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Nassim Taleb, ancien trader et auteur du livre ‘Le Cygne noir’, qualifie la théorie moderne du portefeuille de pur bullshit. Entretien avec l’ancien trader en marge du congrès BZB-Fedafin à Bruxelles.

Le récent congrès de BZB-Fedafin, la fédération belge des intermédiaires financiers, était placé sous le thème ‘Jouer sa peau’, qui est également le titre du dernier livre de Nassim Taleb. Dans ce livre, l’ancien trader soutient que personne ne devrait prendre des risques susceptibles de nuire à autrui sans lui-même subir de dommages si les choses tournent mal. Dans son livre, il affirme que pour la justice sociale, il faut privilégier la symétrie et le partage des risques. « Vous ne pouvez pas faire de profits et transférer les risques aux autres, comme le font souvent les banquiers, les gestionnaires de fonds et les grandes entreprises. Inciter les acteurs à jouer leur peau corrige mieux cette asymétrie que des milliers de lois et règlements. Sans quoi cela ne marchera pas, ajoute Taleb. 

L’économiste Branko Milanović affirme qu’avec son livre, Taleb a créé un « système complet qui va de la recherche empirique à l’éthique, ce qui est très rare dans le monde moderne. » Dans un entretien avec Investment Officer, Taleb déclare : « Il y a trop d’acteurs qui s’enrichissent alors que leurs clients perdent de l’argent. »

Les institutions financières supportent-elles aujourd’hui suffisamment les conséquences de leurs décisions ?

« Les banques ne prennent elles-mêmes plus de risques. Aux États-Unis, elles les ont entièrement externalisés à des fonds spéculatifs. Et c’est une bonne chose, car les propriétaires ou partenaires d’un fonds de couverture y investissent généralement plus de la moitié de leur propre capital. Cela signifie-t-il qu’ils ne prennent pas de risques ? Bien sûr que non. Mais si un fond de couverture prend un risque, c’est parce que cela en vaut la peine. Et cela finit souvent mal. Rien qu’au cours des dix dernières années, 2 800 fonds spéculatifs se sont effondrés aux États-Unis, mais pas une seule fois, cela n’a fait la une des journaux. Car contrairement aux banques, les fonds de couverture n’entraînent pas une foule de gens dans leur disparition. »

Faut-il craindre une nouvelle crise financière ?

« Je ne m’inquiète pas concernant une crise financière ou économique majeure. Le monde est de toute façon trop riche. Nous survivrons bien à un revers financier qui grignotera quelques points de base du PIB. Ce serait même sain pour le système financier. Le vrai danger vient de la mondialisation, qui permet aux maladies mortelles de se propager à la vitesse de l’éclair partout dans le monde. Il n’y a plus aucun moyen de contrôler l’apparition d’une pandémie. Cela nécessite des disjoncteurs qui n’existent plus dans le monde globalisé d’aujourd’hui. Aujourd’hui, il n’est même pas possible de simplement fermer les frontières. »

Comment voyez-vous l’évolution du rôle des banques ?

« Les banques perdent leur pertinence. Elles font de leur mieux pour convaincre tout le monde de leur importance, mais en réalité, elles ne sont qu’une extension des banques centrales. Elles se sont complètement mises sur la touche. Les entrepreneurs en démarrage ne se tournent plus vers les banquiers, mais vers des business angels ou autres investisseurs. Les banques ne sont plus utiles que pour effectuer des transferts d’argent – jusqu’à ce que bitcoin prenne également le relais. »

Les intermédiaires financiers indépendants sont soumis à de fortes pressions. Sont-ils voués à disparaître du fait de l’évolution numérique ?
« Vous ne pouvez pas changer la nature humaine. Les gens auront toujours besoin d’un contact personnel pour prendre une décision importante. Personne n’emprunte pour une maison ou un commerce via un smartphone. Chacun veut en parler avec quelqu’un en personne. C’est pourquoi les intermédiaires financiers sont irremplaçables, surtout lorsqu’ils ne sont pas employés par une institution financière particulière. »

Vous plaidez également pour plus de bon sens dans la gestion des portefeuilles d’investissement. Qu’est-ce que cela implique ?
« La théorie moderne du portefeuille, c’est du pur bullshit. Déclarer qu’il existe un portefeuille d’investissement qui ne comporte qu’un risque moyen n’a aucun sens. Les gens doivent prendre des risques tout en étant suffisamment paranoïaques pour ne pas perdre d’argent. C’est pourquoi il est beaucoup plus judicieux d’investir une petite partie du portefeuille dans des actifs risqués, comme les actions ou le private equity, par exemple. Pour le reste du portefeuille, l’intention doit être de limiter les risques à un minimum. Personnellement, je pense au liquide ou à l’or. Je déteste l’or, mais j’en possède beaucoup. Avec un petit portefeuille risqué, un investisseur peut encore faire des bénéfices, tandis que pour le reste, il peut encore dormir sur ses deux oreilles. C’est ça le bon sens. »

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