
L’Europe du Sud s’impose rapidement comme une destination intéressante pour les riches de ce monde. En effet, les personnes fortunées originaires des États-Unis explorent de plus en plus les possibilités d’investissement permettant d’y établir sa résidence. Milan est aujourd’hui au cœur de cette transformation et les institutions qui les servent l’anticipent déjà. « En tant que gestionnaire d’actifs, je conseillerais la ville sans aucune hésitation. »
Longtemps considérée comme un acteur bureaucratique marginal de la gestion de patrimoine en Europe, la capitale économique italienne est devenue un pôle d’attraction pour les personnes fortunées à la recherche d’options de résidence fiscalement avantageuses, sans les contraintes réglementaires ou la visibilité des centres traditionnels tels que Londres, Genève ou le Luxembourg.
ImageSelon Jacopo Zamboni, responsable du bureau suisse de Henley & Partners, un cabinet de conseil spécialisé dans la planification de la résidence et de la citoyenneté, Milan est en train de s’imposer comme une destination de choix pour les personnes fortunées qui cherchent à obtenir la résidence par le biais de l’investissement.
« Pour les gestionnaires d’actifs ou de patrimoine, il est tout à fait naturel d’ouvrir un bureau satellite dans le sud de l’Europe, en particulier à Milan », explique M. Zamboni à Investment Officer. « La demande de structures d’investissement basées sur la résidence – qu’il s’agisse de fonds, de sociétés cotées ou de biens immobiliers – est très forte, en particulier venant des Américains et des Européens du Nord. »
Le nombre de demandes pour le programme italien devrait augmenter fortement cette année. Fin avril 2025, 63 % du total de l’année 2024 avait déjà été atteint. M. Zamboni y voit une opportunité unique, « une opportunité qui ne se présente qu’une fois par génération » pour les entreprises qui osent suivre le capital. « Si j’étais un gestionnaire d’actifs européen, j’enverrais un collègue senior à Milan demain. »
La société suisse Julius Baer, par l’intermédiaire de sa filiale luxembourgeoise, a reçu cette année l’autorisation d’ouvrir une succursale à Milan, spécifiquement pour servir la population croissante de personnes très fortunées en Italie. « Nous sommes ravis d’entrer sur le marché onshore italien avec une propre présence locale », déclare Sonia Goessi, responsable de la Suisse et de l’Europe au sein de la banque.
Le géant du capital-investissement Ares Management a également ouvert un bureau à Milan ce mois-ci, dans le cadre d’un mouvement stratégique plus large visant à répondre à la demande croissante de produits du marché privé en Italie. « Il s’agit d’une opportunité unique d’intégrer des clients qui étaient auparavant inaccessibles », explique M. Zamboni.
Un nouveau régime inspiré du Royaume-Uni
Le programme de résidence italien, lancé en 2017, permet aux personnes fortunées de payer un impôt annuel fixe de 100 000 euros sur les revenus étrangers. Le système s’inspire de l’ancien régime britannique des personnes non domiciliées, mais il offre plus de souplesse. Les investisseurs peuvent obtenir la résidence par le biais d’un investissement qualifié, par exemple 500 000 euros dans une société italienne cotée. La seule condition est que les titres doivent être conservés en Italie.
M. Zamboni qualifie le régime « de magnifique bébé », résultat de ce qu’il considère comme une association politique intelligente. L’Italie a en effet combiné le système britannique des personnes non domiciliées avec le régime suisse de l’impôt libératoire pour créer un impôt de substitution italien sur les revenus étrangers.
« Si vous vous installez en Italie, quelle que soit votre nationalité – même si vous êtes en Italie, tout ce que vous gagnez à l’étranger ne nous intéresse pas, à condition que vous payiez 100 000 euros par an. »
Selon lui, le système est plus flexible que celui de la Suisse. « En Italie, vous pouvez continuer à travailler tout en payant un impôt forfaitaire sur vos revenus étrangers. En Suisse, cela n’est pas autorisé. Cela rend l’Italie plus attrayante pour les professionnels actifs, et pas seulement pour les retraités. »
L’imprévisibilité de Donald Trump
L’intérêt pour le programme italien a plus que doublé en 2024 et a encore augmenté de 57 % au cours du premier trimestre de cette année, selon les chiffres de Henley & Partners. La croissance la plus forte a été enregistrée aux États-Unis, qui constituent désormais le groupe de nationalités le plus important parmi les candidats. Les demandes américaines ont augmenté de 53 % en 2024 et de 72 % au début de 2025.
Les personnes faisant appel au système ne sont pas seulement préoccupées par la réaffectation des capitaux, mais elles reconsidèrent également leur exposition personnelle. Peter J. Spiro, professeur à la Temple University Law School et expert en droit de la citoyenneté, estime que l’imprévisibilité d’un éventuel second mandat de Donald Trump rend la citoyenneté américaine moins sûre.
« La double nationalité était autrefois un luxe. Elle est en train de devenir le nouveau rêve américain », selon M. Spiro. « En cette période où les incertitudes se multiplient, le droit de partir semble tout aussi convoité que celui de rester. »
Le Royaume-Uni perd son avance
Le Royaume-Uni, en particulier, voit sa position s’éroder. L’abolition du régime des personnes non domiciliées envoie un message clair : les étrangers fortunés ne sont plus une priorité politique. Le chef du parti travailliste, Keir Starmer, a introduit des mesures qui suppriment également les allègements fiscaux sur les successions pour les trusts étrangers, ce qui accélère encore le départ des résidents de longue durée. Le Trésor britannique espère récolter plus de 4 milliards de livres sterling grâce à ces changements, mais le coût final pour le secteur financier est incertain.
Plusieurs personnalités du secteur financier londonien envisagent de s’installer à Milan ou l’ont déjà fait. Financial News a fait état ce mois-ci d’une véritable vague de délocalisations. Parmi eux, Richard Gnodde, vice-président de Goldman Sachs, partirait pour l’Italie. Il n’est pas le seul : le fondateur de CVC, Rolly van Rappard, envisagerait également de partir, tout comme Soren Christensen, de Cinven, et François de Mitry, CIO d’Astorg, qui a déjà déménagé, selon Bloomberg.
« Nous conseillons des fondateurs de fonds spéculatifs, des entrepreneurs technologiques et des family offices qui cherchent tous un plan B », explique M. Zamboni. « Nombreux sont ceux qui ne se déplaceront pas physiquement, mais qui souhaitent avoir la possibilité de le faire. Cette option implique désormais des droits de résidence, une clarté fiscale et, dans certains cas, une stabilité politique, ce que le Royaume-Uni n’est plus en mesure de garantir. »
En fait, il s’agit rarement d’un déménagement complet. Seuls 5 à 10 % des clients se déplacent réellement. « Les autres recherchent ce que nous appelons la planification de la résidence et de la citoyenneté. Il s’agit d’une diversification géographique personnelle, à l’image de la diversification d’un portefeuille. Il ne s’agit pas d’évasion fiscale, il s’agit de limiter l’exposition géopolitique. »
Henley & Partners publiera en juin ses prévisions de migration pour 2025. Les chiffres préliminaires indiquent une aggravation des disparités à l’échelle européenne : les grandes économies telles que l’Allemagne, la France et l’Espagne ont enregistré des sorties nettes de millionnaires, tandis que l’Italie et la Suisse ont enregistré de fortes entrées.
Le Benelux à la traîne
L’Italie n’est d’ailleurs pas le seul pays à vouloir augmenter son attractivité. La Grèce a introduit un régime d’imposition forfaitaire presque identique, les nouveaux résidents devant payer 100 000 euros par an sur les revenus étrangers. Le Portugal et l’Espagne offrent des « visas dorés » depuis des années, bien que l’Espagne ait récemment supprimé ce programme en raison de pressions politiques. La Lettonie gagne également en popularité auprès des personnes très fortunées en raison de son offre immobilière abordable et du faible coût de la résidence.
En revanche, le Luxembourg, un poids lourd des services financiers du Benelux, semble avoir manqué le train. « Le pays excelle en matière de conservation et de structures de fonds, affirme M. Zamboni, mais la migration des investissements nécessite une relocalisation physique. Pour la plupart des clients, c’est un point de rupture. Ils veulent la liberté de choix et non la contrainte. ».
Il en va de même pour les Pays-Bas et la Belgique, où les conditions de résidence requièrent généralement un déménagement effectif et où les autorités fiscales sont considérées comme strictes. Si ces deux pays restent des centres cruciaux pour les capitaux institutionnels, ils perdent de leur attrait pour la planification du patrimoine personnel. « Nous constatons très peu d’intérêt pour les programmes de résidence alternatifs au Benelux, déclare M. Zamboni. C’est une occasion manquée. »
Capital mobile
Un point important : l’exode des richesses britanniques ne concerne pas uniquement le lieu de résidence. Il s’agit également de savoir où les investisseurs placent leurs actifs, où ils achètent des fonds et à quelles juridictions ils font confiance. Avec des centaines de milliards de capitaux mobiles à la recherche d’une nouvelle résidence, les gestionnaires d’actifs et les banques privées de toute l’Europe tentent de s’adapter rapidement.
Londres, Zurich et Luxembourg ne disparaîtront pas. Leurs infrastructures, leurs talents et leurs réseaux restent impressionnants. Mais ces places sont confrontées à la concurrence croissante des capitales du Sud, autrefois considérées comme marginales. « Milan ne remplacera pas Londres, reconnaît M. Zamboni, mais l’écart se réduit. Pour beaucoup, en particulier les Américains, c’est désormais le choix le plus attrayant. »