Avec plus de 70 milliards d’euros sous gestion, AG peut se targuer d’être le plus grand assureur de Belgique. Ce capital est géré par Wim Vermeir, Chief Investment Officer, et son équipe. Nous nous sommes entretenus avec lui au sujet des sources de revenus alternatives pendant la période de taux d’intérêt extrêmement bas, ainsi que de sa passion de longue date pour l’ESG.
Quel regard portez-vous sur la période de faibles taux d’intérêt ?
Wim Vermeir : « C’était une situation très particulière, notamment parce que nous devions garantir un taux d’intérêt minimum. Comment y sommes-nous parvenus ? Tout d’abord, nous étions bien préparés, grâce à notre politique d’Asset Liability Matching (ALM), qui consiste à investir sur la même durée que nos passifs ou engagements. Pour une assurance groupe, nous savons exactement quand l’assuré prendra sa pension et donc, quand nous aurons besoin d’un certain capital à un certain taux d’intérêt. Les anciennes assurances vie assorties d’un rendement garanti de 4,75 % sont couvertes par des OLO (obligations linéaires belges) offrant un rendement similaire. »
Pour les nouvelles polices, vous avez dû trouver des alternatives aux obligations.
« Il fut en effet un temps où les obligations d’État produisaient des rendements négatifs et où les obligations d’entreprises ne rapportaient pas suffisamment par rapport au risque. Nous avons donc cherché des alternatives moins liquides, mais suffisamment sûres. Il s’agissait notamment de prêts garantis par l’État à des sociétés de logement social, de prêts aux trois régions belges et de prêts pour les infrastructures. Dans le domaine des infrastructures, nous finançons des chemins de fer, des écoles et des panneaux solaires. Nous avons également commencé, il y a peu, à financer des réseaux de fibre optique en France et en Espagne. Nous avons aussi découvert qu’il était intéressant d’accorder des prêts hypothécaires aux Pays-Bas, où la concurrence est moins forte qu’en Belgique et où les gens sont prêts à payer plus pour un prêt qui, de surcroît, est plus difficile à refinancer. »
Fin 2023, le portefeuille d’investissement d’AG se composait de 44 % d’obligations d’État et assimilées, de 21 % de prêts, de 18 % d’obligations d’entreprises, de 11 % d’immobilier et de 6 % d’actions. Pouvez-vous nous en dire plus concernant cette allocation, en commençant par les obligations d’État ?
« En ce qui concerne les obligations d’État, nous avons toujours privilégié les OLO belges. Il est possible d’obtenir des rendements plus élevés, mais cela implique de choisir des pays plus risqués comme l’Italie et la Grèce. En Allemagne, en revanche, le rendement est plus faible. Nous détenons uniquement des obligations d’État en euros, car il est très difficile de prédire l’évolution des devises. Si vous misez sur la hausse d’une devise et que vous vous trompez, vous pouvez facilement perdre 5 %, ce qui équivaut à perdre le rendement de plus d’une année. Non, nous ne prenons pas de risques de change sur les obligations. »
Qu’en est-il des obligations d’entreprises ?
« Celles-ci sont également principalement libellées en euros. Et si elles sont en dollars, elles sont couvertes contre les variations de change. De plus en plus d’entreprises britanniques et américaines émettent des obligations en euros, ce qui nous facilite la tâche pour les inclure dans notre portefeuille. »
Dans votre portefeuille immobilier, l’accent est mis sur la Belgique.
« Notre portefeuille immobilier est très concentré géographiquement, avec des biens en Belgique, mais aussi en France, aux Pays-Bas et en Allemagne. Un des avantages de l’immobilier réside dans les revenus prévisibles qu’il génère. Nous veillons à assurer une bonne diversification des activités avec des bureaux, de l’immobilier de soins de santé, de l’immobilier commercial, de la logistique ainsi qu’une part importante dans les parkings : Interparking (le troisième plus grand opérateur de parking en Europe, dans lequel AG Real Estate détient une participation de 51 %, NDLR). Cette diversification est cruciale, car nous ne voulons pas dépendre d’un seul secteur immobilier. La concentration géographique s’explique par le fait que dans les pays où nous sommes actifs, nous souhaitons être un acteur local qui connaît bien le marché. ».
L’assureur Baloise a pratiquement liquidé ses positions en actions en raison des coûts de capital trop élevés. Vous continuez néanmoins à investir en actions.
« Détenir des actions en tant qu’assureur est coûteux, j’en conviens. Cependant, il existe plusieurs approches pour les rendre intéressantes, à condition de viser le long terme et la qualité. Il n’est pas question d’avoir une forte exposition aux actions, mais je considère que 6 % du portefeuille constitue une bonne diversification et un moteur de rendement supplémentaire. En effet, nous devons non seulement aligner nos rendements sur les taux d’intérêt, mais aussi tenir compte de l’inflation et profiter de la croissance économique. Cela implique que nous ne voulons pas d’un portefeuille complètement déconnecté du marché, mais composé d’actions de qualité stables et offrant un rendement de dividende supérieur à la moyenne. À cela, nous ajoutons des actions de plus petites capitalisations présentant un bon potentiel de croissance. Ce faisant, nous adoptons également une approche internationale. La croissance économique étant actuellement plus forte aux États-Unis, nous essayons d’en tirer parti. »
Quel rôle joue l’ESG dans la sélection des actions et des obligations ?
« Je suis un grand partisan de l’investissement durable. J’ai commencé ma carrière le 1er avril 1996 en tant que gestionnaire de portefeuille d’un fonds éthique – c’est ainsi qu’on les appelait à l’époque – chez un gestionnaire d’actifs. Les assureurs étant par définition des investisseurs à long terme, il est crucial d’avoir une vision à long terme. Cela va bien au-delà de l’extrapolation des chiffres des bénéfices pour l’exercice suivant. Les produits fabriqués par l’entreprise seront-ils encore vendables dans plusieurs années, des problèmes réglementaires se profilent-ils ? L’industrie concernée n’est-elle pas trop polluante ? Comment ces entreprises se comportent-elles dans la guerre des talents ? Quelle est leur position dans la société ? Pour un investisseur défensif à long terme, le screening des aspects environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) constitue une analyse de risque supplémentaire. En réalité, nous sommes de bons intendants. En tant qu’assureur, vous êtes un investisseur majeur, ce qui implique une grande responsabilité. Il est également essentiel de montrer à nos clients que nous créons un impact positif sur la société. »
Qu’est-ce que cela signifie concrètement ?
« Avec Schools of Tomorrow, nous construisons 182 projets d’écoles dans le cadre d’un partenariat public-privé avec BNP Paribas Fortis et le gouvernement flamand. Lors de l’inauguration de l’une de ces écoles, on nous a remerciés pour le financement, mais j’ai précisé que ce n’étaient pas nous, mais les parents clients d’AG qui étaient les véritables bailleurs de fonds. Et nous développons bien d’autres initiatives de ce genre ayant un impact sociétal, comme des logements sociaux et des transports en commun. »
Avez-vous des directives concrètes en matière d’ESG ?
« Nous ne prenons aucune décision d’investissement sans qu’elle ait passé l’évaluation ESG du comité d’investissement. Nous excluons certaines activités. Nous visons une neutralité carbone de notre portefeuille d’ici 2050 et réduirons notre empreinte carbone de moitié d’ici 2030. Cette échéance approche à grands pas. La production d’électricité est le secteur le plus polluant de notre portefeuille, car bien que les énergies solaire et éolienne soient en plein essor, une grande partie de l’électricité est encore produite à partir de pétrole, et dans une mesure croissante à partir de gaz. En même temps, ce secteur est crucial pour la transition énergétique, c’est pourquoi nous n’excluons pas ces entreprises, mais réfléchissons avec elles. Nous vérifions si elles progressent suffisamment rapidement dans la transition et faisons pression si nécessaire. »
Quels aspects appréciez-vous le plus et le moins dans votre travail ?
« Ce que j’apprécie le plus, c’est que de nombreux éléments se recoupent : des aspects purement mathématiques, des questions sociétales et politiques… Et cela ne s’arrête jamais. J’aime aussi les imprévus qui bouleversent mon emploi du temps. En tant qu’investisseur, nous sommes soumis à de nombreuses contraintes, mais je trouve cela bénéfique. Personnellement, je suis également un investisseur défensif et prudent. Les contraintes stimulent la créativité, comme nous l’avons démontré lorsque nous avons dû chercher des alternatives aux obligations. Ce que j’aime le moins ? Participer à des réunions où je n’apporte aucune valeur ajoutée, mais je réussis assez bien à les éviter. »
Cet article constitue le deuxième volet d’une série d’entretiens avec les CIO des assureurs belges. D’autres entretiens suivront au cours des prochaines semaines.