José Luis Pellicer, responsable mondial de la stratégie chez M&G Real Estate, note que le marché immobilier ne s’est pas encore totalement adapté à la hausse des taux d’intérêt et qu’il vaut mieux attendre et voir pour l’instant. Il se penche également sur les deux moteurs relativement nouveaux de l’immobilier.
Nous avons entamé la conversation en posant à M. Pellicer une question évidente : quel est l’impact de la hausse des taux d’intérêt sur le marché de l’immobilier ? Avec la hausse des taux d’intérêt, le taux sans risque est désormais plus élevé et chaque classe d’actifs doit s’adapter à cette nouvelle réalité. Pour les obligations d’État et d’entreprise, par exemple, cela s’est fait assez rapidement, mais pour l’immobilier, cela prend plus de temps». Pour lui, il faut que des transactions immobilières aient lieu pour que ces ajustements aient lieu. Les prix de l’immobilier se sont déjà quelque peu adaptés à la nouvelle réalité, mais pas encore suffisamment, et il en va de même pour les rendements. M. Pellicer souligne que le prix que les acheteurs sont prêts à payer, compte tenu de la hausse des taux d’intérêt, et le prix que les vendeurs sont prêts à obtenir sont encore trop souvent trop éloignés l’un de l’autre, ce qui crée un manque de liquidité. On assiste à une réévaluation des prix lorsque les deux se rejoignent enfin. Mais cela prend du temps, car les vendeurs doivent être prêts à accepter des pertes.
Le stratège de M&G souligne qu’au Royaume-Uni, les prix de l’immobilier ont déjà baissé de 20 % dans certains segments. Dans ce scénario, le marché tend néanmoins progressivement vers son équilibre : en fait, ces derniers mois, nous avons assisté à une stabilisation des prix. En Europe continentale, y compris en Allemagne, aux Pays-Bas et en Belgique, les prix ont baissé de 10 % et aux États-Unis, ils n’ont baissé que de 5 %. Et la fin de cette baisse des prix n’est pas encore en vue aux États-Unis, car les taux d’intérêt y ont augmenté beaucoup plus que dans le reste du monde occidental».
On attend toujours de voir
Pour José Luis Pellicer, il est encore trop tôt pour saisir les opportunités : en tant qu’investisseur, il est actuellement dans ce qu’il appelle le «mode d’échec actif». Nous sommes sur le marché, nous faisons des offres très basses et nous attendons qu’un vendeur finisse par mordre, obligatoirement ou non. Tout le monde sait que l’évaluation moyenne est en baisse et que nous n’avons pas encore tout vu. Par conséquent, de nombreuses parties sont aujourd’hui en mode «wait and see». Il souligne que ceux qui disposent aujourd’hui d’un capital sont en excellente position. En revanche, si vous n’en avez pas et que votre portefeuille immobilier est de qualité médiocre ou mauvaise, vous avez de mauvais papiers. De plus, les banques sont beaucoup moins enclines à accorder des prêts hypothécaires, car non seulement les taux d’intérêt, mais aussi les marges qu’elles prélèvent ont augmenté. Il ne faut pas non plus oublier que, dans de nombreux cas, le rapport prêt/valeur a augmenté et que les refinancements doivent se faire à des taux d’intérêt plus élevés.
Le gestionnaire de M&G note également que les petites banques américaines sont fortement exposées à l’immobilier commercial. Et ce type de biens immobiliers doit encore se déprécier beaucoup plus fortement. C’est un risque qui crée beaucoup d’incertitude. Aux États-Unis, les petites institutions bancaires ne sont pas en bonne posture maintenant que les taux d’intérêt ont fortement augmenté et qu’elles perdent des dépôts, et ce alors que les valorisations immobilières n’ont pas encore vraiment chuté». Pour M. Pellicer, il s’agit là d’un accident inscrit dans les étoiles. Il souligne en outre qu’après la débâcle du Crédit suisse, il y a eu une période de calme. En effet, en Europe, les gens supposent que grâce à des réglementations plus strictes et à des ratios de fonds propres plus élevés qu’aux États-Unis, l’ensemble du secteur est solidement ancré dans ses bottes : «La question que je me pose chaque jour est la suivante : s’agit-il d’une accalmie avant la tempête ou sommes-nous en réalité dans une position plus forte ?
Toujours d’actualité ?
Le fait que les opportunités soient rares ne signifie pas que le gestionnaire immobilier de M&G reste inactif. Aujourd’hui, nous trouvons que les actifs à long revenu sont intéressants. Il s’agit, par exemple, d’hôtels, de supermarchés et d’autres bâtiments zonés qui ont des baux de 25 à 30 ans. Plus les baux sont longs, plus la valeur du cash-flow est importante par rapport à celle du terrain. Et comme ces actifs sont évalués à peu près comme une obligation, la réévaluation des prix, qui, comme indiqué précédemment, ne s’est pas encore produite pour de nombreux segments immobiliers, a déjà eu lieu parce que la valeur du flux de trésorerie s’est ajustée à l’augmentation des taux d’intérêt».
M. Pellicer est également un adepte de l’immobilier logistique à long terme. Si vous achetez aujourd’hui un bâtiment logistique moderne avec des panneaux solaires sur le toit à la périphérie de Bruxelles, par exemple, c’est un investissement sûr. La demande de ce type de biens immobiliers a considérablement augmenté depuis la crise et l’offre est restée à la traîne». Il n’est au mieux de sa forme qu’en cas de récession, de baisse de la demande et de surabondance de l’offre. Mais ce segment est cyclique et reviendra quoi qu’il arrive. En ce qui concerne l’immobilier résidentiel, il finira par augmenter son exposition. Aujourd’hui, cependant, il ne voit pas encore de bonnes affaires. Et en ce qui concerne les bureaux, seuls les nouveaux immeubles qui ne présentent pas de problèmes ESG, qui sont bien situés et bien connectés sont éligibles.
Structurel et fondamental
Enfin, José Luis Pellicer souhaite parler des deux moteurs de l’immobilier qui ont fondamentalement changé après Covid. D’une part, il y a l’émergence de l’ESG et des réglementations qui l’entourent et, d’autre part, le changement de perception concernant le travail hybride qui est allé de pair avec l’accélération du commerce électronique. Il ne cache pas que l’ESG est devenue très importante. Un bâtiment dont l’efficacité énergétique est inférieure à E ne pourra plus être vendu après 2023. Et en 2030, la même chose s’appliquera aux bâtiments qui n’ont pas au moins un certificat B. Il faudra donc investir beaucoup de capitaux dans les bâtiments au cours des prochaines années. Et ce n’est qu’une partie de la réglementation». Pour lui, la situation est claire comme de l’eau de roche : les prix de l’immobilier pour les bâtiments écologiques continueront à bien se porter, tandis que les prix pour les bâtiments non écologiques baisseront. La différence entre les deux groupes va donc s’accroître de manière significative, ce qui n’est pas encore pris en compte aujourd’hui.
Il illustre son propos par un exemple. Prenons l’exemple d’un bureau construit dans les années 1980 à la périphérie de Bruxelles. Son prix va baisser non seulement parce que les taux d’intérêt ont augmenté et que le marché immobilier est difficile, mais aussi en raison de son manque d’efficacité énergétique. Un acheteur opportuniste pourrait être prêt à payer 20 à 30 % de la valeur initiale, mais il devra investir environ 40 % de cette valeur pour transformer le bâtiment en appartements économes en énergie. Pour ce faire, le prix doit d’abord baisser fortement. C’est déjà le cas pour les centres commerciaux dans certaines villes».
Deuxièmement, de plus en plus de personnes travailleront à domicile, ce qui signifie que de nombreuses entreprises auront besoin de moins d’espace de bureau. Les bureaux deviendront un lieu de collaboration plutôt que de production. En d’autres termes, il y a beaucoup de points d’interrogation autour des bureaux. Le pourcentage de bureaux diminuera et celui de l’immobilier résidentiel augmentera parce qu’il y a une pénurie chronique de logements abordables en Europe. Et pour cela, nous avons besoin de la coopération des secteurs public et privé».