IO Marktpraat - Dumas, Gijsels, Slegers
IO Marktpraat - Dumas, Gijsels, Slegers

L’investissement durable n’est plus un simple projet moral ou un mot à la mode. Les critères ESG sont passés de la phase de surmédiatisation à la phase de réalité, avec un ancrage plus marqué dans la gestion quotidienne des risques. Notre question du mois pour notre panel Parlons marché est donc : Quelle est la prochaine phase de l’investissement ESG et quel impact peut avoir Donald Trump à cet égard ?

Christel Dumas, , professeur de finance durable à l’ICHEC Brussels Management School et présidente du conseil d’administration du label Towards Sustainability : « La prochaine étape consistera à passer de la gestion des risques à l’impact réel »

« L’investissement durable a dépassé le stade des belles paroles. Les données ESG sont devenues le langage de la gestion des risques, ce qui constitue une avancée. Mais c’est là que réside le paradoxe : dès l’instant où nous réduisons le développement durable à de simples scores, nous risquons de perdre ce qui lui donne son sens. On peut mesurer les émissions de CO2, mais peut-on évaluer l’équité ? Peut-on évaluer les soins de manière numérique ? »

« Cette tension ne disparaît pas avec de meilleures données ou des définitions plus claires. Il ne s’agit pas d’un problème à résoudre, mais d’une réalité avec laquelle il faut composer. La prochaine phase de la finance durable ne consiste pas à améliorer les feuilles de calcul des gestionnaires d’actifs. Il s’agit de passer de l’approche « ne pas nuire » à l’approche « faire le bien ». L’impact n’est pas seulement une donnée, c’est l’élément essentiel. »

« Trois changements définiront l’évolution à venir. Premièrement, les données ont besoin d’être mises en contexte, et pas seulement d’être collectées. En effet, nous verrons davantage de données ESG grâce aux rapports CSRD, à la surveillance des risques climatiques par les banques et à des divulgations plus complètes. Mais des données sans interprétation ne sont qu’un bruit de fond. C’est là que les normes indépendantes jouent un rôle important. Des initiatives telles que le label Towards Sustainability vont au-delà des cases à cocher de conformité : elles interprètent les données et étayent l’histoire que la réglementation seule ne peut pas raconter. »

« Deuxièmement, l’accent n’est plus mis sur l’exclusion mais sur la contribution. Les données sur les risques ESG nous indiquent ce qu’il faut éviter, tandis que les données sur l’impact montrent ce vers quoi nous tendons – en contribuant aux Objectifs de développement durable des Nations unies et en mesurant la manière dont les produits et les services améliorent les conditions de vie. Cette approche positive est essentielle pour l’avenir. »

« Troisièmement, les valeurs ne nécessitent pas seulement des calculs, mais aussi des conversations. L’impact inclut la moralité, les priorités et les compromis. Les recherches menées auprès des fonds de pension montrent que l’engagement personnel et la consultation permettent de parvenir à une compréhension commune de l’investissement efficace. L’unité naît du dialogue – c’est précisément ce que favorisent les normes du marché. »

« Et Donald Trump dans tout ça ? Ses politiques peuvent ralentir le rythme de la réglementation américaine, mais cela ne fait que renforcer l’importance de normes indépendantes et axées sur le marché. Les cadres de référence européens restent des repères – même s’ils sont soumis à des pressions – et les investisseurs du monde entier reconnaissent que la durabilité n’est pas une idéologie, mais une gestion des risques et une source d’opportunités. Le train de l’investissement durable est en marche, la question est de savoir quels wagons vont le rejoindre. C’est pourquoi les normes collaboratives telles que le label Towards Sustainability sont cruciales : elles créent une dynamique grâce à l’action collective et posent des fondations durables qui transcendent les cycles politiques. »

Philippe Gijsels, Chief Strategy Officer chez BNP Paribas Fortis : « D’un point de vue technique, le secteur semble avoir atteint son point le plus bas. »

« C’est enfoncer des portes ouvertes que de dire que l’investissement durable est moins prioritaire qu’il y a quelques années. Il y a plusieurs raisons à cela. Nous vivons ce que nous appelons dans notre livre Les 5 tendances de la nouvelle économie mondiale un « Quatrième tournant », d’après l’œuvre du même nom de Neil Howe. Une période d’instabilité géopolitique, de guerres et de polarisation. Le centre politique s’affaiblit, la coopération devient plus difficile et chacun se replie sur son pays, son peuple ou lui-même. Les enjeux climatiques et ESG sont par définition mondiaux, et dans ce contexte, il est presque logique qu’ils passent au second plan. Par ailleurs, des thèmes plus saillants émergent : la multi-globalisation, les conflits géopolitiques, la nouvelle course aux armements, les problèmes d’endettement et le plus grand marché haussier des matières premières que le monde ait jamais connu. »

« Et puis il y a le rendement. Après quelques années fastes, les investissements ESG sont à la traîne par rapport à des thèmes qui sont plus médiatisés aujourd’hui. De nombreux investissements ESG sont des actifs de longue durée : vous construisez une éolienne aujourd’hui, mais les revenus ne viendront que dans quelques années. Dans un contexte de taux d’intérêt plus élevés, ces revenus futurs sont davantage actualisés, ce qui réduit leur valeur actuelle. Comme si cela ne suffisait pas, M. Trump n’a que faire du climat. Il se retire des accords et met fin aux investissements. Le démantèlement des structures existantes – avec l’exemple de l’OTAN – est une caractéristique typique d’un « Quatrième tournant. »

« Est-ce la fin de l’investissement durable? » Pas du tout. Le sentiment est actuellement si négatif et les attentes si faibles que seules de bonnes surprises peuvent survenir. Malgré toutes ces mauvaises nouvelles, le progrès continue inexorablement sa marche en avant. La technologie s’améliore et crée de nouvelles opportunités. D’un point de vue technique, le secteur semble avoir atteint son point le plus bas : les thèmes qui cessent de baisser malgré les mauvaises nouvelles ont généralement atteint leur niveau le plus bas. Il est donc temps de jeter un regard neuf sur le thème de la durabilité, en particulier sur les entreprises et les technologies qui sont viables sans subventions. Une approche plus réaliste et moins idéologique. »

« Et comme l’écrit Neil Howe : Après un Quatrième tournant, une nouvelle ère de coopération s’ouvre. Cela constituera un terrain fertile pour l’ESG. D’ici là, le marché haussier dans ce domaine aura commencé depuis un certain temps – peut-être surtout en Europe, où l’on prend de plus en plus conscience que l’indépendance énergétique est plus facile à atteindre avec les énergies alternatives qu’avec les énergies conventionnelles. Le spectre énergétique dans son ensemble reste d’ailleurs intéressant en tant qu’investissement à long terme. Posez vous simplement la question : aurons-nous besoin de plus ou moins d’énergie à l’avenir ? Si la réponse est « plus », nous avons besoin de toutes les sources possibles. »

Pieter Slegers, fondateur de Compounding Quality : « Ceux qui sont à la traîne seront pénalisés »

« Beaucoup de gens envisagent l’ESG principalement sous l’angle du E (environnement), mais le S (social) et le G (gouvernance) sont au moins aussi importants. Il est important de noter qu’il existe un lien de causalité entre les critères ESG et la qualité : les entreprises qui obtiennent de bons résultats en matière d’environnement, de société et de gouvernance tendent également à obtenir de meilleures performances fondamentales. Elles ont des bilans plus sains et sont plus rentables. »

« L’approche a clairement changé ces dernières années. Alors qu’auparavant, l’ESG était surtout une question d’exclusion – ne pas investir dans le tabac ou les armes – aujourd’hui, il s’agit davantage de mesurer l’impact et les résultats. Les investisseurs veulent savoir à quoi contribue leur argent, et pas seulement ce qu’ils évitent. Il s’agit désormais d’améliorer de manière démontrable l’environnement, la société et la bonne gouvernance, plutôt que de se contenter de suivre des règles. »

« La prochaine phase de l’investissement durable s’articulera donc autour de l’impact réel. Les entreprises qui répondront à cette demande bénéficieront d’un multiple de valorisation plus élevé. Ceux qui sont à la traîne seront pénalisés. Et Donald Trump dans tout ça ? Aux États-Unis, le concept d’ESG est beaucoup moins répandu que chez nous. L’autre jour, à Washington DC, quelqu’un m’a demandé si, en Europe, nous ne ferions pas mieux de nous concentrer sur la création de valeur plutôt que sur la neutralité climatique. Cette mentalité montre à quel point le monde reste divisé sur la question de l’investissement durable. Alors que l’Europe impose des règles de plus en plus strictes, de nombreux Américains considèrent encore l’ESG comme un choix politique plutôt que comme une nécessité économique. Pourtant, la tendance semble irréversible : de plus en plus d’entreprises, d’investisseurs et de jeunes ne considèrent plus la durabilité comme un choix, mais comme une nécessité pour l’avenir. »

Investment Officer Belgique examine chaque mois la manière dont des personnalités sectorielles traitent les questions d’allocation d’actifs. Avez-vous une question à poser à notre panel Parlons marché ? Envoyez un e-mail à redactie@investmentofficer.com, en mentionnant en objet « Parlons marché ». Votre question sera peut-être choisie le mois prochain.

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