
Les mois d’été sont réputés pour être des périodes calmes pour les marchés boursiers, mais l’année dernière, cela plutôt été l’inverse. La première question pour notre panel Parlons marché est donc : l’été sera-t-il volatil ?
Philippe Gijsels, stratège en chef BNP Paribas Fortis (au milieu) : « Nous vivons un Fourth Turning »
« En début d’année, lorsqu’on nous a demandé de proposer un mot pour décrire 2025, nous avons choisi « volatilité ». Jusqu’à présent, malheureusement, ce choix s’est révélé judicieux. Je m’attends à ce que l’été et le second semestre soient également volatils. Nous vivons ce que Neil Howe appelle un Fourth Turning : une période marquée par une grande volatilité géopolitique. »
« Ce qui se passe aujourd’hui au Moyen-Orient en est un bon exemple. Dans un monde à la recherche d’un nouvel équilibre, nous pouvons nous attendre à davantage de phénomènes similaires. Cette volatilité géopolitique s’accompagne inévitablement d’une volatilité économique. On ne peut plus parler « d’économie mondiale » : nous sommes à l’ère de la multimondialisation. Tous les grands blocs se développeront à un rythme différent, avec leur propre dynamique. Il faut voir cela comme des plaques tectoniques qui se déplacent toutes à des vitesses différentes, dans des directions différentes. Par conséquent, elles se frotteront inévitablement les unes contre les autres et entreront en collision. Dans notre monde, cela s’accompagne d’importants mouvements de devises, de taux d’intérêt, d’actions et de matières premières. »
« Enfin, il est possible que l’exceptionnalisme américain prenne fin, ou du moins qu’il soit réduit. Cela signifie que les capitaux ne se dirigeront plus automatiquement vers les États-Unis, ce qui se traduira par de nombreuses opportunités d’achat, mais aussi par un affaiblissement du dollar. L’inversion brutale de ces flux de capitaux ne fera qu’alimenter la volatilité. Mais pas de panique. Un homme averti en vaut au moins deux. L’astuce consistera à faire de la volatilité une alliée et à la transformer en opportunités d’investissement. Une première étape importante est d’anticiper la volatilité et de réaliser que dans cette optique, notre monde fou peut être un peu moins aléatoire qu’on ne le pense. »
PPieter Slegers, fondateur de Compounding Quality (à droite) : « Le terme du sursis de Donald Trump pourrait provoquer de la volatilité »
« L’été est traditionnellement une période très calme sur les marchés boursiers. Le sursis accordé par Donald Trump se terminant le 9 juillet, la situation pourrait bien devenir plus volatile. Regardez ce qui s’est passé lors de l’annonce de l’augmentation des droits de douane : la Bourse a chuté de 17 %. Le président américain a ensuite annoncé une pause de 90 jours, ce qui a provoqué un net rebond des marchés boursiers. Il est frappant de constater que l’indice S&P 500, en dollars, est encore plus élevé aujourd’hui qu’il ne l’était avant l’annonce relative aux droits de douane. Les droits de douane sur les importations seront imposés et auront des conséquences économiques. »
« Les droits de douane à l’importation seront toutefois moins élevés que ce qui avait été annoncé initialement. La Chine devait initialement être taxée à 145 %… Il y aurait maintenant un accord sur 45 %. Cela reste bien sûr un taux élevé, qui ne sera fondamentalement pas bon pour les marchés boursiers. Les investisseurs semblent peu inquiets pour l’instant et brandissent l’acronyme TACO : Trump Always Chickens Out (Trump recule toujours au dernier moment). »
« Donald Trump applique une stratégie très souvent utilisée : viser haut, demander quelque chose de complètement irréaliste ou même ridicule, pour ensuite négocier et finir beaucoup plus bas. C’est peut-être ce qu’il voulait depuis le départ. Le dernier mot n’a pas encore été dit sur ces droits de douane à l’importation. Il y aura beaucoup de négociations dans la période à venir. Le risque de volatilité pour cet été est donc réel. Mais vous devez considérer vos investissements comme une maison : ne regardez pas constamment leur valeur. Continuez à faire ce que vous avez à faire tranquillement. »
Alexandre Goldwasser, directeur de la société boursière Goldwasser Exchange (à gauche) : « La faiblesse des indicateurs et la réduction des liquidités estivales alimentent fortement la volatilité »
« Si les incertitudes géopolitiques restent imprévisibles, plusieurs éléments économiques plus tangibles laissent présager un environnement potentiellement instable dans les mois à venir. »
« Tout d’abord, les données sur l’emploi aux États-Unis seront publiées le 3 juillet. Le marché du travail américain est un indicateur clé. Une détérioration marquée de l’emploi augmenterait la probabilité d’une réaction négative des investisseurs, dans un contexte de liquidité estivale réduite, où les mouvements sont souvent amplifiés par de faibles volumes. Ainsi, toute nouvelle décevante sur le plan économique, en particulier en matière d’emploi, pourrait déclencher des poussées de volatilité beaucoup plus importantes que la normale. »
« Face à ce constat, notre stratégie reste résolument prudente : une sous-pondération des actions et une surpondération des obligations, ainsi qu’une position neutre en liquidités. Plus précisément, nous préférons les obligations de bonne qualité libellées en euros et en dollars dont l’échéance est inférieure à cinq ans. Ce positionnement est conçu pour fournir une protection contre la volatilité, tout en maintenant un certain degré de flexibilité au cas où les conditions changeraient. »
« Si les indicateurs devaient se détériorer sensiblement, nous pourrions renforcer cette approche défensive, notamment par une sous-pondération encore plus forte des actions. À l’inverse, une économie résiliente, marquée par une croissance modérée et un emploi stable, pourrait justifier une reconsidération de cette position. En bref, la combinaison d’indicateurs faibles et d’une liquidité estivale réduite constitue un terrain propice à une forte volatilité : c’est le scénario que nous considérons comme le plus probable pour cet été. »
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