travers des lettres anonymes et des appels téléphoniques aux propos déplacés. »
Fouet intérieur
Marcia De Wachter a grandi dans une famille chaleureuse comptant cinq enfants. « Mon père était un enfant de la guerre. Pendant l’occupation, il était dans l’armée, ce qui l’a empêché de poursuivre ses études. Il aspirait à réaliser, par le biais de ses enfants, les ambitions qu’il n’avait pas pu concrétiser. À moi, quatrième de la fratrie, il déclarait : « Redouble d’efforts et vise les sommets, tu as le potentiel d’égaler les garçons ». Chercher à accomplir les rêves inaboutis de mon père et le désir de satisfaire ses attentes a été le moteur de mon existence. C’est mon « fouet intérieur ». Il m’arrive de me questionner sur l’origine de cette impulsion. Est-ce de moi qu’elle émane, ou est-ce encore ce désir d’être bien vue de mon père et de réaliser ce qu’il avait souhaité pour moi ? C’est parfois très impérieux. »
Vice-gouverneur
Marcia De Wachter a travaillé à la Banque Nationale de Belgique pendant 30 ans. Elle y a débuté en 1988 après une carrière académique à l’université d’Anvers, d’Amsterdam et de Boston. En tant qu’économiste, elle a travaillé au cabinet de Wilfried Martens, où Fons Verplaetse était chef de cabinet. Marcia De Wachter y a débuté en tant que porte-parole, puis est passée chef de cabinet de Fons Verplaetse, avant de devenir vice-gouverneur et directrice. Elle est ainsi longtemps restée l’une des femmes les plus haut placées dans le monde de la finance.
Par ailleurs, elle a été le premier vice-gouverneur contraint à devoir abandonner son mandat. « Après l’introduction de l’euro, la BNB a vu son influence diminuer. Cette situation a permis aux politiques de politiser le poste de vice-gouverneur. Après mon départ, celui-ci a connu des changements fréquents, ce qui est contraire à l’indépendance prescrite par la loi. À ce moment-là, deux options s’offraient à moi : partir, ce qui aurait équivalu à une désertion, ou rester et attendre que le temps me donne raison. J’ai choisi la seconde, ce qui a considérablement renforcé ma résilience. Cependant, j’ai traversé une sorte de processus de deuil, car mon travail et mon réseau international se sont évaporés du jour au lendemain. Cette épreuve m’a enseigné l’importance cruciale de prendre son destin en main et de préserver sa dignité, même si on se dirige vers le burn-out ou la dépression. Je me suis alors directement investie dans un nouveau projet, l’acquisition et la rénovation d’une résidence secondaire en Provence. Cela m’a donné le sentiment d’encore pouvoir créer quelque chose de précieux entièrement sous mon contrôle. »
Les femmes dans la finance
Marcia De Wachter est convaincue que la représentation des femmes dans le secteur financier s’est nettement améliorée, mais reconnaît qu’il reste un long chemin à parcourir. « Des progrès ont indéniablement été accomplis, notamment grâce à une conscience sociale plus marquée quant à la valeur ajoutée qu’apporte la présence féminine à des postes de haut niveau, aussi bien pour les entreprises que pour le secteur des affaires dans son ensemble. Cependant, dans le secteur bancaire, et en particulier en Belgique, les postes de CEO sont majoritairement occupés par des hommes. Bien qu’on observe une présence féminine plus significative parmi les CFO et les Chief Risk Officers, les femmes sont encore trop souvent reléguées à des fonctions relativement subalternes ou de soutien. Aujourd’hui, les conseils d’administration comptent davantage de femmes, mais certaines institutions financières ne respectent toujours pas une législation en vigueur depuis plus d’une décennie. Par ailleurs, la présence de femmes dans des rôles non exécutifs au sein des conseils d’administration ne suffit pas. Nous avons également besoin de membres exécutifs féminins conscients des perspectives de carrière et de la gestion du suivi des talents émergents. Cependant, il est difficile pour les femmes de se frayer un chemin, et je constate souvent qu’elles décrochent autour de la quarantaine en raison de la difficile conciliation entre travail et vie de famille. »
Moments sacrés
L’équilibre entre vie professionnelle et vie privée a constitué un défi pour Marcia De Wachter également. « Dès le début, mon mari et moi avons choisi de poursuivre chacun une carrière, ce qui signifiait que je consacrais une part importante de mon salaire à une employée de maison chargée de s’occuper des enfants et des tâches domestiques. Nous compensions cela en réalisant ensemble toutes nos activités hors travail. Je n’acceptais jamais d’invitations professionnelles le week-end sans les enfants. Nous avons instauré des « moments sacrés », comme préparer des crêpes ensemble le samedi matin ou le repas après les scouts, pour compenser le fait que j’étais parfois moins disponible en tant que mère. »
Citoyens du monde
Les deux fils de Marcia De Wachter, qui travaillent également dans le secteur financier, vivent et travaillent tous les deux à Londres. « Je vois relativement peu mes enfants et petits-enfants, car ils vivent loin de moi avec leur propre famille. Mon fils aîné réside à Londres depuis près de 20 ans, et mon second fils y vit depuis une quinzaine d’années avec sa famille. Cela signifie que nous devons voyager pour nous voir. Je les ai toujours encouragés sur cette voie. Pendant les vacances scolaires, je les emmenais toujours avec moi dans mes voyages d’affaires et je leur concoctais un programme alternatif. Mon fils cadet, par exemple, était fier d’avoir déjà visité de nombreux pays. Quant à moi, c’est mon père qui m’a transmis l’amour des voyages. Il me lisait toujours des articles du National Geographic. Je me souviens encore de l’odeur de ces pages. »
Vie riche de sens
À 70 ans, Marcia De Wachter ne lève pas encore le pied. Après son départ de la BNB, elle a suivi une formation de master à l’école de commerce INSEAD et a fondé sa propre entreprise, BrainatTrust. « La vie est une succession de changements. Avec l’âge, notre résilience mentale et physique diminue, mais l’expérience et la capacité à réfléchir de manière stratégique augmentent. Il devient plus difficile de suivre les avancées techniques, mais je m’efforce de rester informée des dernières innovations, comme l’intelligence artificielle. Vieillir, c’est aussi vouloir continuer à mener une vie riche de sens. Nous savons tous que nous finirons par mourir, que ce soit de démence, de cancer, de diabète, de maladies cardiovasculaires, ou tout simplement parce que notre horloge biologique s’arrête. Pour moi, relever le défi de vivre une vie pleine de sens le plus longtemps possible est essentiel, c’est pourquoi l’idée de la mort ne m’effraie pas ; je pense que partir en paix n’est pas si difficile. »