Investir de manière durable est bon pour la planète, mais cela permet aussi de créer de la valeur actionnariale. Pour Michael Jantzi, PDG de Sustainalytics, l’un des principaux fournisseurs de données ESG au monde, cette prise de conscience contribue à l’intérêt croissant pour de tels placements.
On dit aujourd’hui souvent que l’investissement durable se généralise. Partagez-vous ce constat ?
« Je dirais que cela dépend de la perspective que l’on adopte. Pour ma part, je suis actif dans le domaine depuis 1989, lorsque l’investissement ESG n’était qu’un minuscule marché de niche. Le quart de siècle qui vient de s’écouler a été marqué par d’énormes changements, avec un revirement total en matière d’inclusion des facteurs ESG dans les décisions d’investissement ou de financement. Sur certains segments, notamment ceux des marchés émergents et des obligations, c’est encore un phénomène relativement nouveau.
Pour moi, l’investissement ESG est étroitement lié à un concept : celui de croissance. Je pense bien sûr aux marchés où les investissements responsables font historiquement belle figure, par exemple en Europe en Australie, mais désormais aussi aux marchés américains et asiatiques, et surtout au Japon. Cet attrait croissant s’explique notamment par la multiplication de la recherche en la matière, mais aussi par la transmission globale de la fortune à une génération plus jeune, plus intéressée par les considérations et les solutions durables que ne l’avait été la génération des baby-boomers. La féminisation croissante de la frange la plus fortunée de la population joue aussi un rôle, dans la mesure où les femmes attachent généralement plus d’importance aux considérations ESG. »
Estimez-vous que la croissance des investissements durables est assez rapide, à l’heure où l’augmentation d’un seul degré de la température de la Terre semble avoir des conséquences profondes ?
« Pour moi, la courbe de croissance de ces placements est comparable à une crosse de hockey. Les facteurs ESG intéressaient peu au début, mais ils se retrouvent de plus en plus sous les feux de la rampe, et le mouvement s’accélère. Je n’y vois pas le résultat d’un facteur unique (le changement climatique par exemple), mais plutôt de la prise de conscience par les investisseurs des risques entraînés par les questions ESG, et du potentiel de création de valeur actionnariale sur le long terme. Le concept d’obligation fiduciaire est en pleine évolution. »
Certains dirigeants déplorent que la performance ESG de leur entreprise ne se reflète pas assez dans le cours boursier. Qu’en pensez-vous ?
« Il m’est difficile de me prononcer sur des cas individuels. En revanche, la corrélation entre l’intégration de facteurs ESG et la création de valeur actionnariale a été mise en évidence il y a déjà quelque temps. La performance ESG devrait donc se refléter au moins partiellement dans les cours. Bien sûr, il reste du pain sur la planche. La mise en place de normes internationales devrait jouer un rôle favorable. L’International Integrated Reporting Council (IIRC), sous l’égide du Néerlandais Wim Bartels, représente ainsi une belle initiative en la matière. »
En quoi Sustainalytics reste-t-il un acteur de premier plan en matière d’information ESG ?
« Notre objectif principal consiste à aider nos clients à prendre des décisions plus informées grâce à nos données et nos analyses. Pour cela, nous investissons énormément dans les technologies, notamment celles relatives au big data, à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage automatique, ce qui nous permet de suivre davantage d’émetteurs. Nous investissons aussi en permanence dans nos équipes de recherche. Sustainalytics compte actuellement plus de 400 collaborateurs, dont près de la moitié sont des analystes. Ce sont eux qui apportent la valeur ajoutée : la technologie ne fait que les assister. L’interaction avec nos clients et les entreprises dans le cadre du retour d’information sur les notations joue selon moi aussi un rôle essentiel. Nous tirons des enseignements mutuels de nos échanges. »
Vous ne vous sentez donc pas menacés par les nouveaux acteurs tels que TruValue Labs, qui parcourt l’Internet et les réseaux sociaux à la recherche de nouvelles données servant de base au calcul des notes de durabilité ?
« TruValue Labs est une entreprise de la Silicon Valley qui a recours à l’intelligence artificielle et à l’apprentissage automatique. Elle fournit exclusivement des données extraites grâce à des outils technologiques, et non des notations qualitatives comme nous le faisons. De par leur expérience, nos analystes peuvent proposer des perspectives d’un tout autre niveau. Je ne considère donc pas ces acteurs comme des concurrents directs. Notre offre est plutôt complémentaire. Nous avons souvent les mêmes clients. L’apparition sur le marché d’un nombre croissant de fournisseurs de données sérieux témoigne de la généralisation de l’inclusion de facteurs ESG dans le processus d’investissement. »
Avec ESG Signals, lancé fin 2016 en collaboration avec la fintech Advestis, vous proposez aux investisseurs un outil pour générer de l’alpha grâce aux informations ESG. Peut-on parler de tendance ?
« Oui. Ces derniers temps, les investisseurs sont à l’affût des opportunités que pourrait générer l’inclusion de critères ESG. Cela est notamment manifeste au vu de l’intérêt des hedge funds pour nos données : un signe important dans la mesure où les fonds spéculatifs sont générateurs d’alpha par excellence ! De nouvelles stratégies générant de l’alpha à partir d’informations ESG devraient donc apparaître. »
En mai 2018, Sustainalytics a lancé le Carbon Risk Rating, une évaluation du risque carbone. Quels sont les prochains projets ?
On lit de plus en plus que les marchés de capitaux doivent avoir un impact positif sur l’environnement et la société. Les Objectifs de développement durable des Nations unies (les ODD) jouent un rôle de premier plan en la matière. Nous suivons cette tendance, et souhaitons aider nos clients à le faire aussi. En outre, nous voulons contribuer à intégrer les facteurs ESG dans d’autres catégories d’investissement, au-delà des actions, et offrir pour cela les meilleurs outils aux investisseurs. Nous nous développons aussi dans la finance verte et recrutons actuellement de nombreux collaborateurs spécialisés. Sustainalytics est déjà le plus important fournisseur de seconds avis pour les obligations « vertes ». Nous avons donc encore des projets passionnants en cours. »
Les données ESG de Sustainalytics forment aussi la base du Morningstar Sustainability Rating. Or, cette notation de durabilité des fonds est actuellement montrée du doigt.
« Un système de notation qui vient d’être lancé peut-il être parfait ? La perfection, cela n’existe pas. Morningstar adopte une philosophie explicite et transparente. À l’instar de la notation à base d’étoiles, elle compare les résultats d’une méthode bien définie et non les intentions d’un gestionnaire ou le processus. Les globes attribués pour la note de durabilité reflètent donc les performances durables mesurables, mais ne tiennent pas compte des efforts en matière d’engagement. Cette prise en compte de l’engagement n’a d’ailleurs jamais été souhaitée. Car comment définir l’engagement ? Le mesure-t-on à l’aide des écrits, des coalitions formées ou des rencontres planifiées avec les entreprises ? Comment évaluer l’effet de ces efforts ? En outre, lorsqu’il s’agit de durabilité, la confidentialité est de mise. Il est difficile d’obtenir des informations.
Je trouve en revanche justifiée la critique selon laquelle nous évaluons encore trop peu de fonds, surtout dans la sphère obligataire. La couverture augmente, et nous l’améliorons régulièrement. C’est ce que nous faisons déjà depuis 25 ans, notamment sur la base des retours du marché. Le fait que cette notation existe est déjà un grand pas en avant, car de plus en plus de clients vont la demander. »